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Photo du rédacteurThierry Holweck

Philippe et l'Éthiopien - Actes 8, 26-39

Guebwiller, 21 avril 2024, baptême Victor Bakatselos


Extrait du ménologe de Basile II - Xème siècle



Tout commence par une question

« Comprends-tu ce que tu lis ? » C'est ainsi que de manière un peu abrupte, Philippe, pasteur de la toute jeune Église chrétienne, s'adresse à ce haut-fonctionnaire étranger qu'il croise sur la route qui mène de Jérusalem à Gaza. Une route déserte à cette époque et tristement célèbre aujourd'hui en raison de la folie meurtrière d'une guerre injuste qui dévaste au moment même où nous parlons les fondements même de l'humanité dans ce petit bout de terre où s'affrontent les haines ancestrales.


Nous n'en sommes pas là. Le récit d'aujourd'hui nous ramène en un temps de paix et de sérénité où il était possible de voyager en sécurité, de prendre son temps de lire et d'expliquer la Bible et de célébrer un baptême impromptu au bord du chemin. Et le petit Victor que nous venons de baptiser avec un peu d'eau et surtout beaucoup d'amour de la part de notre communauté et de sa famille, s'inscrit ainsi dans cette lignée qui remonte aussi loin dans le temps.


Victor, toi qui es encore un enfant, tu entre ainsi dans une nouvelle famille où tu trouveras ta place et qui t'accueillera toujours. Une famille qui est différente de celle que tu connais, celle de ton papa et de ta maman. Celle-ci tu la connais bien. Ce sont eux qui prennent soin de toi et veillent à tout ce dont tu as besoin pour grandir en force et en intelligence. Et comme l'a magnifiquement chanté ton papa en te faisant ce cadeau, tu seras toujours, quoi qu'il arrive, tu seras riche. Riche d'avoir un père, et une mère bien sûr.


Alors tu pourrais te demander : « pourquoi faire avoir une autre famille que la mienne ? », « je n'en ai pas besoin et d'ailleurs qui sont ces gens que je ne connais pas et qui disent maintenant qu'ils sont « ma famille » ? Et c'est normal que tu te poses ces questions, tu es un enfant. Mais dans notre histoire, tu l'as entendu, il n'y a pas que des enfants qui se posent des questions. Tu n'es jamais allé en Éthiopie. C'est un pays d'Afrique et tu peux te demander, en tout cas, c'est sans doute ce que se demandent les adultes dans ce temple aujourd'hui ce que faisait ce haut-fonctionnaire de la reine d'Éthiopie si loin de son pays. Pourquoi un personnage si important, on nous dit qu'il est le surintendant, c'est-à-dire l'administrateur de toutes les richesses de la reine, était-il tout seul sur son chariot ? En fait, il était certainement entouré d'une escorte nombreuse pour veiller sur sa sécurité. Mais c'est comme dans toutes les histoires, il ne faut pas trop s'encombrer de détails qui détournent de l'essentiel.


Voilà donc notre ministre, ce personnage très puissant qui est en train de se poser énormément de questions parce qu'il lit le livre du prophète Ésaïe et qu'il ne comprend rien à ce qu'il est en train de lire. Comme ça nous arrive parfois à nous aussi lorsque nous lisons ces vieux textes qui ont plusieurs milliers d'années. À l'époque de notre Éthiopien, le texte qu'il lit est déjà vieux de plus de 500 ans. Il raconte une histoire que le haut-fonctionnaire, malgré sa richesse et son pouvoir, son intelligence, ne peut pas comprendre vraiment parce qu'elle est trop ancienne et que tout lui est devenu étranger dans ce vieux livre qu'il se sent malgré tout obligé de lire comme on est obligé de lire des règlements ou de faire sa déclaration d'impôts.


Parce que ce fonctionnaire n'est pas là par hasard. Il était à Jérusalem, la capitale du peuple juif pour « adorer », c'est-à-dire remplir ses obligations religieuses car il est juif lui-même. Et oui, aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd'hui, il y avait au temps de Jésus, des juifs partout dans le monde connu. Il y en avait à Rome, en Espagne, en Inde et donc aussi en Afrique. En Éthiopie, il y avait des Juifs depuis le voyage d'une reine de ce pays qui était venu rendre visite au roi de Jérusalem, Salomon. Et quand je dis qu'il y avait des juifs en Éthiopie, ce ne sont pas des Juifs qui seraient allés s'y installer mais des Éthiopiens qui avec leur reine et surtout avec le fils qu'elle aurait eu avec Salomon, auraient adopté la foi de Moïse, aurait ainsi délaissé le culte de leurs anciens dieux pour servir et adorer le Dieu unique, celui de Jérusalem. En d'autres termes, des Éthiopiens, des siècles avant notre histoire ont adopté une nouvelle religion, ils se sont convertis à la Loi et aux prophètes. Ils sont restés évidemment éthiopiens mais sont devenus juifs de cœur et de convictions.


Et notre homme puissant est héritier de cette tradition et comme sa religion l'y oblige, il va faire un pèlerinage à Jérusalem comme aujourd'hui encore, certaines religions obligent à faire un pèlerinage dans des lieux saints. On ne sait pas forcément pourquoi on y va mais on sait qu'on doit y aller !


C'est certainement dans cet état d'esprit que se trouve notre ministre des finances de la reine d'Éthiopie quand il croise sur sa route cet individu qui courre vers lui. Et malgré la différence de statut, malgré son escorte, malgré sa puissance, il le laisse monter sur son char. Il faudrait imaginer aujourd'hui Bruno Lemaire ou un autre personnage puissant de l'État qui laisserait monter dans sa voiture le pasteur de Guebwiller pour que celui-ci lui explique l'Évangile. C'est quelque chose d'aussi inouï que ça qui est en train de se passer dans notre texte du livre des Actes des apôtres.


Et notre homme, si puissant, si important, si expert dans les affaires de son pays et si dévoué sans doute au service de sa reine, est exactement comme toi Victor du haut de tes cinq ans, comme nous tous qui de là où nous sommes, ne comprenons pas forcément tout ce qui nous arrive, ni tout ce que nous lisons. Et comme toi, et comme l'Éthiopien, on se pose des questions en lisant : « Pourquoi ? De qui parle-t-on dans la Bible ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Pourquoi continuer à lire aujourd'hui des textes qui sont tellement éloignés de tout ce que nous vivons aujourd'hui ? Pourquoi continuer des rites si étranges comme le baptême ? Pourquoi perpétuer des traditions alors que plus personne n'y comprend rien ? » On a le droit de se poser ces questions, comme le fait notre puissant personnage et comme tu le fais, Victor.


Avez-vous remarqué ce qui est nouveau, ce qui est étonnant dans ce texte et en quoi il est à la fois profondément actuel et intemporel à la fois ? Actuel au sens où il nous dit quelque chose d'essentiel pour nous aujourd'hui en 2024 et intemporel au sens où il nous dit quelque chose de fondamental sur ce que c'est que l'humanité, celle d'aujourd'hui comme celle de hier et de tous les temps. Dans le livre des Actes que vous relirez à la maison, les apôtres et les pasteurs prêchent. Ils se mettent sur des escaliers ou des points hauts, comme notre chaire aujourd'hui pour être entendus. Ils parlent à des foules qui soient adhèrent à l'Évangile soit le refusent. Dans le premier cas, les prédicateurs sont honorés, dans le second, ils reçoivent des pierres. Mais avec le récit de la rencontre de Philippe avec l'Éthiopien, c'est un dialogue qui s'instaure.


Une caractéristique anthropologique


Un dialogue entre deux personnes sur le mode des questions réponses, sur le mode de la conversation. Bien sûr que le récit ne rentre pas dans le détail mais c'est comme ça qu'il faut l'entendre. Philippe et l'Éthiopien se sont posés des questions réciproques et de leur conversation est née la conviction de l'Éthiopien que Jésus est bien celui qui était annoncé, qu'il est bien le Fils de Dieu. Cette conversation fait écho aux nombreuses conversation que Jésus lui-même a eu avec ses auditeurs ou ses contradicteurs. Et voilà ce qui est intemporel : l'homme, depuis qu'il est homme, est un être de dialogue. Un être qui s'épanouit dans la conversation. Avez-vous remarqué que nous avons de la peine à écouter un discours qui dure plus que quelques minutes mais que nous n'avons aucune difficulté à entretenir une conversation qui peut durer des heures ? Comme celle qu'ont dû avoir Philippe et notre Éthiopien.


L'être humain est fondamentalement dialogique, il est un être de dialogue et les anciens ne s'y sont pas trompés. C'est bien pourquoi le grand Platon met en scène son maître Socrate dans des « dialogues », c'est toujours le jeu des questions et des réponses. Et le texte biblique ne fait pas exception : il nous raconte d'innombrables conversations entre différents personnages. Au premier chef, la conversation entre Dieu et Adam, puis entre Abraham et Dieu au moment du sacrifice d'Isaac ou encore entre Moïse et Dieu au moment de la remise de la Loi, ou entre Jésus et son père dans le jardin juste avant la croix. Tous les textes bibliques sont des questions qui nous sont posés et acceptent que nous les interrogions à notre tour.


Les choses ne se figent justement qu'à partir du moment où l'on ne peut plus poser de questions, lorsque tous nos pourquoi se heurtent aux murs des réponses toutes faites. Quand nous demandons « pourquoi ? » et qu'on nous répond « parce que ! », nous savons que c'est mort, qu'il n'y a plus rien à faire.


Mais que fait un enfant comme toi Victor quand on lui répond « parce que ! » ? et bien il repose la question, encore et encore et si on ne la lui donne pas, il la cherche jusqu'à ce qu'il l'ait trouvée. Et nous tous qui sommes ici, nous sommes comme toi, nous sommes comme l'Éthiopien, nous posons des questions et nous cherchons les réponses. Et votre pasteur, serviteur de l'Évangile comme l'était Philippe, n'est pas là pour vous donner les réponses mais pour poser des questions en retour et ensuite faire comme Philippe chercher ensemble comment vivre aujourd'hui dans l'anticipation du Royaume de Dieu. Car c'est cela que fait Philippe lorsqu'on nous raconte leur échange au verset 35 « Philippe commençant par ce texte [qu'était en train de lire l'Éthiopien] examina avec lui tout ce qui concerne le Christ dans les Écritures1 ». Et cela de manière à ce qu'il comprenne par lui-même au point d'en parvenir à sa confession de foi.


Et c'est exactement le chemin que nous avons à faire ensemble et qui vient de commencer pour toi, Victor. Car devant les choses de la foi, la lecture de la Bible et la recherche du sens de notre vie, nous sommes toujours, ou en tout cas, devrions être comme des enfants, émerveillés certes mais en même temps toujours à poser des questions, à découvrir, à examiner pour chercher à comprendre et donc à grandir. Mais et c'est là que se trouve la force de notre texte, on ne se pose pas des questions tout seul, en tout cas pas tout le temps.


Il vient un moment et c'est le moment qui nous est décrit ici, où il faut un autre, un interlocuteur qui examine avec nous, qui par le jeu des questions et des réponses croisées va chercher avec nous et cela dans un processus constant. Le rôle de tes parents, Victor, n'est pas seulement de te donner des réponses mais au fur et à mesure où tu grandiras, de passer des réponses aux questions pour grandir ensemble, toi et tes parents. Et cette autre famille dont je parlais au début, cette famille dans laquelle tu es entré aujourd'hui par ton baptême a aussi ce rôle à jouer que de te proposer des questions pour que par tes réponses que tu lui apporteras, tu l'aide à grandir et à mieux témoigner de sa foi dans le monde aujourd'hui.


Et cette famille spirituelle n'est pas seulement dans ces murs du temple de Guebwiller, elle est dans le monde entier. Elle a de nombreuses formes différentes mais partout toujours aussi longtemps que tu le voudras tu y trouveras ta place et pourras être comme l'Éthiopien et comme Philippe, tu pourras poser tes questions et chercher avec les autres membres de l'Église les réponses.


As-tu remarqué, Victor, que je n'ai pas parlé du troisième personnage de notre récit ? Notre histoire s'ouvre et se ferme par la présence de l'Esprit du Seigneur, ce qu'on appelle le Saint-Esprit. Celui-ci ne se voit pas et comme souvent c'est ce qu'on ne voit pas qui est le plus important. En effet, ce n'est pas Philippe qui explique à l'Éthiopien ni celui-ci qui trouve. Il y a ce troisième personnage, celui qui est entre eux et qui vient pour éclairer leur intelligence et ouvrir leur cœur. Sans l'Esprit, rien n'est possible, ni pour Philippe et l'Éthiopien, ni pour nous aujourd'hui. Sans l'Esprit, l'eau de ton baptême ne serait jamais autre chose que de l'eau. Mais avec l'Esprit, elle est devenue le signe de la résurrection et de la vie éternelle.


Roland Kauffmann


1 C'est ainsi que je traduis « εὐηγγελίσατο αὐτῷ τὸν Ἰησοῦν » euēngelisato autō ton Iēsoun habituellement traduit par « lui annonça la bonne nouvelle de Jésus »

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