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Photo du rédacteurThierry Holweck

Un chemin de vie

Les dix commandements - 5

Soultz 21 septembre 2024



La dernière fois que nous étions ici à Soultz, nous avions commencé à entrer dans le détail des dix commandements et je reprenais la distinction traditionnelle qui est faite entre la 1ère et la seconde table de la loi. Le première parlant des relations entre Dieu et les hommes et la seconde évoquant celles entre les hommes.


Souvenez-vous 1) tu n'auras pas d'autre Dieu devant ma face 2) tu ne te feras pas d'image taillée 3) tu n'invoqueras pas mon nom en vain 4) respecte le jour du sabbat car de même je me suis reposé le 7e jour, toi-aussi tu dois te reposer. Et J'interrogeais le fait que le 5e commandement, celui qui nous paraît le plus humain de tous, soit cependant sur cette première table. Et nous en étions restés là, un peu en suspens.


N'oublions cependant jamais que ces subdivisions sont des constructions littéraires pour nous aider à mieux comprendre et à nous souvenir de la liste des dix commandements. Les juifs découpent la liste autrement que nous et les catholiques encore différemment que ne le font les protestants. Et si on regarde le texte plus précisément, en prenant par exemple les verbes d'action ou d'interdiction, on arriverait en réalité à plus de dix commandements. Dans le texte du Deutéronome, on peut compter jusqu'à quinze verbes.


Mais quand je dis qu'il s'agit d'une construction littéraire, ce n'est évidemment pas pour relativiser le sens du texte, au contraire, nous ne pouvons le comprendre que si nous faisons l'effort de regarder de plus près les indices et les clés que le texte lui-même nous donne pour le comprendre. Sinon, il peut devenir ce qu'il condamne, une fausse image de ce qu'est Dieu et de sa volonté envers nous.


Je vous disais que la Torah est à la fois une instruction et une direction, elle pose des limites au sens d'une prévention pour éviter les dangers invisibles du désert, elle donne un cadre et en même temps elle est le chemin que l'Éternel Dieu nous invite à suivre. Et si dès l'abord du texte, nous savons quel est le point de départ, il manque encore le point d'arrivée. En effet, avant toute chose, l'Éternel Dieu déclare « Je suis celui qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, du pays de servitude », oui mais pour aller où ? Quelle est la direction ? Quel est le sens ? Quel est l'objectif ? Pourquoi ce Dieu a-t-il libéré les descendants de Jacob ?


C'est dans ce 5e commandement qu'une réponse est donnée et c'est la raison pour laquelle on peut dire qu'il constitue la transition entre les deux parties, entre les deux tables. Regardons-le un peu plus attentivement : « Honore ton père et ta mère, comme l'Éternel ton Dieu te l'a commandé ». Voilà quelque chose d'étrange, ce commandement est souligné en faisant référence à un commandement antérieur, c'est comme si on voulait en faire un ordre exprès de l'Éternel, qui en souligne l'importance. Un élément encore renforcé par le fait qu'il s'agit du seul commandement qui s'assortit d'une promesse.


En effet, les autres sont parfois complétés par une explication, une référence à l’œuvre de Dieu ou par un élargissement à tout ce que possède le fidèle. Celui-ci fait directement référence à la promesse de Dieu. Et je vous disais la fois dernière que selon les légendes juives, la promesse de Dieu était de leur donner un avenir. Le sabbat étant l'avant-goût de cet avenir. Et ici, dans le 5e commandement, cet avenir est maintenant décrit.


« Honore ton père et ta mère afin que... ». Trois choses sont promises : « que tu vives, que tu sois heureux, sur la terre ». La vie, le bonheur, la terre, c'est-à-dire tout ce qui est nécessaire à l'homme, non seulement pour assurer sa survie dans un environnement hostile comme le désert mais aussi pour lui assurer une vie bonne, une vie qui ait du sens et une vie qui soit heureuse.


Cette « terre que l'Éternel te donne », voilà la destination qui répond au premier mouvement de la première phrase « je t'ai fait sortir du pays d'Égypte pour aller dans cette terre que je te donne ». « L'Égypte » représente ainsi toutes les oppressions que nous subissons tandis que la « terre promise » désigne l'idéal de vie que Dieu veut pour nous. Et si « père et mère » sont ici évoqués, c'est bien sûr parce qu'ils représentent ceux qui nous donnent concrètement dans notre vie réelle ces trois choses essentielles.


Nos parents nous ont donné la vie, ils nous ont donné un sens à cette vie, et de même ils nous transmettent les conditions de notre existence. Pour l'ancien Israël, cette transmission est la base même de la société et on le verra encore dans les généalogies de Jésus qui devra s'inscrire lui aussi dans la descendance de David. Il n'en reste pas moins vrai aujourd'hui encore que chacun et chacune d'entre nous s'inscrit dans une histoire familiale et ce 5e commandement nous rappelle que notre existence est placée sous le signe du don. Nous avons reçu et il nous faut nous inscrire dans cette filiation et, en se calquant ainsi sur l'expérience la plus humaine qui soit, le texte s'inscrit dans cette perspective d'une vie vécue comme un don et non pas comme un droit, comme une reconnaissance plutôt que comme une exigence. Et cela nous dit aussi que cette vie voulue par Dieu pour nous n'est pas une vie de renoncement ni de sacrifice mais une vie heureuse, une vie pleine, une vie qui ait du sens.


Et viennent alors les cinq commandements suivants, les cinq interdits qui répondent à cette première partie du chemin. L'interdit du meurtre, de l'adultère, du vol, du mensonge et de la convoitise. Cinq interdits que l'on peut aussi grouper en deux sous-parties :

« tu ne commettras pas de meurtre, d'adultère et de vol » d'une part et « tu ne porteras pas de faux témoignages contre ton prochain, tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, tu ne désireras pas la maison de ton prochain » d'autre part.


Si vous avez bien compté, vous aurez remarqué qu'il y a six verbes, trois qui sont évoqués de manière générale, trois auxquels est rajoutée la mention « de ton prochain ». Ces deux séries se répondent, au meurtre, (6e) répond le faux-témoignage (9e), à l'adultère (7e), la convoitise de la femme de ton prochain (10ea), au vol (8e) le désir d'avoir ce qui appartient à ton prochain (10eb). Trois ordres brefs, trois ordres longs qui se répondent et se complètent. En effet, le mensonge ou plus exactement le faux-témoignage n'est-il pas déjà une manière de nier l'existence de l'autre, un meurtre symbolique ? De même convoiter le conjoint de son prochain, n'est-ce pas la voie vers l'adultère ? Et vouloir s'approprier ce qui appartient à son prochain, c'est déjà le début du vol.


En d'autres termes, nous avons là une série d'actes qui sont interdits et une série d'intentions qui conduisent à ces actes. C'est aussi une construction en trois parties qui répond en réalité à celle que nous avons trouvée dans le 5e commandement qui promettait la vie, le bonheur et la terre. La vie, le bonheur et la subsistance sont ce dont nous avons tous besoin et évidemment ce que nous désirons pour nous-mêmes. Et que nous ne devons pas retirer aux autres


Le meurtre est la négation de la vie, l'adultère est la destruction du bonheur, le vol, la négation de son besoin. Si effectivement le 5e commandement nous promet la vie, le bonheur et le bénéfice d'un bien donné par Dieu, il se prolonge ainsi avec les cinq suivants : «ce que tu peux désirer pour toi-même, ne va pas en priver ton prochain». Ainsi, ne lui prends pas sa vie, ne détruis pas la relation dont il attend son bonheur, ne lui dérobe pas le bien qui lui permet de vivre et de s'épanouir. Vous aurez reconnu bien évidemment la règle d'or: « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse ».


Nous disions que la Torah est une balise, une instruction et une direction. Elle nous montre un chemin de vie, de bonheur et de réalisations. Elle nous montre en même temps les impasses qui nous menacent, tous les chemins qui nous pourraient nous ramener en Égypte. Et c'est là que nous pouvons nous demander quelle est notre « Égypte ». Les derniers commandements décrivent des actes que nous ne voulons pas faire bien évidemment et en même temps ils décrivent une réalité, celle de notre condition humaine depuis l'origine du monde.


L'être humain est construit sur un sentiment du manque, de l'inquiétude et de l'anxiété, sur la peur. La peur de l'autre, qui pourrait toujours être un rival, qui peut toujours nous trahir, la peur du lendemain qui peut toujours s'avérer difficile, la peur finalement de mourir. Ces peurs qui nous traversent, qui nous font convoiter ou désirer, ce qui revient au même, ce que l'autre possède parce que nous croyons que c'est mieux que ce que nous avons. De quoi sommes-nous aujourd'hui esclaves ? De quelle « Maison de servitude » devons-nous sortir ? Sinon de celle de nos peurs devant les ombres de l'existence ?


Il ne s'agit évidemment pas de les nier mais de les connaître, de les affronter résolument et c'est à cela que servent les dix commandements. C'est de cette même « Maison de servitude » que le Christ est venu nous libérer. Si les dix commandements sont un signe de l'Alliance de Dieu avec son peuple, à combien plus forte raison sont-ils une balise pour nous aussi aujourd'hui.


La loi ne s'oppose pas à la foi et la foi ne peut faire l'économie de la loi. Cette « loi royale » pour reprendre les termes de l'apôtre Jacques (Jacques 2, 8ss) est « une loi de liberté ». La liberté dont il est ici question est un affranchissement. Elle signifie que nous ne sommes plus sous aucune forme de fatalité, ni de destinée d'aucune sorte, que nous ne sommes plus dépendants de notre condition humaine mais au contraire que nous en sommes délivrés, affranchis. La liberté dont il est ici question, c'est celle du fruit que plus rien ne doit empêcher d'éclore selon sa nature. La liberté, c'est cela qui nous est promis. La liberté d'aimer Dieu et notre prochain comme nous-mêmes.


Nous voilà au terme de notre exploration des dix commandements et j'espère avoir contribué avec vous à une approche de la vérité du texte ; à la fois sa vérité humaine profonde et son message sur Dieu afin que les Dix commandements retrouvent pour nous une signification pertinente, non seulement par rapport au texte mais aussi par rapport à nos questions contemporaines.


Roland Kauffmann

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