Guebwiller, 26 mars 2023, culte musical avec Claire Ledain et Caroline Fest
Ils étaient prévenus ! Les disciples de Jésus ne pouvaient pas ignorer ce qui allait arriver à Jérusalem. Bien sûr qu'ils étaient angoissés et étaient dans la crainte, nous raconte l'évangile. On le serait à moins. Les menaces n'ont pas cessé depuis des mois, les prêtres et les sacrificateurs se sont succédés pour tendre des pièges à Jésus, pour parvenir à lui faire dire des choses qui pourront être utilisées contre lui. On a prétendu qu'il était un blasphémateur, un homme de mauvaise moralité fréquentant des femmes de mauvaises vie. On lui connaissait aussi un penchant pour les boissons fermentées, il avait bien changé un tonneau d'eau en vin. Certains ont même fait courir le bruit qu'il n'était pas très pieux : souvenez-nous, il laissait ses disciples cueillir des grains le jour du sabbat en disant, « l'homme n'est pas fait pour le sabbat mais le sabbat est fait pour l'homme ».
Il disait bien d'autres énormités comme « Aimez-vous les uns les autres ». À la rigueur, aimez ses amis, pourquoi pas ? Mais « aimez-vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous persécutent », voilà qui allait contre le sens commun ! Il froissait trop d'intérêts, il avait déçu trop de gens, tous ceux qui attendait qu'il rassemble le peuple d'Israël pour monter une rébellion, comme celle qui à l'époque des occupants grecs avait réussi à les chasser. À l'époque, c'était les deux frères Macchabées, Simon et Judas et leur père Mattathias qui avait fédéré les espoirs de la restauration de la grandeur d'Israël. Et le peuple les avait suivi et leur victoire avait restauré le culte et le temple. Mais pour unir les volontés contre un adversaire, il faut cultiver la colère, le sentiment d'injustice, le ressentiment, voire la haine. Il faut donner des raisons de haïr pour oser aller donner sa vie ensuite contre un envahisseur.
Et Jésus fait tout le contraire. Au lieu de rassurer ses disciples comme nous le ferions, « ne craignez rien, tout va bien se passer, Dieu est avec nous, il ne peut rien nous arriver », voilà qu'il leur dit l'incroyable « je serai arrêté, jugé, condamné et exécuté ». Alors que depuis trois ans, il leur a parlé du Royaume de Dieu son père, ils y ont crû. Mais alors pourquoi Dieu va-il laisser faire cette injustice ? C'est incroyable ! La lucidité de Jésus est intacte, il sait bien qu'il ne peut en être autrement et il accepte son sort avec sérénité, comme celui qui sait bien qu'il est dans son bon droit et qu'il est innocent de ce qu'on lui reproche.
Il est d'autant plus étrange qu'après l'annonce de la mort, les disciples ne réagissent pas particulièrement à l'annonce de la résurrection. On aurait pu s'attendre à des questions « que veut-tu dire par là ? On sait bien que tu ressusciteras comme nous ressusciterons tous à la fin des temps mais pourquoi 'trois jours après' ?». Nous l'avons dit lors de la dernière étude biblique, certains juifs de l'époque de Jésus, croyaient en la résurrection, d'autres n'y croyaient pas, c'était un sujet de débat. L'extraordinaire ici ce n'est pas l'annonce de la résurrection qui fait consensus parmi les disciples, c'est l'annonce que Dieu ne fera rien pour empêcher la mort de Jésus et surtout ce sont les « trois jours après » ! Voilà qui va à l'encontre de tout ce que les disciples pouvaient imaginer et ils devraient être en train de s'étonner, de lui demander, comment ? Pourquoi ? Qu'est-ce-que c'est ? Pourquoi dois-tu mourir ?
Parmi les disciples cependant il y en a deux qui ne perdent pas de temps. La mort, les trois jours, tout cela leur importe peu, ce qu'ils ont compris plus vite que les autres, c'est que leur maître va avoir une place importante dans le Royaume de Dieu et qu'il y a des places à prendre auprès de lui. Après tout, les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, ne sont-ils pas les disciples les plus anciens ? Les premiers qu'il ait appelés en leur disant qu'il ferait d'eux des « pécheurs d'hommes » ? Il y a bien cet ambitieux de Simon qui se fait appeler Pierre depuis que Jésus lui a fait miroiter un avenir glorieux « tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église ». « Oui mais nous, les anciens, nous sommes légitimes à demander d'être aux places d'honneur après la victoire. »
Il y a quelque chose d'absolument incongru dans la demande de Jacques et Jean, les fils de Zébédée. Et pourtant tellement humaine et naturelle. Nous aurions peut-être fait comme eux. « Si déjà on a renoncé à tant et tant de choses, maintenant que ça devient sérieux, il faut un retour sur investissement, il faut bien qu'on gagne quelque chose. On ne sait pas trop ce qui va arriver mais tant qu'à faire, si on peut être aux premières loges et être à la droite et à la gauche du maître, on n'aura pas perdu notre temps ». Voilà le raisonnement, somme toute assez pragmatique et logique de nos deux frères.
Et Jésus de doucher leurs espérances comme il l'a fait avec ceux qui voyaient en lui un rebelle qui allait chasser les Romains. L'attente des deux frères est similaire à celle de cette foule qui va bientôt accueillir Jésus en héros à son arrivée à Jérusalem. Nous verrons aux Rameaux à quel point les idées de la foule sont concrètes, celui qui entrera à Jérusalem est là pour établir le Royaume de Dieu, il y a des places à prendre, du pouvoir à se partager, pourvu qu'on ait la plus grosse part.
Servir plutôt qu'être servi
Et Jésus de faire un magnifique contre-pied en répondant aux deux présomptueux, « 'contrairement aux royaumes des hommes, dans le mien, pour être grand il faut être serviteur de tous : quiconque veut être le premier sera l'esclave de tous ». Les mots sont forts et disent bien ce qu'ils veulent dire. Le premier terme, celui qu'on traduit par « serviteur » c'est diakonos qui donnera le mot diacre et qu'on traduirait aujourd'hui par « assistant », le diacre c'est l'assistant du prêtre et un assistant d'un manager, c'est souvent son homme ou sa femme à tout faire. Tandis que le second terme, c'est doulos, qui veut bien dire « esclave », celui qui se doit entièrement aux autres. Le diakonos, serviteur, a encore un peu de liberté, on dirait aujourd'hui qu'il a une convention collective tandis que l'esclave n'a aucun droit si ce n'est celui de servir. Et les contemporains de Jésus, qu'ils soient Hébreux, Grecs ou Romains savent exactement ce que cela veut dire que d'être « esclave ». N'oublions jamais que ce sont des sociétés fondées sur l'esclavage qui savent parfaitement de quoi on parle.
Et Jésus d'aller encore plus loin dans le pas de côté. Alors qu'on espérait de lui qu'il mobilise les foules pour prendre les armes contre l'envahisseur comme l'avaient fait les glorieux ancêtres, alors qu'il devait galvaniser les foules pour que beaucoup acceptent de donner leur vie pour que quelques-uns ensuite puissent tirer les marrons du feu et retrouver leur pouvoir usurpé par l'occupant, voilà qu'au lieu d'appeler au sacrifice de beaucoup à son profit, il annonce son propre sacrifice.
C'est là que nous sommes dans l'incroyable, dans l'inimaginable et l'extraordinaire, dans le fait que le Fils de l'homme ne soit pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie pour la multitude. Au lieu de demander la vie de plusieurs, et au premier chef de ses disciples, comme le ferait n'importe quel rebelle, celui-ci, celui qui vient pour annoncer le Royaume de Dieu vient nous dire, simplement, à nous qui croyons en lui aujourd'hui : « si tu veux me suivre, fais comme moi, mets-toi au service inconditionnel de ton prochain et donne-lui ta vie s'il le faut car il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie (Jean 15,13) » c'est comme ça et pas autrement que tu entreras avec moi dans le Royaume de Dieu et que toutes choses seront nouvelles, parce que les relations entre les hommes seront fondamentalement différentes, qu'elles ne seront plus basées sur des rapports de force ou de pouvoir mais sur le service réciproque.
À Jacques et Jean mais aussi à toi et moi qui voulons toujours être les plus grands, Jésus répond « quiconque veut être grand parmi vous, sera votre serviteur ». Alors, allons-y et cherchons chacun à être plus grand que notre voisin, à être le premier dans la communauté, autrement dit soyons tous en concurrence les uns avec les autres dans le service les uns des autres.
Roland Kauffmann
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