Guebwiller 2 juillet 2023
Le texte d'aujourd'hui dans cette première lettre de Pierre nous invite à réfléchir à l'une des quatre fonctions de l'Église. Permettez-moi de vous rappeler brièvement quelles sont ces fonctions.
La première fonction, telle qu'elle a été formalisée par les Pères de l'Église et reprise par les Réformateurs du XVIe siècle est la fonction communautaire : l'Église est par définition une « assemblée », la réunion de ceux qui ont appelés par le Christ et qui répondent à cet appel. Dire cela, c'est dire que l'Église n'est pas une association qui n'importe quelle autre. C'est dire qu'elle ne s'appartient pas à elle-même et surtout qu'elle ne se résume pas à ce que nous en voyons. La communauté que nous formons ici à Guebwiller en est une petite partie et de même notre Église régionale ne résume pas l'Église du Christ, cette Église se trouve en réalité répartie dans bien d'autres communautés ou bien d'autres confessions.
La seconde fonction, celle qui est à l'honneur dans notre texte, c'est l'annonce publique de l'évangile et j'y reviendrai tout à l'heure puisque c'est le sujet de notre méditation d'aujourd'hui.
La troisième fonction, c'est la fonction liturgique, l'administration des sacrements, baptême et cène. C'est celle que nous allons célébrer tout à l'heure. Par ses rites et sa représentation symbolique, l'Église fait à la fois communauté et proclamation. Nos sacrements sont des annonces de l'évangile de la grâce inconditionnelle de Dieu et de notre participation au royaume de Dieu. Le baptême est l'annonce de la grâce quand la cène est l'annonce de notre engagement à produire les fruits de la grâce.
Enfin la quatrième fonction, c'est l'action caritative, ce que l'on appelle l'action diaconale, le service des pauvres et des opprimés, de tout ceux qui ont besoin de cette solidarité concrète qui manifeste l'amour de Dieu pour l'humanité et se réalise dans l'amour de notre prochain.
Koinonia, Martyria, Liturgia, Diakonia, tels sont les noms savants de ces fonctions ; communauté, témoignage, liturgie, diaconie sont les noms usuels et plus communs. Mais, et c'est la raison pour laquelle j'utilise les noms grecs, vous avez entendu que la deuxième fonction, la proclamation publique de l'évangile, porte le nom de Martyria, qui a évidemment donné le mot de martyr avec toute la charge symbolique attachée à ce mot. Le témoin de l'évangile est un martyr, ce qui, il faut l'avouer, ne nous donne pas très envie d'être témoin, car aucun d'entre-nous ne voudrait aujourd'hui, à priori, mourir pour sa foi. Être témoin, on veut bien, martyr c'est déjà moins intéressant.
Or, ce texte de Pierre est toujours cité dans les réflexions d'Église concernant l'évangélisation, l'annonce de l'évangile, notamment son verset 15 « soyez toujours prêts à rendre compte de l'espérance qui est en vous » ou suivant une autre traduction possible « soyez toujours prêts à vous défendre contre quiconque vous demande raison de l'espérance qui est en vous ». L'on insiste alors beaucoup sur le fait d'être « toujours prêts », il convient de saisir toutes les occasions de témoignage, parfois à temps et à contre-temps. Il faut toujours avoir le Christ à la bouche et annoncer l'évangile partout et tout le temps, quitte à lasser voire à agacer, car ce serait le signe du courage de celui qui témoigne ainsi de sa foi.
Le problème c'est qu'on ne lit pas tout le texte. Et notamment, on a tendance à oublier cet élément essentiel qu'introduit Pierre, à savoir la souffrance. Cette souffrance dont il nous parle juste après « mieux vaut souffrir en faisant le bien, si telle est la volonté de Dieu, qu'en faisant le mal ». Et outre la question de la souffrance, on oublie souvent aussi quand il s'agit de « proclamation publique de l'évangile » que Pierre parle de « rendre compte », de « se défendre contre ceux qui nous demandent raison » et la dimension de martyr de revenir comme si elle était inséparable de la notion de témoignage.
À l'époque de cette lettre de Pierre, la situation des Églises a bien changé par rapport aux enthousiasmes des origines. Après la Pentecôte, les disciples se sont répandus et ont fondé de petites communautés qui vivent dans la joie d'avoir découvert le Messie. Paul, l'apôtre évangélisateur par excellence, va répandre cette bonne nouvelle au-delà de la Palestine. Les choses seront parfois difficiles mais globalement les Églises croissent et se multiplient. Elles restent de petites communautés qui vivent charitablement entre elles et tentent d'exister dans la société hellénistique de l'époque.
Mais rapidement les choses changent et pour masquer l'impéritie du pouvoir impérial et sa propre folie, l'empereur Néron cherche des coupables après l'incendie qui a ravagé Rome en l'an 64. Et les chrétiens font des coupables tout trouvés. Ils sont nombreux, mal connus, viennent de couches populaires et ne représentent pas de réelle menaces puisqu'ils ne viennent pas des couches aristocratiques ou sénatoriales. Ils sont des boucs émissaires parfaits. Comme quoi le complotisme ne date pas d'hier. Et c'est dans ce contexte que les chrétiens, à Rome mais aussi partout dans l'empire vont être amenés à comparaître devant des tribunaux ou devant des cours populaires et où ils seront amenés à « rendre compte », à « se défendre ».
Témoigner c'est prendre un risque
Et c'est pourquoi Pierre les incite et nous avec eux à être irréprochables. À faire le bien autant qu'il leur est possible, à ne pas rendre le mal pour le mal mais au contraire à bénir ceux qui les persécutent (v.8) et en toutes choses à se défendre avec « douceur et respect », autrement dit sans recourir à la ruse, à la dissimulation ni à fortiori à la violence qui serait incompatible avec l'esprit de l'évangile.
Tout au long de l'histoire, cette réalité s'est manifestée toujours à nouveau. À chaque étape de notre histoire le témoignage aura été une prise de risque et une nécessité morale, sauf à courir le risque non seulement de la mort mais aussi du déshonneur moral. Ils ont été nombreux, nos pères dans la foi qui ont osé défendre leur héritage spirituel et simplement avec douceur et respect rendre compte de leur espérance.
Certes quand je parle de « douceur et respect », ce ne fut pas toujours le cas. Certains ont pris les armes parce qu'il le fallait bien pour ne pas tout perdre, je pense là aux confédérés zurichois avec Zwingli, d'autres ont pris le chemin de l'exil ou du retrait, je pense là aux Huguenots ou encore aux Mennonites d'autres ont patiemment subi et cultivé un esprit de résistance qui passait parfois par la dissimulation ou en tout cas par la prudence comme ces protestants qui n'eurent pas la possibilité de fuir la France fille aînée de l'Église. Mais ces cas de résistance têtue ne remontent pas seulement aux siècles passés.
Les dernières décennies ont été l'occasion pour les Églises de cultiver leur esprit de résistance, c'est-à-dire d'affirmation publique de l'évangile, à la fois contre les barbaries nazies et soviétiques. Et hier soir à Soultz, nous avons utilisé la déclaration de foi de l'Église confessante de Barmen en 1934 comme fil rouge de notre liturgie pour nous rappeler qu'aujourd'hui encore nous avons à rendre compte de notre espérance.
Certes, nous, ici à Guebwiller, ne sommes en rien menacés. Nous pouvons vaquer à nos occupations et vivre les quatre fonctions de l'Église en toute sérénité mais n'oublions pas que nous ne vivons pas que dans notre vallée. Le monde qui est autour de nous avec son cortège de menaces nous concerne parce que c'est notre monde et que nous ne pouvons, ni ne voulons nous en retirer. Ce que nous dit Pierre, c'est que l'on ne peut empêcher le mal de survenir mais on peut éviter de le nourrir et de l'entretenir. Il dit en substance à ses lecteurs « vous ne pourrez éviter d'être un jour accusés d'avoir fait ceci ou cela, l'essentiel est que cette accusation soit fausse et que vous ayez la conscience pure de ce dont vous accusera ». « L'essentiel », nous dit-il, c'est que « ceux qui diffament votre bonne conduite en Christ soient confondus » (16).
Plutôt donc que d'avoir peur du monde, il nous faut redoubler d'action et de présence au cœur du monde, exactement comme le firent les premiers chrétiens, ceux à qui s'adresse Pierre.
Consolider notre communauté en recherchant en interne toujours plus d'amour fraternel en cultivant une communion de pensée et une solidarité réelle entre nous, c'est la première fonction.
Approfondir toujours plus avant ce qui fait la particularité de notre témoignage protestant helvétique et libéral pour pouvoir toujours en rendre compte avec intelligence et audace, c'est la deuxième fonction.
Cultiver la dimension symbolique de nos cultes en annonçant toujours l'inconditionnalité de la grâce de Dieu et le courage de l'engagement au service de la volonté de Dieu manifestée par le Royaume, c'est la troisième fonction.
Et enfin, servir nos frères et sœurs en humanité pour venir en aide aux plus fragiles, libérer les opprimés et soutenir les affaiblis, c'est la quatrième fonction.
Tel est le témoignage que nous voulons rendre, c'est ainsi que nous sanctifierons le Seigneur dans nos cœurs (15).
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