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Roland Kauffmann

Soli Deo Gloria

Culte des Récoltes – Soultz 8 octobre 2023


Aujourd'hui, j'aimerais rajouter à votre besace une abréviation, un sigle, un symbole, on pourrait presque dire un code secret. Vous le savez, nos existences sont encombrées de ces petits acronymes dont on oublie souvent la signification. Certains sont tellement installés dans notre vie quotidienne qu'on ne se demande plus ce que signifient EDF, SNCF, RATP, RIB, IBAN, CDI, ETP, CGT, FNSEA. Certains sont spécifiques à des corps de métiers et nos catéchumènes savent ce que sont les CPE par exemple.


Dans cet inventaire à la Prévert, j'aimerais donc en rajouter un et j'ai même l'espérance que cet acronyme devienne d'une certaine façon le principal, celui qui serait en haut de vos préoccupations ou d'une manière discrète sur tout ce que vous écrivez et qu'il viendrait supplanter les CDI, les VAE, le SMUR et même les RTT.

Sans doute n'avez-vous pas idée de cet acronyme si essentiel qu'il devrait nous servir à tous de devise : certains pourraient penser JC, comme Jésus-Christ, c'est assez évident ou, plus difficile, LCZ comme Luther, Calvin, Zwingli ou encore plus difficile comme RoD ou FEA (Royaume de Dieu ou Foi, Espérance, Amour). Non l'acronyme dont j'aimerais vous entretenir aujourd'hui est tout à fait pertinent avec notre Fête des Récoltes. En effet, qu'avons-nous fait aujourd'hui ? Avons-nous, comme le faisaient les anciens, amené à notre divinité des fruits de la terre en sacrifice pour lui en faire offrande ? Durant des millénaires, les hommes ont ainsi prétendu nourrir leur dieu en lui apportant ce qu'ils produisaient de meilleur. C'est quelque chose que l'on retrouve dans toutes les religions depuis que l'homme est homme. Avons-nous fait cela aujourd'hui en mettant autour de notre table des fruits, des légumes, des potirons, des fleurs ? Avons-nous besoin de nous rendre notre Dieu favorable en lui donnant une part de ce que la terre nous a donné pour obtenir ainsi une sorte de garantie qu'il veillera à ce que la terre continue à produire ce dont nous avons besoin. Cette forme de religion élémentaire n'est pas la notre. Fort heureusement nous savons depuis les prophètes que le Dieu de la Bible n'a besoin ni de manger ni de boire, ni d'aucune autre forme de satisfaction qui passerait par quelque chose de matériel.

Dieu s'attend à notre amour pour l'humanité

Nous avons appris des prophètes que Dieu ne s'attend pas à ce qu'on lui donne quelque chose de matériel mais qu'il attend autre chose justement. Et cette autre chose que nous sommes venus lui apporter aujourd'hui avec les fruits de la terre, c'est justement ce que désigne ce fameux acronyme dont je vous garde le mystère. Un indice : un des plus grands compositeurs que le monde ait connu signait chacune de ses partitions par cet acronyme en trois lettres. Un autre indice si vous voulez, il s'agit de l'acronyme désignant le cinquième principe de la Réforme. Vous les connaissez, on les appelle aussi les « Solis », Sola Scriptura, l'Écriture seule, Sola Gratia, la grâce seule, Sola Fide, la foi seule, Solus Christus, le Christ Seul et donc le 5e « Soli »…

Jean-Sébastien Bach, parce que c'est de lui dont il s'agit ajoutait en effet à côté de son nom, ces trois lettres SDG qui signifient « Soli Deo Gloria, À Dieu seul la gloire ou À Dieu toute la gloire ». Il voulait dire ainsi que s'il était parvenu à un résultat, sans même présager de sa beauté éventuelle, c'était à Dieu qu'il le devait. Jean-Sébastien Bach renvoyait ainsi à l'Éternel tout le mérite de son œuvre, de ses réalisations, et surtout, il exprimait de la sorte sa profonde gratitude pour ce qu'il avait reçu et qu'il redonnait par ses œuvres.

« J'ai reçu, et parce que j'ai reçu, je dois rendre ce que j'ai reçu en rendant plus belle la vie de mes contemporains », voilà l'expression de la grâce et de la foi qui se réalise dans l'amour. La grâce que nous avons reçue, l'amour de Dieu manifesté par le message du Christ, et la foi que nous prétendons avoir, autrement dit tous nos principes, les quatre précédents « solis », nous amènent, ou plutôt nous obligent, à celui-ci qui est peut-être le plus exigeant et le plus difficile : Soli Deo Gloria ! À Dieu seul la gloire – À Dieu toute la gloire.

Loin de toute fausse humilité, qui voudrait dire « je n'y suis pour rien, tout vient de Dieu, c'est Dieu qui a tout fait », le SDG de JSB, au contraire signifie « tout mon labeur, toute ma peine, tout mon travail, tout cela est pour LUI, autrement dit pour les Vivants, pour les autres, pour l'autre ». En effet, vous le savez, on ne peut prétendre aimer Dieu si on n'aime pas sa création et particulièrement son image, c'est-à-dire les autres humains.

Et c'est cela que nous sommes venus dire aujourd'hui avec nos récoltes. Non pas seulement « merci » ! C'est en effet, d'abord un acte de gratitude, de reconnaissance pour ce que l'on a reçu, tout devrait toujours commencer par là bien sûr mais cela va en réalité bien au-delà de cette reconnaissance envers Dieu pour ce qu'il nous a donné. Et l'évangile de Luc nous en donne aujourd'hui une illustration en creux.

Voilà donc un homme qui est comme nous. Il a beaucoup travaillé, ses ouvriers ont beaucoup travaillé, le temps a été de la partie, il n'y a pas eu d'aléas climatique ni de brigands qui soient passés, sa récolte est excellente. Et il fait ce que tout bon gestionnaire avisé doit faire, il construit des entrepôts pour mettre sa récolte à l'abri. Vous savez que la taille des granges ou des entrepôts est souvent synonyme de réussite. À tel point que parfois, il faut produire, non plus pour répondre aux besoins mais pour remplir les entrepôts et nous devons consommer pour les vider afin que Amazon puisse les remplir ensuite. Cette aberration d'une surconsommation et d'une surproduction nous choque à juste titre mais ce n'est pas le problème dont nous parle Jésus avec cette parabole.


Jésus ne lui reproche pas de construire des granges plus grandes, d'être prévoyant. Il ne lui reproche pas non plus de se réjouir de l'excellence de la récolte. Notre paysan est prudent, il se dit en lui-même, « je ne manquerai de rien », c'est une préoccupation bien légitime. Notre paysan est un bon protestant qui pense à l'avenir, on pourrait dire mais ce serait anachronique que c'est un bon paysan mennonite ou un bon capitaliste.

Mais qu'est-ce que la foi? Si ce n'est l'amour ? Si ce n'est l'ouverture à l'autre. L'éthique chrétienne est fondée sur la grâce, le fait de se savoir considéré, aimé, par Dieu et de cet amour inconditionnel, premier, initial, découle la transformation de notre existence en une recherche permanente de ce qui est bien, de ce qui est bon, de ce qui est vrai, de ce qui est beau et de ce qui est juste. Puisque nous avons été aimé (de Dieu) nous devons aimer à notre tour Dieu à travers nos prochains.


L'éthique de la liberté

Or que fait notre paysan ? Il ne comprend pas que ce qu'il a reçu n'est pas pour lui. Il n'a pas compris la définition de l'éthique de la liberté : à savoir la reconnaissance pour ce que l'on a reçu et la conscience de ce que l'on doit en faire, c'est-à-dire le mettre toujours au service de l'autre.


Comment mettre mes capacités, mes compétences, non seulement ce que je possède mais aussi ce que je suis, comment le mettre au service de Dieu, autrement dit de ceux qui m'entourent ? Voilà la question éthique du Soli Deo Gloria. Ce n'est pas une contemplation du ciel ni la négation de la terre. Au contraire, c'est vivre à l'image de notre Dieu, vivre à l'image du Christ : aimer parce que nous avons été aimés.

Le SDG, c'est l'engagement au service des Vivants, de tous les vivants, car le choix est toujours entre l'accaparement égoïste pour le soi ou le service de l'Autre/autre/autres, en résumé au service du commun. Quelle que soit notre activité, elle est toujours différente selon qu'elle serait faite pour accumuler, s'approprier, accaparer ou pour servir au bien commun. Le SDG c'est aussi la liberté envers tous les pouvoirs. Rien ni personne ne peut prétendre être plus grand que Dieu, aucune idéologie, aucune théologie, aucune philosophie ni aucune économie ne peut aller contre ce principe de la recherche de ce qui est bon pour tous les vivants !

Regardez notre fermier. Il bâtit, il accumule, mais son souci c'est lui et personne d'autre. Il spécule sur son gain, sur l'inflation, car au moins lui ne manquera de rien. Il veille sur sa tranquillité sans partage et voilà ce que lui reproche Jésus : il n'est pas riche pour Dieu autrement dit, il n'est pas riche pour les autres. Le SDG, c'est « non pas moi », c'est « non pas pour moi mais pour TOI à travers les autres vivants », le SDG c'est « agir pour ».


JSB signifiait par là qu'il avait mis dans sa partition, non seulement toute sa technique, son savoir-faire, sa science de l'art de la musique mais qu'il y avait aussi mis toute sa passion, tout son amour pour Dieu et par conséquent pour l'homme. En signant SDG, JSB voulait dire que son œuvre était une mise en pratique de sa foi parce qu'elle contenait tout son amour, non pas pour la musique en tant que telle mais pour les musiciens qui allaient l'interpréter et pour les auditeurs qui allaient l'entendre. Le SDG est une déclaration d'amour pour Dieu et pour le monde.

Et c'est Albert Schweitzer qui a ce propos prenait l'exemple que nous avons tous déjà vécu. Nous avons tous fait l'expérience de concerts techniquement parfaits où la mesure tombe exactement à l'instant et de la manière dont elle est prévue et qui pourtant nous laissent froids parce que le chef s'est contenté d’exécuter la pièce. Et à l'inverse nous faisons l'expérience d'orchestre moins bons, moins parfaits, mais qui nous bouleversent parce qu'ils y ont mis tant d'amour. Voilà ce qu'est le SDG, savoir que rien de grand ne se fait sans amour, rien ne peut se faire pour Dieu qui ne soit pas pour les autres.

Qu'ainsi SDG soit notre code secret, celui qui nous permette de nous reconnaître car à l'inverse de notre fermier nous récoltons pour le monde, pour nourrir le monde et le construire à l'image du Royaume de Dieu.

Roland Kauffmann

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