Les principes protestants : Sola Fide
Guebwiller 12 mars 2023
Roland Kauffmann
« Le juste vivra par la foi ! » Par ses mots, Martin Luther déclenche le plus grand bouleversement religieux de l'histoire du christianisme occidental. Ce n'était de loin pas le premier. Il ne faut en effet pas imaginer le christianisme comme étant un bloc immuable et toujours semblable à lui-même. Dès les premières années, les courants et les écoles ont été nombreux au sein des communautés qui commençaient à s'établir tout autour de la méditerranée. Dans les grands centres urbains, à Alexandrie, à Antioche, à Jérusalem, à Corinthe, à Rome, s'organisaient de tous petits groupes, autour d'un enseignant, et circulaient les lettres des apôtres. Les échanges étaient vifs, parfois tendus et au fil des décennies plusieurs variantes de christianisme sont apparues. Églises d'occident parlant latin, Églises d'orient parlant grec ou syriaque, Églises d'Égypte parlant copte, avec les siècles, les Églises ont cessé de parler la même langue et par là même de se comprendre. Elles parlaient du même Jésus, de la même foi, de la même grâce, de la même miséricorde de Dieu pour l'humanité mais en utilisant des mots et des concepts qui n'étaient plus communs et signifiant autre chose selon que l'on vivait sous le règne des empereurs de Byzance ou dans les féodalités médiévales.
Durant ces siècles, les Églises ont été traversées de mouvements de Réforme, menées par des théologiens comme saint Dominique ou saint Thomas, par des prieurs comme saint François, voire par des papes comme saint Grégoire dit « le Grand » justement à cause de sa réforme appelée « grégorienne ». L'Orient n'est pas en reste et au fur et à mesure de la conversion des peuples du nord, va aussi connaître de grands bouleversements mais la séparation entre Églises latines et grecque est déjà trop grande au XVIe siècle pour que ces dernières soient durablement touchées par la Réforme protestante dont nous sommes encore héritiers aujourd'hui dans notre Église, dans notre paroisse et que nous avons encore aujourd'hui manifesté par le baptême de Diane.
En effet, la force de Martin Luther a été de retrouver le sens des mots et particulièrement de ce mot central, essentiel même, qu'est le mot « foi » ! Nous le disions, les autres principes protestants « Sola Scriptura, l'Écriture seule », « Sola gratia, la grâce seule » mettaient en jeu la révélation et la miséricorde. Affirmer l'Écriture seule, c'est dire que nous ne pouvons connaître Dieu que par ce qu'il dit de lui-même, que nous ne pouvons pas le trouver dans les œuvres de la nature ni de la technique ni dans l'histoire mais uniquement dans ce qu'il nous dit lorsqu'il parle à son peuple par son esprit. Affirmer la Grâce seule, c'est dire que nous ne pouvons rien faire pour mériter de quelque manière que ce soit la miséricorde de Dieu, c'est lui et lui seul qui en décide !
Avec le principe du Sola Fide, de la foi seule, c'est le principe de la justification qui est en jeu ! Comment peut-on être justifié devant Dieu ? Comment être juste devant les hommes ? Comment être parfait alors même que nous savons que cette perfection est hors de notre portée ? Une perfection qui est voulue par la Loi mais que nous ne pouvons jamais atteindre. C'est toute cette contradiction que l'apôtre Paul mettra en lumière dans son épître aux Romains. La loi de Moïse, mais aussi la loi du Christ, est un idéal inatteignable. La loi de Moïse, on le sait bien, c'est la loi dans toute sa dureté et sa vérité, tous ses commandements mais la loi du Christ est elle aussi toute aussi impossible à atteindre et à vivre dans sa perfection : aimer ses ennemis, faire du bien à ceux qui nous persécutent, aimer son prochain comme soi-même ? Qui parmi nous pourrait dire qu'il y parvient ? Qu'il y parvient toujours et avec tous ?
Nous savons que nous devons être parfaits mais aucun d'entre-nous ne peut l'être ! L'Éternel demandait à son peuple d'être saint comme il est saint, « Soyez saints comme je suis saint » (Lévitique 19, 2) c'est tout le sens des commandements que nous apprenons au catéchisme. Mais le Christ demande d'aimer Dieu et son prochain comme soi-même, c'est tout le sens des béatitudes que nous étudions également. Deux loi, celle de la sanctification et celle de l'amour, aussi impossibles l'une que l'autre.
Faire le bien ou aimer son prochain vient toujours après
Et pourtant nous voulons les respecter l'une autant que l'autre en connaissant notre incapacité à le faire. Et c'est là que le principe protestant est essentiel : ce n'est pas ce que nous faisons qui compte mais ce que le Christ fait qui est déterminant. Ce n'est pas l'amour que nous avons pour Dieu qui compte mais celui qu'il manifeste pour nous ! Ce n'est pas notre morale qui nous sauve mais la foi seule qui nous justifie.
Ce qui est en jeu avec le principe de la foi seule, c'est notre justification à priori, avant même que nous n'ayons fait quoi que ce soit et même avant que nous l'ayons voulu ou ayons eu conscience de la nécessité de faire le bien et d'aimer notre prochain.
« Le centre de la Réforme, la signification de (…) l'expression sola fide doit (…) s'exprimer ainsi : « Je sais que je ne fais rien de bon, que tous mes actes apparemment bons sont ambigus, que la seule chose qui soit bonne en moi est le pardon de Dieu qui me justifie, et que si je me contente de me soumettre à ce pardon divin, tout mon être pourra être transformé de telle sorte que j'accomplisse ensuite des actes moraux » 1.
Diane que nous venons de baptiser ne sait pas ce qui vient de se passer, elle n'en a nulle conscience. Pourtant elle est aujourd'hui justifiée, comme nous le sommes tous, le baptême en est le signe mais attention il ne faudrait surtout pas commettre un contre-sens, le contre-sens pourtant si courant dans l'histoire : il ne faut pas considérer le baptême comme un signe réservé à un petit nombre. Là aussi, ce n'est pas ce que nous accomplissons, ce que nous faisons, qui compte mais ce que Dieu dit, fait et réalise. La foi, cette foi qui vient d'être signifiée par le geste du baptême, cette foi dont nous vivons, qui nous soutient, nous porte et nous fait vivre, cette foi n'est pas une œuvre, n'est pas une action, mais une découverte.
Ce n'est pas non plus un catalogue de choses à croire d'autant plus incroyables qu'elles sont fabuleuses et extraordinaires, ni un catalogue de choses à faire, d'autant plus bénéfiques pour notre salut qu'elles sont charitables et désintéressées. La révolution luthérienne et protestante c'est l'affirmation de la miséricorde, pleine et entière, entièrement réalisée par Dieu, par le biais de la Parole qui est le Christ et dont nous prenons conscience, toujours à posteriori, par l'Esprit qui parle à notre esprit.
Nous avons à prendre conscience de notre impossibilité à faire le bien, à aimer notre prochain comme notre ennemi par notre seule bonne volonté, sans avoir pris conscience du pardon de Dieu. Parce qu'aucun homme n'est innocent et n'est capable de s'affranchir de l'appétit de puissance ou de son inverse le désespoir, parce que nous ne sommes jamais désintéressés, parce que nous sommes souvent indifférents, parce que nos sentiments sont contradictoires, c'est cela que nous disons dans nos liturgies quand nous reconnaissons notre péché. Nous n'effaçons pas nos fautes d'un coup de baguette magique pour pouvoir mieux recommencer, nous recevons le pardon et la foi.
La foi est entièrement un don, elle est uniquement un acte passif, une réception, quelque chose qui est donné et nous ne pouvons rien y faire ni même en décider. De même que Diane n'a pas décidé de naître et o fortiori pas non plus décidé d'être baptisée, nous ne pouvons décider de croire : « À partir de maintenant je vais croire en Dieu et comme je crois en lui, il faudra bien qu'il m'apporte joies, prospérité et bonheurs ! » Voilà le meilleur chemin pour la déception que de rentrer dans cette logique de réciprocité : « Dieu me doit bien ça puisque je crois en lui, puisque je fais ceci ou cela ». Voilà un esprit de marchandage, voilà un esprit qui place la morale, les œuvres et la loi avant la foi.
De même que Diane n'a pas décidé de naître, elle n'a pas non plus décidé d'être aimée de vous ses parents et elle ne peut jamais que répondre, ou pas, à cet amour qui se manifeste le premier. C'est ainsi que le baptême est signe de la grâce car de même nous n'avons pas décidé d'être aimés de Dieu. De même que Diane n'a rien fait pour mériter l'amour de ses parents, nous n'avons rien fait pour mériter l'amour de Dieu qui est entièrement gratuit et premier.
La foi n'est pas quelque chose que nous pouvons faire, dont nous pourrions décider. Elle nous est donnée et nous ne pouvons même pas dire que nous ne l'avons pas puisqu'elle est entièrement l’œuvre de Dieu, pleinement réalisée en Christ, une fois pour toutes ! Nous ne pouvons que la recevoir et la manifester comme on manifeste son amour, par des signes dont le baptême est le premier. De même qu'entre les humains, la découverte de l'amour entraîne évidemment une succession de signes, la découverte de la foi se révèle par ses œuvres qui sont toujours secondes comme les fruits viennent toujours après l'arbre.
C'est cela le principe protestant : se découvrir sujet de l'évangile et objet de l'amour de Dieu et tout le reste vient par surcroît.
1 Paul Tillich, Histoire de la pensée chrétienne, Payot, 1970, pp.264-265, soul. par l'a.
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