Culte de rentrée – dimanche 11 septembre 2022
Roland Kauffmann
« Avec quoi viendrai-je devant l'Éternel » ? Cette question que vous avez entendu dans le livre du prophète Michée résume à elle seule l'état d'esprit qui est le mien aujourd'hui devant vous : avec quoi me présenterai-je devant la paroisse de Guebwiller ? Devant ces fidèles qui viennent pour certains découvrir le nouveau pasteur, l'écouter pour savoir ce qu'il a à dire, si c'est intéressant, si ça vaut la peine de se lever le dimanche matin pour venir l'écouter. Avec quelle idée nouvelle ? Avec quelle nouvelle lecture innovante et surprenante vais-je donc pouvoir vous étonner, vous surprendre et en définitive vous intéresser. Car en effet, c'est l'enjeu permanent de toute prédication que de passer le cap des discours convenus et tièdes que l'on entend partout, c'est l'enjeu à chaque fois renouvelé que d'avoir une parole qui soit à la fois intéressante et qui concerne ceux qui l'écoutent.
Vous partager mon état d'esprit ce matin n'a d'autre intérêt que de partager avec vous en ce dimanche de rentrée deux ou trois choses que je crois importantes pour la communauté que nous formons ici ce matin. En effet, ma nomination parmi vous a été extraordinaire ! Extraordinaire au sens où elle n'a pas suivi la voie habituelle, celle qui veut que le pasteur pressenti se présente d'abord longuement à la paroisse, rencontre le conseil presbytéral, puis la paroisse lors d'un culte et surtout présente d'une certaine manière sa « carte d'identité » théologique lors d'un culte inaugural avec prédication en grande pompes. Lors de cette première prédication, le candidat fait en général assaut de belles formules, de phrases chocs et d'idées propres à séduire ceux qui veulent de la nouveauté tout en rassurant ceux qui veulent que rien ne change. Il faut en même temps conforter ceux qui ont une lecture évangélique de la Bible et exigent que l'on parle toujours du Christ sauveur du monde tout en encourageant ceux qui ont une lecture plus de type « Royaume de Dieu » pour qui l'évangile est avant tout un ferment de transformation de la société. Un numéro d'équilibriste parfois difficile tant il est vrai qu'à chercher à plaire à tout le monde on ne convainc personne !
Étant envoyé en mission auprès de vous, comme vous l'avez lu dans la presse, je peux donc vous parler franchement et me présenter à vous tel que je suis, tel que j'envisage mon ministère parmi vous et comment j'imagine, certains pourraient dire « comment je rêve » la vie de notre paroisse durant les deux années que je suis appelé à passer avec vous.
Alors rassurez-vous, je ne vais pas dérouler maintenant un programme d'actions diverses et vous dire que je vais faire ceci ou cela, que je mettrai en place telle ou telle activité. Tout cela est important mais doit d'abord être discuté en Conseil et avec vous. C'est pourquoi nous vous proposerons des rencontres débats régulières où en assemblée informelle nous échangerons et débattrons sur ce que nous voulons être comme communauté à l'horizon des dix à quinze ans qui viennent, donc bien au-delà de mon mandat.
Pour me présenter à vous, j'ai choisi ces trois textes que vous avez entendu tout à l'heure. En effet, j'ai souhaité placer notre année sous les auspices du prophète Michée, de l'apôtre Paul et, évidemment de Jésus lui-même.
Pourquoi le prophète Michée ? Voilà un prophète dont on parle peu, rien à voir comparé aux grands prophètes que sont Ésaïe, Jérémie ou Ézéchiel. Michée on ne sait parfois même pas le trouver parmi les petits prophètes. Celles et ceux d'entre vous qui ont reçu et lu ma présentation savent qu'il s'agit avec ce texte de Michée 6, 8 de mon verset préféré « On t'a fait connaître… ». Je dois à la vérité de dire que j'ai plusieurs versets préférés et que les trois textes que j'ai choisis ce matin en font tous les trois partie. Mais ce verset de Michée est particulièrement cher à mon cœur tout simplement parce que c'est mon verset de confirmation. Celui que j'avais choisi après deux années de catéchisme et alors que je n'avais évidemment aucun projet de devenir pasteur. C'est, je crois, un des premiers gestes personnels que j'ai eu l'occasion de faire que de me choisir ainsi ce que je voyais alors comme une sorte de devise. Et je suis extrêmement reconnaissant au pasteur d'alors, en retraite aujourd'hui, de nous avoir à l'époque donné une telle importance.
Nous avions été nourris d'esprit critique, de confrontation entre les textes bibliques pour en dégager les cohérences et des lignes de force pour nos vies. Le catéchisme n'avait pas pour seul objet de nous apporter des connaissances sur la Réforme, sur la Bible, sur l'Église, sur la Foi. Il n'avait pas non plus pour objet de nous amener à la foi mais de nous donner les moyens de comprendre, de réfléchir, de décider et d'agir en individus libre et responsables.
L'intention du catéchisme sera toute entière dans cette phrase «On t'a fait connaître, à toi de jouer ! » Avec les catéchumènes que nous avons rencontré hier et qui sont là aujourd'hui, c'est dans cette aventure de découverte que nous allons nous embarquer et nous aurons besoin de toutes la communauté pour ce voyage. J'espère être un capitaine qui vous aidera à hisser vos propres voiles et à mener votre propre barque.
Mais si j'ai choisi Michée c'est aussi pour une autre raison qui dépasse le catéchisme. C'est parce que, parmi tous les prophètes, Michée est celui qui parle du Royaume de Dieu et du rétablissement de Jérusalem. Vous lirez le chapitre 4 où il décrit cette ère nouvelle où il annonce « De leurs épées, ils forgeront des socs Et de leurs lances des serpes ». C'est dire que tout ce qui a pu servir à se dresser les uns contre les autres, toute l'énergie utilisée pour lutter contre soi-même, en divisions et en inquiétudes, tout cela peut et doit être réorientée vers les semailles et la construction d'un avenir désirable pour tous. Ce que nous dit Michée, c'est qu'il y a un avenir désirable devant nous et qu'il n'est pas nécessaire d'attendre le Royaume de Dieu, la fin des temps, la venue du Messie pour que cet avenir advienne puisque nous avons entre les mains tout ce qu'il faut pour construire la fraternité. Il nous dit que si nous voulons la paix dans le monde, et qui ne la voudrait pas ?, il nous faut d'abord faire la paix en notre sein, dans notre communauté, dans notre paroisse et cela passe d'abord par la décision de chacun d'entre-nous de faire la paix avec lui-même.
J'ai choisi Michée parce qu'il dit à Israël qu'il est aimé de Dieu et de même Michée nous dit que Dieu aime la paroisse de Guebwiller. La paroisse de Guebwiller est une très belle paroisse, riche d'une histoire et forte d'un enracinement dans son territoire et nous n'avons tout simplement pas le droit de laisser s'abîmer cet héritage que nous avons reçu de nos pères. Parce que nous sommes porteurs d'une parole que nul autre que nous n'a, parce que dans toute la diversité du paysage religieux, le protestantisme issu de la Réforme a encore et toujours un message original et particulier à porter dans le monde. Et cette parole, la Parole de Dieu que nous lisons avec Luther, Calvin, Zwingli et toute la tradition réformée helvétique doit exister à côté des lectures évangéliques, catholiques romaines ou des autres religions. Elle doit aussi exister dans la société avec le discours laïc et républicain dont elle est d'ailleurs indissociable.
La richesse de l'Église
Mais cette parole qui doit la porter ? Le pasteur ? C'est ici que j'invoque Paul, l'apôtre des païens avec ce magnifique texte de sa lettre aux Galates. Que nous dit-il ? « Vous êtes tous un en Jésus-Christ », il fait rien de moins que décrire ce qu'est l'Église. Il souligne toutes nos appartenances : hommes, femmes, libre, esclave, riche, pauvre, tout ce qui constitue nos identités à tous, tout ce qui nous conditionne et nous situe dans la société pour mieux dire qu'il y a une identité qui suffit à toutes les identités, qui les nourrit toutes et qui les gouverne toutes.
Je ne prétends évidemment pas que nous tous ici aujourd'hui, nous soyons chrétiens. Certains d'entre-nous le sont, certains sont convaincus, d'autres sont en recherche, d'autres enfin sont sceptiques mais tous qui sommes ici avons un égal droit à la parole parce que nous sommes tous capables de penser et de dire en quoi nous croyons ou ne croyons pas. Et c'est cela l'Église que je vois ici. Non pas une assemblée de gens à convaincre, à convertir, à changer, tels que nous sommes, nous devons rester ! C'est à dire que nous devons sans cesse rechercher à nous améliorer, à devenir plus justes, plus vrais, plus fraternels, plus aimants car il est dans la nature de l'homme et a fortiori du chrétien que de toujours rechercher à ressembler à son Dieu.
Je ne vous parlerai jamais comme à des gens qu'il faut convertir, je ne vous appellerai jamais à la repentance ni ne vous dirai ce qu'il faut croire ni comment il faut agir parce que je suis convaincu que ces choses sont de l'ordre du travail intérieur que chacun et chacune d'entre-nous fait dans son dialogue avec l'Éternel.
Paul ? L'apôtre évangélisateur, celui qui a répandu l'Évangile au bout du monde connu, voilà bien une ambition pour nous aujourd'hui que de porter l'évangile au monde qui l'attend, j'en suis convaincu. Mais ! Avez-vous remarqué une chose ? Une chose que personne ne remarque jamais ? Si vous lisez ses lettres, vous verrez qu'elles sont truffées de messages personnels, Évodie, Syntiche, Clément, Epaphrodite, la liste est longue des collaborateurs de Paul. Car Paul, contrairement à la légende, n'est pas seul. Il est entouré, non pas d'une cour comme un gourou mais de personnes engagées et qui travaillent avec lui, à ses côtés ou bien il s'agit aussi de fidèles dont il écoute les remarques, avec qui il réagit.
C'est nous tous, chacun et chacune d'entre-nous, qui sommes les porteurs de la Bonne nouvelle, de l'Évangile. J'espère de chacun et chacune d'entre nous un véritable dialogue, non pas entre celui qui sait et celui qui doit apprendre mais un véritable échange fraternel. Le pasteur que je suis n'est jamais qu'un laïc, paroissien parmi les paroissiens, à qui une responsabilité particulière est confiée en raison de sa formation et qui se met au service de la communauté.
Je l'ai dit, rien de ce qui a été réalisé au temple Saint-Étienne de Mulhouse ne l'aurait été sans l'engagement de nombreuses personnes, comme Paul n'aurait rien pu faire sans l'engagement de tous ceux qui l'entouraient, comme je ne pourrai rien faire ici sans votre engagement. Au premier chef, bien sûr le Conseil presbytéral à qui vous avez confié là aussi une responsabilité particulière mais chacun et chacune d'entre nous doit se sentir considéré, respecté, écouté et soutenu sans distinction liée à son mode de vie, à sa foi ou à ses choix. C'est à cette condition là que nous obéirons au Christ dans ce double commandement qui doit être pour nous la perspective ultime et avec lequel je voudrais conclure.
S'accepter tel que l'on est et rechercher la sanctification
Nous l'avons entendu tout à l'heure déjà lors du baptême de Lilly et nous avons prié tous ensemble pour que Dieu lui montre comment d'un même cœur ! « Tu aimeras l'Éternel, ton Dieu » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Aimer Dieu et aimer l'homme d'un seul et même geste, d'un même cœur et d'une même pensée, de toute sa force, voilà ce que la Parole de Dieu exige de nous. Et je dis bien l'Homme, l'humain, et non pas seulement le « prochain », c'est-à-dire pas seulement celui ou celle qui est à côté de nous, qui nous ressemble, nous convient et que nous avons choisi. Chaque être humain est notre prochain, celui qui est confié à nos soins. Mais aimer Dieu et aimer l'Homme, c'est rechercher l'Humain en l'homme, le faire advenir et émerger, le réaliser.
Je vous le dis parce que je le crois fermement : l'Évangile est un message de salut pour chacun et chacune d'entre-nous et pour le monde qui passe par ce double mouvement d'assentiment et de présence au monde dans ce qu'il a de beau, de juste, de vrai, et dans le même geste, de contestation et de refus de tout ce qui dégrade l'humain en l'homme, dans la même volonté d'acceptation de soi tel que nous sommes et en même-temps de sanctification. S'accepter tel que l'on est et rechercher une vie sanctifiée n'a rien d’inconciliable car la sanctification c'est de toujours chercher à être une bénédiction pour celles et ceux que nous rencontrons.
C'est ainsi que nous aimerons l'Éternel notre Dieu, celui qui nous a envoyé son Fils pour être une lumière dans nos ténèbres et nous a donné son Esprit pour nous guider vers cette lumière que nous discernons au milieu de nos frères et sœurs, dans l'Église et dans le monde. Parce que je crois que le Dieu de la Bible tel qu'il se révèle dans l'Évangile du Christ, Dieu est la toute puissance de l'amour et qu'ainsi nous pouvons croire avec le prophète Michée « À un nouveau ciel et à une nouvelle terre » espérer mener une vie qui rendra à Dieu la gloire et donnera aux hommes la paix et la liberté.
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