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Photo du rédacteurThierry Holweck

Remplis jusqu'à toute la plénitude de Dieu

Jérémie 31, 31-34 ; Éphésiens 3, 14-21 – Guebwiller 12 mai 2024


Photographie Le Robert


Il arrive que, contrairement à ce que je dis toujours, la Bible me contredise. En effet, j'utilise souvent l'expression « simplicité biblique » pour décrire des situations complexes qui pourtant s'avèrent relativement simples pour peu que l'on fasse un effort de compréhension. C'est une expression qui ressemble en fait à une expression plus usuelle : « clair comme de l'eau de roche ». On prend deux choses qui s'opposent ici l'eau et la roche, l'une qui exprime la fluidité, le mouvement, la vie, c'est évidemment l'eau ; et l'autre qui exprime la permanence, la solidité, l'immobilité, c'est la roche. Deux choses inconciliables qui s'opposent au point que l'une détruit l'autre, l'eau ronge la roche quand la roche barre le chemin de l'eau.


Et pourtant l'expression « clair comme de l'eau de roche » exprime justement ce mouvement immuable d'une eau filtrée par le barrage qui lui est imposé par la roche qu'elle perce, lentement. Une chose « claire comme de l'eau de roche », c'est une chose limpide, facile à comprendre, facile à saisir, complètement débarrassée de toutes les complications du langage ou de toute forme de sophistication. L'eau de roche, c'est la pureté de l'eau de source qui parce qu'elle a été filtrée durant des décennies ou des siècles est entièrement débarrassée de toute impureté et qui pourtant s'est chargée de toute la force des minéraux qu'elle a traversé.


Cette eau si riche et si pure que nous avons en une telle abondance dans notre région, qu'il s'agisse des eaux de Soultzmatt ou de Wattwiller, est claire parce qu'elle vient de la roche, elle est riche parce qu'elle a traversé la roche. La langue française à trouvé une expression limpide, unissant deux choses opposées pour dire à quel point l'une enrichit l'autre et à quel point une chose qui paraît difficile à comprendre est en réalité très simple.


Il en va d'ailleurs de même pour la fameuse « simplicité biblique », deux choses qui apparemment ne vont pas ensemble, voire semblent même s'opposer tant il est vrai que certains butent toujours et ne parviennent pas à comprendre et cherchent encore la clé pour en saisir le sens. Je ne parle pas ici de ceux qui utilisent la complexité du texte biblique pour établir une sorte de supériorité entre d'un côté « ceux qui comprennent » et de l'autre « ceux à qui il faut expliquer parce qu'ils ne seraient pas capables de comprendre ». C'est là le ressort de tous ceux qui veulent faire croire qu'ils en savent plus que les autres et que de ce fait il faut leur obéir. Ceux-là prétendent détenir la lumière quand les autres sont dans les ténèbres alors même que ceux qui ont la lumière devraient tout faire pour qu'elle se répande autour d'eux.


Voilà bien une image facile à comprendre : la tâche de tout enseignant et donc de tout prédicateur est bien d'essayer de répandre une lumière plutôt que d'essayer de garder un savoir qui fonderait son autorité. Plus il y de personnes qui comprennent ce qu'il veut dire, plus la lumière se répand, plus il devrait être heureux. C'est ce que cherche un professeur, un enseignant et donc aussi un prédicateur. Voilà qui devrait nous paraître évident à tous.


Or il faut le reconnaître, Jésus lui-même nous paraît parfois difficile à comprendre. Lui dont nous cherchons toujours à faire un exemple de simplicité, d'humilité et d'humanité, nous embrouille parfois, à tel point qu'il nous laisse bredouilles et démunis. Il le reconnaît lui-même et c'est suffisamment rare pour le noter et vous l'avez entendu dans l'évangile de ce matin : « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les comprendre maintenant ». Phrase énigmatique s'il en est. De quoi s'agit-il ? De quel secret ? De quel mystère ne veut-il pas parler encore ? Comme s'il le réservait à quelques privilégiés, quelques initiés.

Et Jésus d'expliquer mais de manière qui peut nous paraître bien confuse. En effet, juste avant ces quelques mots étranges, il a parlé du Consolateur, l'Esprit de Dieu qui doit venir après lui pour, comme son nom l'indique « consoler » les fidèles de la perte de leur maître. Mais là encore, Jésus nous perd lorsqu'au lieu de parler de « consolation » il parle de « péché, de justice et de jugement ». Normalement un consolateur parle de douceur, de tendresse, de bienveillance et de compassion. Le consolateur dont parle Jésus vient pour convaincre de péché ceux qui ne croient pas en Jésus, de justice parce qu'il va vers le Père et de jugement parce que le prince de ce monde est jugé.


Qu'est ce que le péché a à voir avec le fait de croire ou de ne pas croire ? En quoi le fait que Jésus aille vers son Père, c'est-à-dire qu'il meure, a-t-il à voir avec le justice ? Et qui est le « prince de ce monde » qui est jugé ? Voilà bien des choses qui vont à rebours de la « simplicité biblique ».


Et il faut encore enfoncer le clou et reconnaître que son explication n'est pas de la plus grande clarté. Après avoir dit à ses disciples, donc à nous, qu'il aurait encore bien des choses à nous expliquer, mais qu'ils ne peuvent « les comprendre maintenant », il reparle du Consolateur mais en l'appelant maintenant « l'Esprit de vérité » mais un esprit qui ne parlera pas de lui-même « qui prendra de ce qui est à moi et vous l'annoncera. Et nous voilà encore plus confus « tout ce que le Père a, est à moi ; c'est pourquoi j'ai dit que l'Esprit de vérité prendra de ce qui est à moi et vous l'annoncera ».


Si à entendre ces mots, vous pensez n'avoir rien compris, n'ayez crainte, vous n'êtes pas les seuls. Jésus qui parle de son Père vers qui il va, et de l'Esprit qui vient du Père, prend de ce qui est au Fils pour l'annoncer aux hommes, voilà ce qui a plongé les théologiens dans des abîmes de perplexité au point de déployer des trésors d'imagination pour expliquer l'idée même de trinité. Une pensée complexe qui est à l'origine de la première grande scission entre les Églises : ce qu'on appelle le grand schisme entre les Églises grecques et les Églises latines, les Églises d'orient et celles d'occident, c'est la séparation entre les Églises orthodoxes et le catholicisme autour du IXe siècle de notre ère. Une séparation qui s'est jouée sur la notion d'une hiérarchie au sein de la trinité. Le Père et le Fils étant supérieurs à l'Esprit pour les occidentaux, le Père seul étant supérieur au Fils, l'Esprit procédant du Père et non pas du Fils comme le laisse à penser notre texte de l'évangile de Jean. Une querelle de mots qui est devenu une querelle d'idées qui a séparé des mondes qui auraient dû rester unis dans la même foi en Christ.


Nous voilà bien loin de la « simplicité biblique ». Si la Bible était simple, il n'y aurait pas eu de conflit d'interprétation sur ces quelques mots de Jésus : les occidentaux expliquant aux orientaux, les catholiques aux orthodoxes que lorsque Jésus dit cette phrase « tout ce que le Père a est à moi et l'Esprit prendra de ce qui est à moi et vous l'annoncera » il établit cette fameuse hiérarchie : le Père et le Fils étant égaux et l'Esprit étant subordonné au Père et au Fils . Avec ce simple verset, sur lequel nous passons parce que nous le comprenons pas vraiment, nous sommes au cœur de la plus grande querelle théologique avant la Réforme.


Et pourtant une chose qui passe à travers une autre ; deux choses différentes qui ne se confondent pas et dont l'une nourrit l'autre ; laquelle se charge de tout ce qui fait la richesse de la première ; tout en s'épurant, se filtrant, par le simple fait qu'elle passe à travers l'autre : n'est-ce pas justement cette image de l'eau de roche qu'a voulu utiliser Jésus ?


Jésus est avant tout un prédicateur, il vient non pour embrouiller mais pour annoncer, pour être compris : donc son explication doit être limpide : pour lui, l'Esprit, celui qui viendra après lui, n'est ni subordonné ni supérieur, il est comme l'eau qui nous fait vivre. Il est le vivant qui nous donne la vie, qui nous fait partager la vie du Christ, exactement de la même manière que l'eau, en traversant les plus épaisses montagnes nous transmet toutes les richesses minérales alors même que nous la trouvons si claire, si pure.


Les disciples ne sont pas plus idiots que nous, ils savaient bien, comme nous qu'une eau déminéralisée n'est pas bonne à boire et ils ont certainement bien compris que celui qui allait venir, ce fameux esprit de vérité, ce consolateur, serait porteur de toute la minéralité, de toute la force, de toute l'énergie de la Parole du Christ et qu'il nous ferait vivre de sa vie. C'est ce qu'explique merveilleusement l'apôtre Paul dans sa lettre aux Éphésiens lorsqu'il demande à Dieu « qu'il vous donne, selon la richesse de sa gloire, d'être puissamment fortifiés par son Esprit dans l'homme intérieur » (Éph. 3, 16) .


À l'eau, la simple eau, qui nourrit nos corps et les fait vivre de tout ce qu'elle contient, l'apôtre ajoute l'idée de l'Esprit qui nourrit notre âme, notre conscience, notre individualité, ce qu'il appelle « l'homme intérieur ». Voilà ce qui est en jeu, c'est notre intériorité. Ce qui nous appartient en propre et qui nous constitue en être unique et singulier. Voilà ce qui est en jeu et peut être perdu lorsque nous cédons à tous les vents des modes. Et voilà ce qui doit nous fonder, nous enraciner en Christ « pour être capables de comprendre » !


Avez-vous remarqué la différence ? Nous avions à l'instant Jésus qui parlait de choses que « vous n'êtes pas capables de comprendre maintenant » et maintenant nous avons Paul qui s'adresse à des gens qui sont « capables de comprendre ». Paul dit-il le contraire de Jésus ? Évidemment non ! Que s'est-il donc passé pour que les choses changent et que ceux qui étaient incapables deviennent capables de comprendre ? C'est le mot « maintenant » qui doit nous mettre la puce à l'oreille. Jésus dit qu'ils ne sont pas capables « maintenant » de comprendre alors que Paul dit que « maintenant » ils sont capables. Il y a donc un « maintenant » qui fait la différence, qui crée un « avant » et un « après ».


Cet événement décisif qui manque aux disciples au moment où Jésus s'adresse à eux, c'est l’événement de sa mort et de sa résurrection. À l'instant précis de cet événement, les choses ne sont plus du tout pareilles même si, d'un point de vue matériel, les puissants, les injustes, les menteurs et les hypocrites sont toujours au pouvoir, ils sont déjà jugés, comme nous le sommes aussi. Le jugement du monde est déjà prononcé et ce qui change tout entre les disciples de l'évangile de Jean et les disciples de l'Église d'Éphèse et donc de l'Église de Guebwiller, l'Église d'aujourd'hui, c'est qu'il est venu, celui qui devait venir après le Christ pour nous faire comprendre les choses qui avaient été dites de toute éternité mais nous les faire comprendre à la lumière de la mort et de la résurrection de Jésus, le Christ annoncé par la Loi et les Prophètes.


Celui dont il était question dans la parole de Jérémie, cette loi qui constitue la nouvelle alliance de Dieu avec son peuple, ne se trouve plus écrite sur des tables de pierres. Elle n'est plus à Jérusalem ni à Rome ni ailleurs, elle n'est plus au ciel, elle n'est plus dans les ténèbres de l'ignorance ou dans les mystères de la superstition et de la crédulité.


Cette loi qui est maintenant dans notre cœur y est uniquement par l'action de l'Esprit. Cet Esprit qui n'est pas juste quelque chose de « spirituel » car il y a beaucoup d'esprits dans le monde, ce n'est pas n'importe quel « esprit » mais celui qui comme l'eau est filtrée par la roche et se charge de tous ses éléments pour nous les incorporer, est lui aussi chargé de toute l'énergie de la parole du Christ, celle qui doit habiter en nous et qui doit, toujours pour reprendre les mots de l'apôtre Paul, nous permettre de « connaître l'amour du Christ (afin que nous soyons) remplis jusqu'à toute la plénitude de Dieu. » (Éph. 3, 19).


Roland Kauffmann

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