Semaine de prière pour l'Unité des chrétiens
Dimanche 29 janvier 2023, église Saint-Léger, Guebwiller
Ce texte (Ésaïe 1, 12-18) du prophète Ésaïe que nous avons entendu tout à l'heure au moment de l'invitation à la confession et au pardon est extrêmement violent et peut-être en avez-vous été surpris voire même choqués. « Je hais vos fêtes et vos cérémonies, je n'ai rien à faire de vos cultes et de vos célébrations, de vos messes et de vos prières, qu'elles soient œcuméniques, catholiques ou protestantes, tout cela ne me regarde pas, ne me concerne pas et ne m'intéresse pas ».
Ces paroles difficiles à entendre ne sont pas dites par un athée ou un adversaire des religions mais elles sont dites par le prophète Ésaïe au nom de l'Éternel, le Dieu d'Israël, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de Jésus-Christ, notre Dieu. Et elles ne s'adressent pas seulement au peuple de Jérusalem il y a 2800 ans mais elles s'adressent à nous aujourd'hui, protestants et catholiques de Guebwiller réunis en cette magnifique église pour prier ensemble pour l'Unité des chrétiens. On peut reconnaître qu'il y a des entrées en matières plus chaleureuses que d'interpeller ainsi les gens en leur disant que Dieu n'a rien à faire de nos simagrées.
Ce choc des consciences, cette interpellation brutale, c'est exactement ce qu'a recherché le Conseil des Églises du Minnesota aux États-Unis qui a préparé cette célébration œcuménique pour les Églises du monde entier. Dans le contexte de l'Amérique contemporaine, traversée par les haines et les ségrégations raciales et sociales qui sans cesse se réveillent, dans une Amérique plus divisée que jamais depuis la guerre civile, les chrétiens du Minnesota ont voulu réveiller les Églises et leur dire, nous dire : « regardez autour de vous, cessez de perdre du temps en lutte stériles, regardez la misère et la honte du racisme, de l'oppression contre les peuples amérindiens et afro-américains, cessez de pinailler sur vos différentes manières de prier mais unissez vos forces pour venir en aide, ici et maintenant, à tous ceux qui souffrent ».
Ésaïe et les chrétiens du Minnesota n'ont pas de mots assez durs contre nos Églises endormies dans leurs habitudes et leurs traditions et qui ne se réveillent que pour affirmer leurs identités par l'exclusion de l'autre. Lorsque des chrétiens, de quelque bord qu'ils soient, hissent des drapeaux et crient des slogans contre tous ceux qui ne leur ressemblent pas. Lorsque des chrétiens, catholiques ou protestants, ne sont capables de s'unir que dans la détestation des autres, que ces autres soient d'une autre religion, qu'ils soient juifs ou musulmans, que ces autres soient d'une autre culture, africaine ou asiatique, que ces autres aient un autre mode de vie ou une autre sexualité. Quand les chrétiens ne sont capables de dépasser leurs différences théologiques qu'en se rejoignant sur la haine de l'autre, alors ces chrétiens tombent sous le coup de la condamnation de l'Éternel annoncée par le prophète Ésaïe.
Mais Ésaïe ne fait pas que condamner. Il dit aussi à ses contemporains, c'est-à-dire à nous, car ses paroles sont si universelles et intemporelles que nous sommes les contemporains de ce prophète des temps anciens, il nous dit « regardez votre péché, regardez votre cœur ! Il était rouge du sang de vos frères je le rendrai plus blanc que la neige, je vous purifierai et pardonnerai vos péchés ». Après la condamnation, voici la consolation, voici la promesse d'un pardon et d'une grâce largement plus grands que la haine et le péché. C'est la promesse annoncée à ces Églises qui se réveillent pour se mettre ensemble au service de leurs contemporains ; qui, au lieu de s'unir contre les différents, s'unissent pour le bien de leurs prochains et, au lieu de mettre de côté leurs différences théologiques, les confrontent pour en faire un outil qui permette de reconnaître un semblable dans la personne de l'autre.
Pratiquer les vertus
Vous l'avez également entendu dans la parole de cet autre, de cet étranger, de cet irréductible à nos traditions et nos habitudes, dans cette parabole dite par celui qui vient toujours bouleverser notre confort et notre tranquillité, cette parabole des vertus chrétiennes racontée par Jésus lui-même. C'est lui qui nous dit que chaque fois que nous avons fait ces choses à un des plus petits d'entre nos frères humains, c'est à lui que nous les avons faites. Et que sont « ces choses » ?
Vous les avez entendues : c'est nourrir les affamés, visiter les prisonniers, héberger ceux qui sont sans asile, c'est abreuver les assoiffés, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les sans droits. Ce sont les six vertus évangéliques qui ont structuré l'action des Églises fidèles au message du Christ depuis l'origine. À côté des vertus morales, que sont la probité, la sincérité, le courage, la foi, l'espérance et l'amour, les vertus évangéliques sont très concrètes. Elles se manifestent dans la vie de tous les jours, par des prises de risques, par des difficultés croissantes en fonction de la complexité de nos sociétés et des situations de précarité et de fragilités rencontrées par les hommes et les femmes de notre époque.
Vous aurez remarqué que ces vertus sont celles de l'Église. Il n'y a pas d'un côté les bons et les mauvais, les bons chrétiens et les mauvais chrétiens, l'Église fidèle et l'Église infidèle. Il y a une seule Église du Christ ! Et cette Église est là partout où des hommes et des femmes bien réels exercent les vertus évangéliques et morales en se mettant, au nom de leur foi, au service de leurs frères et sœurs en humanité. Il y a Église du Christ lorsque nos différences théologiques et de pratiques ne sont plus des obstacles mais deviennent des richesses pour mieux appréhender et comprendre les situations de fragilités, les risques et les menaces qui pèsent sur nos sociétés.
Il y a Église du Christ lorsque des chrétiens s'unissent pour agir afin d'améliorer le monde et soulager la douleur, la misère et libérer les opprimés, corriger les oppressions. Et c'est avec reconnaissance que nous pourrons entendre tout à l'heure les témoignages de ces trois associations que nous avons invitées aujourd'hui. Car chacune à leur manière, D'ici et d'Ailleurs, La Société Saint-Vincent de Paul ou encore le Rimlishof témoignent de la volonté commune des chrétiens de participer à la libération des opprimés et à la correction de l'oppresseur.
En effet, vous l'avez entendu dans la parole d'Ésaïe : entre la condamnation et la consolation, entre le péché et la grâce, il y a cette volonté de rechercher la justice et d'apprendre à faire le bien. Et les trois associations, dans les domaines qui leur sont propres, sont représentatives de cette nécessité de formation. On ne s'improvise pas défenseur des droits et les bénévoles de DiDa, d'ici et d'ailleurs, doivent régulièrement se tenir au courant de l'évolution de la législation. On ne s'improvise pas distributeur d'aide sociale ou alimentaire et les bénévoles de Saint-Vincent de Paul doivent sans cesse se former à la bienveillance et à l'attention à l'autre. On ne s'improvise pas hébergeur de réfugiés ou de victimes des traumatismes de la guerre et les équipes du Rimlishof doivent faire preuve d'un grand professionnalisme pour tenir la maison et en faire un havre de reconstruction pour les accueillis.
Ésaïe nous le dit dans des termes qui nous sont familiers au-delà des temps, des lieux, des époques et des circonstances. Il est toujours vrai qu'il faut « défendre la veuve et l'orphelin » et nous n'avons pas besoin de long discours pour comprendre qu'il s'agit d'abord et avant tout de veiller sur ceux qui ont perdu ce qui leur apportait la sécurité et garantissait leur liberté.
Entre « nature » et « histoire »
Il n'y a pas lieu ici d'avoir un discours féministe et de reprocher à Ésaïe de faire de l'homme, du père et du mari, le pivot de la liberté. Aujourd'hui, dans nos sociétés, précisément parce qu'elles sont imprégnées des vertus évangéliques, les veuves et les orphelins ne sont plus forcement réduits à la misère et peuvent envisager l'avenir grâce à la solidarité de la société. Mais outre que cela n'est pas vrai partout, « la veuve et l'orphelin » restent l'image symbolique de ceux qui n'ont plus le choix, qui n'ont plus la maîtrise de leur existence en raison des circonstances et des aléas de la vie.
« La veuve et l'orphelin » sont l'image de ceux qui sont rejetés à cause de ce qu'ils n'ont pas choisi, leur couleur de peau, leur origine ethnique, sociale ou religieuse, leur orientation sexuelle. Autrement dit ils sont l'image de ceux qui sont victimes de ce que la nature a fait d'eux.
« La veuve et l'orphelin » sont aussi l'image de ceux qui sont privés de liberté en raison de leurs convictions politiques ou religieuses, de ceux qui sont privés du plein exercice de leur liberté par les dérèglements climatiques, par la violence des pollutions et des guerres. Autrement dit « la veuve et l'orphelin » sont l'image de ceux qui sont victimes de ce que l'histoire des hommes leur inflige.
Entre « nature » et « histoire », la grâce !
Cette conviction fondamentale qui nous réunit ce matin, catholiques et protestants, paroisses et associations, que les destins ne sont pas écrits et qu'il nous appartient, à nous tous qui portons le nom de chrétiens, de manifester la grâce de Dieu, cette bonne nouvelle qu'est l'Évangile du Christ en faisant de nos différences une richesse pour le service. Peu importe que les uns chantent assis et les autres debout, que mon collègue curé soit en blanc et moi en noir, que les uns croient en ceci et les autres en cela. L'unité que nous vivons, l'unité de l'Église du Christ, cette unité qui existe déjà ne dépend pas de l'unité de nos structures ni de l'uniformité de nos croyances ou de nos pratiques. Que les uns mettent l'accent sur l'autorité de l'Église et son rôle de médiatrice et que les autres refusent cette autorité pour ne considérer que le Christ comme médiateur entre Dieu et les hommes, voilà des différences fondamentales qui ne doivent pas être méconnues ni effacées. Justement parce qu'elles nous permettent d'envisager la diversité des situations et de répondre à la profondeur de l'âme humaine.
Celles et ceux qui sont confrontés aux précarités et aux diverses formes d'oppression, celles et ceux qui ont besoin de notre charité, de notre présence, ces plus petits d'entre nos frères n'ont aucun besoin de grande déclaration œcuménique, de protocoles d'accord entre confessions, ni de grande manifestation d'une unité visible. Cette unité visible ne serait jamais qu'un pâle reflet de l'unité réelle qui existe entre tous les chrétiens quelles que soient leurs confessions à partir du moment où ils mettent en pratique les vertus évangéliques et morales, où ils donnent une réalité tangible et concrète à ce corps du Christ qu'est l'Église.
Écoutons encore Ésaïe nous dire au nom de l'Éternel notre Dieu « Je ne veux pas de votre œcuménisme s
'il n'est que de façade et pour se donner bonne conscience. Je n'en veux pas s'il dissimule une prétention à être seul détenteur de la vérité. Je n'en veux pas s'il cache du mépris et de l'hypocrisie. Apprenez à vous connaître et vous respecter, agissez ensemble pour le bien de vos contemporains sur le terrain de l'action sociale, culturelle, politique ou écologique. Soyez solidaires les uns avec les autres et mettez vos
moyens en communs pour manifester votre charité. Alors vos querelles anciennes, aussi cruelles qu'elles soient, ne seront plus qu'un souvenir, à toujours conserver pour ne pas les reproduire. Alors vos différences seront une force et une manifestation de mon amour pour le monde ».
Voilà ce que l'Éternel nous dit aujourd'hui, à nous de vivre de sa grâce !
Roland Kauffmann, pasteur, paroisse protestante réformée de Guebwiller, janvier 2023
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