« Que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perdait son âme ? »
« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. »
Guebwiller, culte de rentrée, 10 septembre 2023
Roland Kauffmann
Voilà donc le culte de rentrée de notre paroisse. Un temps qui marque la reprise de nos activités et non pas la reprise de la paroisse car celle-ci ne s'est en effet pas arrêtée. Si nous n'avons plus eu nos rencontres de catéchisme, d'études bibliques ou de Godly Play, la vie de notre communauté aura connu durant l'été son lot de bonnes et de mauvaises nouvelles : mariages, décès, accidents de la vie, le temps ne s'arrête pas et c'est l'un des buts de la rentrée que de se raconter les uns aux autres ce que l'on a fait, vécu et partagé durant l'été.
La rentrée, c'est aussi la nouveauté. Découverte de nouveaux horaires, de nouveaux profs, de nouveaux camarades dans les écoles pour nos désormais lycéens. Nouvelles activités pour notre paroisse, même si elles sont des renaissances d'activités anciennes, le temps de la rentrée marque le début d'une nouvelle saison.
Et cette saison 2023-2024 sera marquée pour notre paroisse par des évènements importants et notamment par le bicentenaire de notre temple. Ce temple de Guebwiller dont le caractère chaleureux aura été préservé au moins depuis la fin de la dernière guerre mondiale et sa dernière rénovation d'ampleur. Tout au long du premier semestre 2024 et de l'été 2024, nous aurons une série d’événements culturels ou cultuels qui marqueront ce deuxième centenaire de notre temple. Et tout au long de l'année, nous aurons des cultes qui nous remettront à l'esprit le temps passé mais se tourneront aussi surtout vers l'avenir.
En effet, les anniversaires sont des temps de reconnaissance pour ce qui a été vécu, de se souvenir des intentions, des rêves et des espoirs qui nous ont porté. C'est aussi le temps de résolutions et des convictions nouvelles. Vous connaissez la tradition américaine du Thanksgiving où chacun est convié à partager avec les autres convives un événement marquant de l'année passé et un désir pour l'année à venir. C'est dans cet esprit que j'ai demandé aux catéchumènes de partager avec nous un « merci » qui soit aussi en même temps un « désir ». Ce que nous avons entendu dans le texte de louange qui a ouvert notre culte.
C'est aussi une démarche que nous avons à faire collectivement. Ainsi, à l'occasion du bicentenaire, le Conseil presbytéral de notre paroisse s'est-il attelé à la préparation d'un « projet de vie ». Vous connaissez les projets d'écoles, les projets d'établissements ou les projets d'entreprises. Et nos Églises ne dérogent pas à cette règle de se doter de projets pour envisager l'avenir. Dans l'esprit des dirigeants, il s'agit de se donner des objectifs, souvent chiffrés, et ensuite de décliner des moyens d'atteindre ces objectifs.
Mais quels peuvent être les objectifs d'une paroisse ? Si ce n'est de témoigner de l'Évangile ? D'être Église du Christ au milieu du monde, sel de la terre et lumière du monde ? Bien évidemment mais une fois qu'on a dit ça, qu'est ce qu'on fait pour répondre à cette vocation ? Certains pensent que l'objectif d'une paroisse c'est l'accroissement de ses membres, l'augmentation de ses ressources, plus de membres, plus de dons, plus de baptêmes, plus de confirmations, plus de mariages, toujours plus. En oubliant que plutôt que de « plus » il faudrait penser au « mieux ». Comment être mieux engagés dans l'Église et dans la société, mieux responsables de notre liberté et mieux solidaires de nos prochains. Autrement dit : comment « mieux aimer Dieu et notre prochain », voilà ce qui devrait être notre objectif, tant individuellement que collectivement.
Mais comme nous devons rédiger un « projet de vie » parce que c'est aussi un préalable à la rédaction d'un cahier des charges, étape indispensable pour la nomination définitive de votre serviteur sur le poste de Guebwiller, nous nous y sommes attelés. Pour cela nous avons utilisé les diverses rencontres que nous avions appelés « Débat 2035 » mais aussi les multiples activités et échanges que nous avons eu tout au long de l'année dernière, dans les groupes ou individuellement.
Parce que notre paroisse est une communauté, vivante, accueillante et désireuse d'un meilleur témoignage, il a été facile de savoir ce que nous pouvions projeter pour notre avenir et si je tiens à le partager avec nous en ce culte de rentrée, c'est parce qu'il vous concerne au premier chef, parce qu'il dit la manière dont nous voulons être Église à Guebwiller. Vous comprendrez qu'il n'est pas possible de rédiger un tel document officiel à trente, quarante ou cinquante mains. C'est le Conseil qui l’entérinera et il sera ensuite soumis à l'approbation du Consistoire puis du Conseil synodal mais il vous sera diffusé aux prochains cultes. Vous y trouverez, j'en suis certain, le miroir de vos aspirations. C'est dans cet esprit qu'il a été préparé.
Mais surtout, ce projet de vie s'articule autour de nos deux versets fondateurs, ceux que vous voyez chaque dimanche autour de la chaire et qui sont pour nous comme ces pierres qui nous rappellent à nos devoirs. « S'il se taisent, les pierres crieront » disait le Christ de ses disciples, ces versets sont les bornes qui répondent à l'intention de nos fondateurs et auxquelles nous devons être fidèles car il n'y a d'avenir que dans la fidélité à une promesse.
Des fondations qui sont des promesses
Car ces deux versets sont des promesses qui nous sont transmises, non pas certes du fond des âges mais seulement depuis deux siècles et que nous avons à porter à notre tour plus loin dans le temps. Contrairement à une légende urbaine, tenace comme toutes les légendes, aucun de ces versets ne s'adresse à une catégorie particulière de paroissiens car l'évangile n'est pas différent selon les classes sociales. En d'autre termes, il n'y a pas le « verset des ouvriers fatigués et chargés » ni le verset des « patrons qui ne doivent pas perdre leur âme à gagner le monde ». Il sont pour moi comme les deux faces d'une même réalité, comme les deux jambes d'un même organisme vivant.
« venez à moi… je vous donnerai du repos », cette promesse est pour chacun et chacune d'entre nous qui sommes confrontés à des situations de vie parfois difficiles, ballottés au gré des vents et des modes, des restructurations et des changements, des évaluations et des éléments de langage, toujours obligés de nous adapter à un monde et une société en constants bouleversements parce qu'il faut toujours changer, toujours faire « autrement » alors même que les humains que nous sommes ont un besoin vital de stabilité, de sûreté et de repos. L'enracinement dans un contexte de bouleversements est une nécessité.
Nous avons besoin, et vous les jeunes de la paroisse, plus encore que nous autres qui sommes blanchis par les ans, d'être enracinés dans quelque chose qui est plus grand, plus riche, plus vivant que nous. Nous avons tous besoin d'être nourris pour trouver simplement les forces de vivre autrement que comme des machines. Nous avons besoin d'une nourriture spirituelle qui nous permette de résister, de comprendre les réalités auxquelles nous sommes confrontés, pour affronter ce réel auquel nous ne cessons de nous cogner.
Ce verset, c'est la dimension communautaire. Celle d'un lieu, d'un groupe, où chacun est accueilli tel qu'il est, sans esprit de jugement ni de contrainte, avec ses failles, ses angoisses, mais aussi avec ses idées et ses convictions et où chacun, indépendamment de son âge, de sa condition, de son ancienneté, de sa culture ou de son histoire, de sa nature ou de sa foi, est l'égal de l'autre ! Non parce que nous serions particulièrement bienveillants les uns envers les autres mais parce que nous sommes tous à égal distance, ou plutôt à égale proximité, avec celui qui nous appelle et nous promet de nous donner du repos.
La nourriture dont nous avons besoin, c'est la Parole de Dieu que nous entendons par le Christ et l'Esprit. C'est le premier volet de notre projet de vie paroissial que d'être une communauté fondée sur la Parole.
Mais cette Parole, à quoi sert-elle ? Et c'est le second verset de notre mur qui en fournit la clé. Il contient une réalité, un mot désuet, dont plus personne ne parle aujourd'hui tellement il est ringard et oublié. C'est le mot « âme » ! Aujourd'hui, on parle sans cesse d'identité, une notion qui est au cœur du débat sociétal sans que l'on sache très bien de quoi on parle : mon identité d'Alsacien ? mon identité d'homme blanc hétérosexuel de plus de cinquante ans ? Tout est fait pour nous renvoyer à ce que nous sommes ou plutôt à ce que nous sommes dans le regard de l'autre, de celui qui nous juge. Et pour réussir, pour « gagner le monde », il faut se conformer à l'identité qui nous est donnée ou, à l'inverse, il faut en changer, changer d'identité comme on changerait de chemise, devenir autre que ce que nous sommes pour plaire, satisfaire et réussir.
C'est une menace qui pèse autant sur les individus que nous sommes que sur les collectivités comme notre paroisse. Pour être plus nombreux, plus vivants, nous pourrions devenir comme d'autres Églises qui sont plus enthousiastes, plus ceci, plus cela. Mais à chercher à devenir autres que nous ne le sommes, nous nous oublierions nous-mêmes. À chercher à ressembler à d'autres, nous n'aurions plus rien à apporter au monde qui justement attend de nous et a besoin de cette Parole de vie que nous portons.
L'identité, c'est quelque chose de figé, on est comme on est, point ! Mais l'âme au contraire est un souffle, un principe de vie et de transformation du monde. Bien plutôt que de chercher à plaire au monde en nous conformant à ce qu'il est, il nous faut nous conformer à notre vocation et c'est ainsi que nous contribuerons, en tant que chrétiens et en tant qu'Église, avec tous ceux qui sont de bonne volonté, à la transformation du monde dans le sens, non pas de « plus » mais de « mieux ».
Un monde meilleur ! Voilà notre mission de disciples du Christ.
« Un homme, une âme, le monde à transformer plutôt qu'à se laisser transformer par lui », ce verset nous parle de ce qui anime, le sens même du mot âme, chacun d'entre nous. C'est cette dimension individuelle qui nous rappelle que nous sommes tous, chacun pour nous même, seuls devant Dieu, dans une relation unique dont nous n'avons à rendre aucun compte à personne.
« Venez à moi, vous tous » ce verset nous parle de la communauté qui dépasse la somme de ses membres. Il nous parle de « collectif » quand l'autre nous parle de l'individu mais il nous parle aussi de vie qui passe par l'autre et ne se résume pas à ce que je suis ou ne suis pas. Il nous rappelle que nous ne sommes pas seuls dans le monde mais appelés, soutenus et portés par une promesse : celle d'être rejoints dans notre réalité, d'être nourris dans notre être intérieur de manière à être à la fois enracinés et animés.
À l'enracinement de l'un des versets répond l'âme de l'autre, deux réalités qui paraissent contradictoires, l'une étant stable et immobile quand l'autre est un feu toujours en mouvement. Mais justement pour que l'âme soit une force, soit vivante et agissante dans le monde, il faut qu'elle soit nourrie, entretenue, développée, endurcie, affirmée et pour cela elle a besoin du repos qui lui est promis par celui qui nous aime plus que nous pouvons l'imaginer, et même le penser.
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