Dimanche Oculi – 3ème du Carême 2024, Guebwiller le 3 mars 2023
Pauline N'Gono
L’une des péricopes proposées ce dimanche donne l’occasion de prêcher sur un des récits portant sur le prophète Elie ( 1 Rois 19.1-8). Ce récit s’accorde bien avec l’évangile selon Jean 15.18-21, « Le serviteur n'est pas plus grand que son maître... S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi »
L'histoire d'Élie est vraiment passionnante. Ce prophète est l'un des plus grands de l'Ancien Testament. C'est aussi un homme de foi. Dès le début du chapitre 17 du premier livre des Rois, il se présente de la manière suivante: L'Éternel est vivant, le Dieu d'Israël devant qui je me tiens...» (1R 17.1). Il est un homme qui se tient devant Dieu, qui le sert avec une entière fidélité. Élie est cité comme un modèle de foi dans le Nouveau Testament (Jc 5.17).
Le Royaume d’Israël se trouve dans un contexte religieux particulièrement difficile, avec l’idolâtrie qui a atteint le summum, parce que le roi Achab, guide spirituel du peuple, garant de la moralité du peuple, a abandonné l’Éternel et la foi de ses pères, et, ayant épousé une femme païenne, non juive, a entraîné le peuple entier, dans le culte de Baal, une des nombreuses divinités cananéennes et phéniciennes, de la fertilité et de l’orage. Élie va se distinguer, en gagnant le duel contre les prophètes de Baal.
Mais après le succès du chapitre 18 de 1 Rois, où Élie a réussi à défier les 450 faux prophètes de Baal et 400 d’Ashéra, Élie connaît un burn-out ! Il prend la fuite, à cause de la menace de mort venant de la reine Jézabel, enragée du massacre par Élie de ses prophètes, et décidée à se venger, envoyant cette nouvelle à Élie . « Que les dieux me traitent dans toute leur rigueur, si demain, à cette heure, je ne fais de ta vie ce que tu as fait de la vie de chacun d'eux! », en clair si je ne te tue pas, comme tu as tué mes prophètes de Baal.
Elie prend la fuite : ce n’est pas d’un départ volontaire pour un repos bien mérité, une escapade pour un weekend, loin de là ! Il y a un grand contraste tout aussi spectaculaire que le duel gagné par Élie au Carmel, entre le Élie tout confiant du chapitre 18 victorieux, démontrant une très grande foi et la puissance de l’Éternel qui fait descendre le feu, et le Élie méconnaissable du chapitre 19 fuyard, soudain trouillard!
La situation d’Élie peut susciter pour nous l’étonnement et plusieurs questionnements, ! Mais elle nous rejoint et met en lumière la fragilité humaine et nos propres fragilités.
Eh oui! Même chez Élie, homme de Dieu remarquable, le découragement, l'angoisse, la déprime, ça existe! S'il est très réconfortant pour notre foi de relire toutes les victoires que Dieu a remportées à travers Élie, il est tout aussi réconfortant de voir un Élie qui craque, qui est au bout de ses forces, qui touche le fond,
Non pas que l'on puisse se réjouir de la faiblesse ou la dépression -ce serait égoïste, voire sadique- mais parce que nous sommes rassurés que s’il nous arrive de «craquer» d'être au bout du rouleau et de déclarer à l'instar d'Élie: "C'en est trop, je n'en peux plus", nous ne devons pas nous culpabiliser.
Si nous n'avions pas dans la Bible des expériences comparables à celle d'Élie, ou d'autres grands hommes de Dieu qui vivent, expérimentent des difficultés liées à la surcharge de travail, à la solitude, nous aurions pensé que nous ne sommes pas à la hauteur, nous nous serions méprisés. Au contraire, un tel événement dans la vie d'un tel homme: c'est quelque chose qui nous parle, nous rassure et nous éclaire sur notre propre condition, et nous permet de mieux comprendre ceux qui nous entourent, dans nos services, et plus spécifiquement dans l’Église, lorsque des pasteurs, des conseillers, des fidèles peuvent craquer.
À partir d’un texte ancien, la Bible, une fois de plus, prouve son actualité, mettant en exergue le "burn-out", cet épuisement psychologique dont on parle tant, sans trop l’expliquer. Sans en faire l’objet de notre prédication, nous savons qu’il existe, et que c’est un symptôme de l’épuisement professionnel, lorsqu’on a dépassé ses limites, que notre capacité de travail diminue, de même que la concentration, nous pouvons éprouver une grande fatigue, l’angoisse, des troubles de sommeil, la déprime..etc. Cela peut résulter des déceptions face à des objectifs ambitieux non atteints, des échecs mal digérés, des mauvaises conditions de travail, du harcèlement au travail, des menaces, manque de reconnaissance ou peu de retours positifs sur son investissement ou ses résultats au travail. …
Tous ces éléments peuvent être des facteurs déclenchant un phénomène de « burn-out ». Dans les paroisses, parmi les responsables d’une communauté, parmi les pasteurs, il y a très certainement des cas.
Comment ce texte nous interpelle-t-il ?
Élie subit des menaces, est-ce que nous arrivons à identifier les menaces qui pèsent sur nous, notre famille, pour vite chercher des solutions ? Lorsque la menace arrive, où nous réfugions-nous ? Élie s’enfuie au désert, quels sont les déserts de notre vie ? Ces questions nous permettent d’anticiper et ne pas toucher le fond. Mais nous savons que c’est difficile de s’en sortir seul. Élie est réveillé 2 fois par un ange qui lui donne à manger « Et voici, un ange le toucha, et lui dit: Lève-toi, mange ». C’est le point culminant de notre prédication.
Quel est l’ange qui nous dira : « Lève-toi et mange » ? et qui nous préparera de bonnes galettes ? Les gestes simples disent beaucoup. Personne ne peut se dire à l’abri. Et les conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles, dans toute sorte de branches du monde du travail. Mais nous, en tant qu’Église, communauté de croyants chrétiens, nos frères et sœurs et nos contemporains attendent beaucoup de nous.
La Bible est porteuse d’un message humain, le message de l’amour inconditionnel de Dieu pour tous les humains, que nous sommes appelés à faire découvrir, au travers de l’évangélisation, jusqu’aux extrémités de la terre. Avant de confier cette mission à ses apôtres et à nous après eux, Jésus, dont nous sommes appelés à devenir les imitateurs ainsi que le recommande Paul aux Éphésiens, l’a vécu, nous a aimés, et s'est livré lui-même à Dieu pour nous comme une offrande et un sacrifice de bonne odeur à la croix. Nous pouvons décliner cet amour en termes de bienveillance, lâcher prise, douceur, simplicité, présence, prendre soin de soi, et les uns des autres, dans une relation horizontale. Il s’agit alors pour chacun d’exister et de faire exister les autres dans une chaîne d’amour, qui laisse la pace à l’inattendu de Dieu Notre Père, la force spirituelle au-dessus de nous, qui, connaissant nos limites, se fait présent en tous, pour nous nourrir et nous réconforter lorsque nous n’avons plus d’énergie et de force, lorsque nous sommes haïs, rejetés et menacés par le monde.
Après son burn out, Élie a expérimenté cet amour, au désert, ensuite au Mont Horeb et a reçu de nouvelles missions, ce qui est la preuve que nos difficultés ne marquent pas la fin, mais le début d’une vie et d’une espérance qui nous accompagne tout au long du carême, et qui nous fait vire Pâques tous les jours, dans le partage du corps et du Sang du Christ.
Nous pouvons trouver un encouragement, une motivation dans 1 Thessaloniciens 5, 1-6 de ce jour et qui se conclut par « ne dormons pas comme les autres, soyons vigilants et sobres »
Amen
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