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Photo du rédacteurThierry Holweck

Une Église qui restaure…

Actes 2, 41-47 Une Église qui restaure…

Exode 16, 2-3 ; 11-18 (Les cailles dans le désert), Jean 6, 1-15

Guebwiller, 14 juillet 2024, Fête nationale



Les plus réguliers d'entre-nous se souviendront sans doute que j'ai déjà évoqué ce récit de la première Église à Jérusalem, il y a peu de temps. Il s'agissait du culte d'installation du Conseil presbytéral et j’insistai alors sur l'importance de la participation de tous à la vie de l'Église. J’insistai et vous pourrez le relire sur notre site internet (lire ici), sur l'importance de la mission des conseillers presbytéraux qui ne sont pas « les conseillers du pasteur » mais les « conseillers de la paroisse » autrement dit ses administrateurs, ses dirigeants, élus et mandatés par les membres de la paroisse pour non seulement assurer l'ordinaire des affaires courantes mais aussi engager et diriger la paroisse dans les grandes orientations des années à venir.


Toute ressemblance avec ce que nous venons de vivre à l'échelle de notre pays n'est évidemment pas fortuite et c'est pourquoi il m'a semblé intéressant de revenir sur ce texte dans le contexte de notre fête nationale car il ne vous a pas échappé que nous étions le 14 juillet. Et même si vous avez fait le choix de ne pas assister au défilé militaire à la télévision, il n'en reste pas moins que nous célébrons aujourd'hui la République et sa devise « Liberté, égalité, fraternité ».


Et il m'a semblé que notre texte était une belle démonstration de ce que devrait être l'Église dans le cadre de notre République. D'autant que la proximité avec le texte de l'Exode qui nous relate l'épisode de la manne et des cailles dans le désert ou avec le texte de l'évangile de Jean qui raconte la multiplication des pains, nous donne une indication sur ce qu'il faut espérer pour l'avenir. L'Exode nous parle d'une situation désespérée où le peuple, tout juste sorti d'Égypte, est prêt à y retourner parce qu'il est affolé d'être si nombreux dans une situation de pénurie et de disette. Quand tout va mal, quand tout s'effondre autour de nous, quand les chemins de l'avenir sont difficiles et rugueux, quand on ne voit plus que l'aridité du paysage, quand vient à manquer ce qui nous paraît essentiel, il est difficile de tenir ferme et de garder l'espérance. Alors que Moïse promet la présence de Dieu auprès du peuple pour une vie faite de liberté par opposition à l'oppression vécue en Égypte, d'égalité par opposition à la ségrégation ethnique en vigueur en Égypte et de fraternité par opposition à la lutte de tous contre tous qui régnait dans la « maison de servitude », les israélites, désemparés et inquiets, sont prêts à y retourner plutôt que de faire confiance. Qu'importent la liberté, l'égalité ou la fraternité si on m'assure un fond d'écuelle et qu'on me laisse vivre sous le joug ?


Le peuple d'Israël est ici typique de ces nations qui abandonnent leurs valeurs au moment précis où elles sont en jeu. Il faudra à l'Éternel Dieu multiplier les prodiges et les signes pour garder Israël en route vers son destin. Ici les cailles, là les pains multipliés par Jésus lui-même dans le récit de l'évangile. La correspondance n'est évidemment pas fortuite. Si Jésus multiplie les pains, c'est bien sûr pour nourrir les foules venues l'écouter, certes, mais c'est aussi une image qui renvoie directement à l'imaginaire d'Israël.


Pour les contemporains de Jésus, l'histoire d'Israël est présente dans les synagogues et l'évangéliste va s'attacher à faire correspondre les grands moments de la vie de Jésus avec les moments de l'histoire du peuple afin de montrer à tous que Jésus est non seulement le nouveau Moïse libérateur mais aussi le Messie attendu par tous les fidèles. Et de même que Dieu a réalisé le prodige de la manne et des cailles dans le désert, ainsi Jésus, celui qui, pour Jean, est l'incarnation de Dieu sur terre, réalise le prodige de la multiplication des pains. Un prodige qui n'a en réalité d'autre but que d'amener le lecteur à comprendre que l'essentiel n'est justement pas dans le pain matériel, celui que nous mangeons, mais bel et bien dans ce que nous dit le Christ : « Je suis le pain de vie, celui qui me suit n'aura plus jamais faim ni soif » (Jean 6, 35).


La faim et la soif dont il est question dans l'évangile de Jean n'ont rien à voir avec les marmites fumantes d'Égypte qui faisaient les délices du peuple d'Israël et nous allons en voir la concrétisation dans cette première assemblée dont, vous aurez remarqué que le livre des Actes nous relate « les signes et les prodiges » (2, 43) réalisés cette fois par les apôtres, manière d'inscrire ces derniers dans la lignée de Moïse et de Jésus.


N'est-elle pas étrange cette première communauté chrétienne que nous révèle ici le livre des Actes ?


Si un observateur extérieur ou chrétien contemporain faisait un rapide examen de cette Église, il pourrait en effet se dire que c’est bien étrange. Voilà une Église où des gens se réunissent dans le souvenir d'un prophète mort et semblent abandonner tout lien avec le monde extérieur, avec ce que nous considérons aujourd'hui comme essentiel, à savoir la propriété, leur vie privée et même leur liberté individuelle pour créer quelque chose d'inédit, de surprenant, une communauté d'intérêt, de foi et de vie. Un groupe où chacun s'oublie soi-même pour se mettre au service des autres, où chacun rompt avec ses propres traditions, sa propre histoire, pour s'associer avec d'autres avec lesquels il n'a, a priori, rien en commun. Voilà pourtant comment était l’Église à ses origines.


Ils étaient chaque jour tous ensemble assidus au temple, ils rompaient le pain dans les maisons, et prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu, et trouvant grâce auprès de tout le peuple. Et le Seigneur ajoutait chaque jour à l'Église ceux qui étaient sauvés. Voilà quelle est la description de la première Église que nous donne Luc dans le livre des Actes.


Chaque jour les premiers chrétiens se retrouvaient au temple, le grand temple de Jérusalem, le temple juif. Ils sont encore juifs et il ne faudrait pas l’oublier. Ils n’éprouvent pas le besoin de se retrouver entre eux pour prier mais au contraire ils prient avec le peuple comme si de rien n’était. Ensuite ils se retrouvaient les uns chez les autres, la réunion de l’Église n’était autre qu’un repas, ils n’organisaient pas de cultes au sens propre du terme mais l’essentiel était la communauté qu’ils formaient. Ces repas étaient joyeux, simples et très certainement « conviviaux ».


Après le repas, la vie continuait et en toutes choses ils louaient Dieu, c’est à dire qu’ils montraient leur foi par leurs actes de bonté et de justice et ainsi se faisaient apprécier par tout le peuple. Il faut d’abord remarquer que Luc nous relate une époque où il n’y a pas de conflit entre les chrétiens et les juifs. Les chrétiens ne sont, à ce moment-là, ni rejetés ni persécutés comme on a parfois tendance à le croire. Simplement, la balle est dans leur camp. Dans la mesure où ils prétendent avoir trouvé le Messie, il faut bien qu’ils vivent en conséquence et en cohérence avec cette découverte.


Il faut aussi toujours avoir à l'esprit que les premiers chrétiens étaient persuadés du retour imminent du Christ. Ils étaient convaincus que rien de ce monde n'avait plus d'importance, que le monde dans lequel ils vivaient, avec ses autorités et ses puissances allait disparaître et qu'une seule et unique chose comptait dorénavant, à savoir se mettre en règle avec Dieu et vivre conformément à l'espérance que Jésus avait suscité parmi eux. Affranchis de la peur du lendemain, de la mort et du pouvoir que prétendaient avoir sur eux les pouvoirs politiques ou religieux, ils découvraient la vraie liberté, celle qu'inspire la tranquille assurance que dans la vie ou dans la mort, rien ne pouvait plus les arracher à l'amour de Dieu tel que manifesté dans la vie et le message de celui qu'ils reconnaissent comme le Messie.


Ces différentes caractéristiques de la première Église peuvent éclairer notre action, notre vie d'Église et l’inspirer plus fortement que ne pourraient le faire toutes les analyses sociologiques sur le déclin de la foi.


Les premiers chrétiens « obtenaient la faveur du peuple », c’est-à-dire que par leurs actions ils révélaient leurs convictions et qu’ils étaient utiles pour ce peuple. Cela ne dépendait pas de la bonne volonté du peuple mais du dynamisme de l’Église elle-même qui faisait tout, non pas pour elle seule mais pour le peuple. Lorsque nous nous retrouvons comme aujourd’hui, pour le culte, il ne s’agit pas que de prier, mais de donner un signe.


Le signe de la fraternité d’abord entre nous. Car qu'est ce que l'Église ? Sinon une communauté faite d'hommes et de femmes que rien ne prédispose à être ensemble, dont les divergences d'intérêts ou de convictions devraient a priori être comme des séparations entre chacun d'entre nous. Et pourtant, alors que nous pourrions chacun nous préoccuper de nous-mêmes, nous occuper de nos affaires et nous désintéresser de tout ce qui ne nous est pas immédiatement profitables, nous décidons de faire corps, de nous extraire de nos préoccupations pour nous sentir concernés par ce qui arrive à ceux et celles que nous appelons « frères et sœurs » alors même que nous étions étrangers les uns aux autres.


Le second signe que nous donnons ensemble aujourd’hui par notre culte, c’est une forme de solidarité avec le monde. Ce que nous appelons « prière » n'est pas seulement une attente d'une action de Dieu à notre profit mais bien une manière de porter devant Dieu les préoccupations du monde d'aujourd'hui, tel qu'il va, tel qu'il est, avec ses ombres et ses lumières. L'Église des premiers jours n'est pas retranchée du monde, au contraire, elle en est solidaire. Elle témoigne d'une espérance qui ne lui est pas réservée mais est destinée à être en bénédiction pour tous, croyants ou non. L'Église qui nous est présentée dans le livre des actes est une Église solidaire du monde, au cœur du monde, cherchant à gagner sa faveur et sa considération. Non pas pour trahir l'idéal de l'évangile mais au contraire pour le concrétiser, au profit du plus grand nombre, afin que par l'amour manifesté en paroles et en actes, le monde croît et rejoigne la communauté.


Ce témoignage que nous donnons est ainsi un moyen, non de nous opposer mais au contraire de nous assurer « la faveur du peuple » et que s’ajoutent à l’Église tous ceux qui comprennent qu’elle a un rôle essentiel à jouer dans la société d’aujourd’hui. Ce rôle est pour la société, pour « le peuple » au sens de ceux qui nous entourent avant tout. Aujourd’hui que les liens communautaires se détendent de plus en plus, que la solitude et l’isolement touchent de plus en plus de gens, il nous faut offrir des occasions de rencontres. Aujourd'hui que l'extrême-droite et les intégrismes religieux connaissent un renouveau inquiétant, que les bruits de haines et de rejet de l'autre, de l'étranger, resurgissent, il est essentiel que l'Église et chacun de ses membres, cultivent un esprit de résistance. Non pas résistance à un prétendu effondrement moral mais résistance à la désespérance et à la résignation, au repli sur soi ou sur le petit groupe protecteur. Témoigner de l'Évangile aujourd'hui, c'est être aux côtés de ceux qui luttent pour plus de justice, plus de respect de l'humanité, plus de confiance en l'avenir, plus d'intelligence dans les rapports humains.


L'Église des premiers jours, celle que voulaient ressusciter les réformateurs, Martin Luther et Jean Calvin, persévérait dans l'enseignement des apôtres. C'est à dire qu'elle approfondissait les questions théologiques, s'interrogeait sur le « comment » et le « pourquoi », des choses. Une Église qui aujourd'hui ferait l'économie de la réflexion, lente et difficile pour arriver à la compréhension de l'évangile dans sa simplicité, serait encore une association religieuse certes mais une Église morte.


L'Église des premiers jours, celle des Pères de l'Église, saint Augustin ou saint Jean Chrysostome, persévérait dans la communion fraternelle. C'est-à-dire que chacun portait et était porté au sein de la communauté, savait pouvoir compter sur les autres et savait devoir se rendre solide pour porter à son tour ceux qui viendraient à faillir sur les chemins de la vie. Une Église qui aujourd'hui oublierait de s'occuper des plus faibles parmi elle, ceux qui ont le plus de mal à croire et à vivre, serait une extraordinaire organisation sectaire mais une Église qui aurait trahi.


L'Église des premiers jours, celle que nous espérons, persévérait dans le fraction du pain. C'est-à-dire qu'elle avait constamment à l'esprit la dimension symbolique de la présence du Christ en son sein. Il ne s'agit pas seulement du repas mais bien plus du souvenir de la vie et de la mort de Jésus le Christ d'une manière qui soit inspirante pour vivre à la hauteur du message de ce Christ. Une Église qui ne verrait plus aujourd'hui dans le pain et le vin de la cène qu'un rituel destiné à nous rendre la divinité propice serait une belle religion mais une Église qui prendrait l'ombre pour la réalité.


L'Église des premiers jours, celle dont nous voulons faire partie, persévérait dans la prière. C'est-à-dire que chacun de ses membres, mais aussi collectivement, se mettait à l'écoute d'une Parole. Celle qui vient d'un autre, celle qui nous rejoint dans le secret de notre cœur et de notre vie, celle qui nous dit comment changer nos comportements, celle qui nous confronte non pas à nos désirs mais à la volonté de celui auquel nous croyons. Une Église qui oublierait de préserver l'intériorité, le secret dialogue intérieur entre nous et l'Éternel serait une groupe de pression efficace mais une Église sourde et aveugle à la volonté de celui qui l'a réunie.


Persévérer dans l'enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans la prière, voilà les quatre colonnes qui caractérisent l'Église, qui font qu'il y a Église. Ce que l'on pourrait appeler les quatre critères bibliques constitutifs de l'Église.


Un dernier mot au sujet des prodiges et des signes. N'y voyons aucune manifestation surnaturelle mais avant toute chose la place que devrait avoir l'Église dans la société. Non pas un groupuscule religieux plus ou moins dépassé, vidé de sens et de convictions, d'influences et de pertinence mais au contraire, il nous faut nous attacher à être un prodige aux yeux du monde. Ces prodiges, c'est lorsque au sein d'une communauté, l'étranger, celui qui n'a rien à voir avec nous, est accueilli. C'est lorsque celui qui vit ou croit différemment de moi est accueilli comme un frère. C'est lorsque au lieu du jugement et de la condamnation qui écrasent, nous aidons à relever, lorsque nous restaurons, au sens d'aider à reconstruire celui que les vicissitudes de la vie ont abattu. Alors nous sommes Église, lorsque nous aidons nos contemporains, ceux qui nous sont confiés, à vivre, alors nous commençons à ressembler à cette première Église que nous appelons de nos vœux.


Les prodiges que nous attendons et que nous vivons ne sont plus une affaire de pain mais bel et bien le prodige d'une vraie liberté intérieure, d'une égalité de tous quelles que soient notre origine et d'une véritable fraternité au sein de notre communauté et au-delà. Cette Église, notre Église, est faite de liberté, d'égalité et de fraternité. Elle est ainsi une image, une petite République en elle-même, une image de la République, autrement dit encore : une anticipation de ce que devrait être notre société si elle était fidèle à ses propres valeurs.


Roland Kauffmann


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