top of page
Photo du rédacteurThierry Holweck

Que cela soit l'espérance de notre Noël

Dernière mise à jour : il y a 6 jours

Ensisheim 22 décembre 2024 – 4e avent




Ghirlandaio, Domenico "La Visitation avec Marie-Jacobie et Marie-Salomé", 1491, huile sur toile, Musée du Louvre, Département des Peintures



Dans cette belle période de Noël, le récit par Luc de cette rencontre entre deux femmes enceintes est un épisode de douceur qui contraste avec la représentation traditionnelle que nous pouvons avoir de Marie. En effet, la culture et l'art populaire ont fait de Marie un être assez extraordinaire sans même parler de ce qu'en a fait la théologie de l'Église dans les premiers siècles de notre ère.


Alors qu'il commente ce même texte, et plus particulièrement ces si beaux versets 41-42 – le tressaillement de l'enfant dans le sein d'Élisabeth et l'exclamation « Tu es bénie entre toutes » - le 26 janvier 1909, Albert Schweitzer raconte à ses paroissiens de l'église Saint-Nicolas, l'admiration qu'il ressentait étant enfant devant la magnifique statue « richement colorée et dorée » de l'église simultanée de Gunsbach. Il dit toute l'émotion qu'il éprouvait et affirme même « qu'il souffrait littéralement à l'idée qu'une telle statue ne nous appartienne pas, à nous protestants. »1


Il est vrai que, non seulement les statues et toute autre formes de représentation de Marie sont absentes de nos églises et c'est aussi la personne de Marie elle-même qui est singulièrement absente de notre spiritualité protestante. Pour utiliser un mot à la mode, elle a en fait été d'une certaine manière « invisibilisée ». Évidemment qu'il était important pour les réformateurs de s'écarter de la piété mariale qui se manifestait dans les églises romaines et qu'il fallait éviter de tomber dans une forme de superstitions qui revenait à faire de Marie, une sorte d'incarnation féminine de Dieu. Évidemment que la théologie de l'Église n'a jamais voulu faire de Marie, une sorte de quatrième personnage de la Trinité ! Les explications sont nombreuses pour préciser qu'elle n'a jamais d'autre fonction que d'être intercesseur, ou faut-il dire « intercesseuse » ?, envers son fils et envers le Père mais il faut bien reconnaître que c'est assez complexe et que dans bien des cas, la foi du peuple catholique, au temps de la Réforme et aujourd'hui, se dirige vers elle, vers cette « Reine des cieux », vers cette « mère de Dieu » comme l'appelle Schweitzer.


Écarter de l'esprit des fidèles toute tendance superstitieuse est évidement fondamental pour les Réformateurs comme cela doit toujours l'être pour nous aujourd'hui. Il n’empêche ! En faisant de Marie, un simple véhicule, chargé de porter l'incarnation de Dieu et ensuite n'ayant plus qu'un rôle accessoire dans la vie de Jésus, on risque de passer à côté d'une dimension essentielle du message du Christ.


C'est d'ailleurs sans doute pour cela que Luc nous raconte cette rencontre entre Marie et sa cousine Élisabeth. Souvenez-vous des autres évangiles qui ne nous racontent pas tous la même histoire de l'enfance de Jésus. À commencer par le plus ancien d'entre eux, l'évangile de Marc qui n'éprouve pas le besoin de raconter les circonstances de la naissance de Jésus. Seuls lui importent sa vie, son œuvre, sa mort et sa résurrection. Le dernier des évangiles, lui non plus, ne nous dit rien de l'enfance de Jésus. Il se contente, si l'on peut dire, d'affirmer que Jésus est la Parole et qu'il était auprès de Dieu dès avant le commencement du monde. Matthieu commence son évangile par l'annonce à Marie et ensuite la naissance à Bethléem. Luc est le seul à nous raconter ce qui s'est passé avant tout cela.


Avant de parler de Jésus, Luc nous parle de l'autre prophète du temps, c'est-à-dire de Jean-Baptiste. C'est important parce que Jean-Baptiste n'est pas n'importe qui. Ce n'est pas seulement cette voix criant dans le désert, c'est aussi le guide d'une foule de disciples qui, comme les disciples de Jésus parcourent le pays et il y a une réelle concurrence entre les deux. C'est seulement au moment où Jean-Baptiste sera décapité par Hérode que ses disciples se rallieront à Jésus. Et dans les premières communautés chrétiennes, auxquelles s'adresse Luc, il y a encore des gens qui se revendiquent de cet héritage du baptiste, c'est-à-dire qui considèrent qu'il faut avant tout entrer dans une démarche de repentance pour éviter la colère de Dieu. Alors que les plus nombreux, devenus chrétiens par le ministère de l'apôtre Paul, de culture hellénistique, suivent le Christ parce qu'ils sont persuadés de l'antériorité de la grâce et de l'imminence du Royaume de Dieu.


Le début de l'évangile de Luc a pour but d'éclaircir la relation entre les deux traditions, entre celle du Baptiste et celle du Christ. Elle vise à la fois à la respecter, en lui donnant toute sa place mais aussi rien que sa place. Il s'agit pour Luc de remettre de l'ordre : Jean est le précurseur de celui qui devait venir et non pas celui qui était attendu. Cela paraît évident pour nous aujourd'hui mais ne l'était pas pour les premiers fidèles. Et c'est pourquoi les deux cantiques, celui de Marie, le Magnificat, et celui de Zacharie se répondent, le second expliquant le rôle de Jean dans la venue du royaume.


De même Élisabeth, la parente de Marie. Elle est aussi vieille que Marie est jeune. Elle est si vieille qu'elle ne peut plus avoir d'enfants, et d'ailleurs Luc ne manque pas de souligner qu'elle était stérile et qu'elle et son mari, Zacharie, étaient d'un âge avancé. Il faut l'intervention d'un ange, ce même Gabriel que l'on reverra auprès de Marie, pour que Élisabeth soit enceinte. Évidemment toute ressemblance avec l'annonce faite à Sarah, la femme d'Abraham, elle aussi stérile et d'un âge fort avancé n'est absolument pas fortuite.


Au contraire, Élisabeth et Zacharie représentent toute l'histoire du peuple d'Israël. Elle est descendante d'Aaron, frère de Moïse. Zacharie est sacrificateur dans la pure tradition du temple et ce qui se passe au moment de la rencontre avec Marie, c'est en fait la reconnaissance par Élisabeth de l'importance de Marie et donc de la supériorité du fils de Marie sur le sien propre ou pour le dire autrement, c'est dès l'ouverture de l'évangile ; faire une place à la tradition d’Israël mais pour mieux la soumettre à celui qui est le Christ, autrement dit c'est la soumission de la Loi à la grâce, ce qui est le thème central de l'évangile de Luc.


Cette rencontre est décidément importante parce qu'elle raconte aussi toute l'humanité qui est ici en jeu. Avant tout c'est la rencontre entre deux femmes qui ont en commun de se préparer à être mère et qui portent l'une et l'autre ce mélange d'espérances et de craintes pour leur enfant. Évidemment que Noël, ce sont les anges dans les campagnes, l'étoile dans le ciel ou encore les rois mages amenant leurs cadeaux précieux mais c'est d'abord, un enfant et avant même cela, c'est toute l'expérience indicible de la maternité, une expérience que les hommes ne peuvent vivre que par procuration ou plutôt ne peuvent qu'y participer, de la meilleure manière on peut l'espérer.


En nous racontant cette rencontre, Luc nous parle de notre humanité. Avant de raconter l'extraordinaire de la naissance puis de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus, Luc nous parle de nous et ce sont toutes nos espérances et nos craintes à nous qui sont dans ce court et beau passage. Ce mélange de joie et de peur, inséparables de toute enfantement, qui commence dès ce tressaillement de vie et ne cessera jamais, tout au long de la vie de l'enfant que l'on met au monde.


Luc exprime ici toute l'émotion, toute la tragédie humaine, à l'exemple des grandes œuvres de la culture de son époque. Il écrit pour des Grecs et des Hébreux, à ceux-là il parle de Sarah et Abraham et aux autres, il évoque ces femmes qui ont dit toute l'angoisse de la vie, comme Andromaque par exemple.

Nul ne peut savoir ce que cela signifie que de ressentir la vie éclore en soi, à part celles d'entre-nous qui l'ont vécu. Et je trouve que c'est assez extraordinaire que Luc ait choisi d'ouvrir son évangile de cette manière, en magnifiant ces deux femmes, si proches et si éloignées l'une de l'autre comme de nous aujourd'hui. Il les honore ainsi l'une et l'autre, certes Marie un peu plus qu'Élisabeth mais surtout il nous dit quelque chose de particulier.


En décrivant l'émotion d'Élisabeth, il rejoint nos propres émotions et nos propres sentiments et il installe ainsi chez son lecteur, c'est-à-dire chez nous, cette proximité qui nous permet de comprendre que l'histoire qui va suivre, va être de la même veine, qu'elle va nous concerner au plus intime de nous-mêmes, de la même manière que cette interpellation d'un enfant qui reconnaît dès le ventre de sa mère l'appel de la vie.


C'est cela que manifeste l'enfant que porte Élisabeth : la vie appelle, la vie reconnaît la vie, la vie tressaille d'allégresse devant la vie qui vient. Une vie qui dépasse la vie que nous en voyons. Elles sont bénies ces femmes, Élisabeth et Marie, bien plus dans cette humanité qui s'exprime ici que dans toutes les légendes que l'on a pu construire ensuite, notamment autour de Marie. Et avec elles, c'est nous qui le sommes aujourd'hui dans notre humanité avec nos failles, nos peurs et nos espérances.


L'évangile nous parle de nous. C'est un des grands principes que nous devons à Schweitzer entre autres. Cette compréhension des textes bibliques comme n'étant pas seulement des textes pour le passé mais nous concernant aujourd'hui parce qu'ils racontent nos propres sentiments et nos représentations de la vie. Soit pour les critiquer soit pour les encourager, soit pour consoler soit pour exhorter. Dans chaque texte, il importe de savoir où nous sommes.


Ce qui compte ici pour Luc ce n'est pas le destin des deux enfants, il sera tragique, nous le savons parce que nous connaissons la suite de l'évangile. La seule chose qui lui importe à ce point de son récit et qui doit nous conforter, c'est l'humanité de ces deux femmes qui portent la vie.


Une vie qui aujourd'hui pour nous n'est pas seulement physique. La vie dont il est ici question ne concerne heureusement pas que les femmes, enceintes ou non. Chacun et chacune d'entre-nous nous pouvons ressentir le tressaillement d'allégresse parce que nous entendons le Christ répondre à notre âme dans sa détresse ; lorsque nous éprouvons sa présence, dans la prière ou dans l'action. Lorsque, dans les circonstances de l'existence, nous sentons que nous touchons, non pas au but mais que nous sommes pleinement présent à l'autre, pleinement dans la vie selon l'esprit du Christ. Au plus près possible de ce que nous croyons et espérons, ce mystère, au sens non pas de quelque chose de magique ou d'incompréhensible mais au sens d'une évidence qui se forge dans notre esprit, dans notre conscience, dans notre intelligence, dans notre cœur, dans notre âme ou dans notre corps.


Ce moment de la plénitude où nous sommes en communion avec nous-mêmes, avec les autres, avec le monde qui nous entoure et avec Dieu, où nous sommes pleinement réconciliés avec Dieu, c'est cela que nous racontent Élisabeth et Marie : cet instant fragile et éphémère où tout est déjà contenu et va se déployer comme un arbre. Ainsi est notre vie spirituelle, née d'un instant de conviction et d'émotion, et qui doit se déployer pour donner toute sa mesure et devenir à son tour parole de Dieu, parole d'amour pour ce monde que nous sommes appelés à transformer à l'image du Royaume de Dieu.


Que cela soit l'espérance de notre Noël.


Roland Kauffmann



1 Sermon du 26 décembre 1909, traduction Jean-Paul Sorg (lire dans son intégralité en cliquant ci-dessous :


16 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page