Guebwiller 12 novembre, jour de la vente paroissiale
Au moment de préparer avec les catéchumènes ce culte du dimanche, nous avons été confrontés à une difficulté assez majeure. Et pas seulement le manque de temps car il faut du temps pour réfléchir, il faut du temps pour choisir les textes qui seront lus au culte, pour choisir les cantiques et pour la première fois, essayer de penser ensemble au contenu des textes qui seront retenus pour la prédication du dimanche.
En effet, c'est pour moi une grande frustration que de constater que nous n'avons pas le temps de préparer correctement. J'aurais voulu que chacun de nos catéchumènes puisse se saisir des textes, noter ses idées, développer ses arguments, méditer et s'approprier les textes et qu'on puisse organiser un véritable débat mais le temps manque, il file si vite qu'on nous sommes déjà au jour de la vente paroissiale et que Noël est à notre porte sans même parler de la Confirmation qui nous réunira à Pentecôte prochain.
Le catéchisme, c'est en tout cas ce que je souhaite, devrait être le temps et le lieu où l'on apprend à penser, seul, chacun pour soi mais aussi ensemble dans une réflexion commune, collective. On s'y emploiera.
Si je vous parle de ce temps qui file si vite que nous avons l'impression qu'il nous coule entre les doigts, c'est bien parce que c'est une expérience que nous faisons tous pour la plupart. Le temps est quelque chose qui nous est commun, qui est là et que nous éprouvons tous. Mais pas du tout forcément de la même manière. Il y a ceux pour qui le temps est un flot puissant et rapide, d'autres pour qui c'est un faible ruisseau qui ne s'écoule justement pas assez vite. Le temps peut être une source d'angoisse et de détresse parce que nous ne savons jamais si nous en aurons assez, combien il nous en reste. Certains voudraient que le temps passe plus vite parce qu'ils sont fatigués de la reproduction sans fin des jours sans saveurs, d'autres voudraient ralentir le temps parce qu'ils veulent vivre intensément le bonheur présent.
Le temps de la fin
Et c'est là que résonne la voix du prophète de l'ancien peuple d'Israël, l'un de ces prophètes oubliés dont personne jamais, hormis parfois dans les Églises et dans les synagogues ne parle alors même que sa parole est d'une incroyable pertinence dans le temps que nous vivons. C'est de ce « petit » prophète Michée que nous parlons aujourd'hui. « Petit » seulement par la taille de ses écrits, par rapports aux « grands » prophètes que sont Ésaïe, Ézéchiel et Jérémie. Michée est petit par le texte mais grand par la Parole qu'il porte jusqu'à nos jours, celle du Royaume de Dieu.
Car c'est bien de cela qu'il nous parle, il nous parle du temps qui passe et particulièrement de « la fin des temps », autrement du « Jour du Fils de l'homme » dont parle Jésus dans l'évangile de Luc que nous avons entendu et « la gloire à venir » dont Paul parle aux Romains. Depuis Michée et les anciens prophètes jusqu'à nos jours, l'humanité croyante s'inscrit dans un temps qui est censé avoir un début, la création, et une fin, la fin du monde. Une fin redoutée par les uns, parce qu'elle serait proche et une fin espérée par les autres, parce qu'elle serait le moment de la délivrance des peines et des douleurs de l'existence. En général, ceux qui espèrent la venue du Royaume de Dieu le font parce qu'ils espèrent être ainsi sauvés des douleurs du temps présent, tandis que ceux qui redoutent sa venue le font parce qu'ils craignent de perdre ce qu'ils ont.
Et à regarder le monde d'aujourd'hui, il est vrai que les sujets d'inquiétudes sont nombreux, terrorisme barbare, guerres et bruits de guerre, catastrophes climatiques qu'on ne peut plus qualifier de naturelles tant elles sont dues à l'action de l'humanité, stratégies du chaos et endurcissement des cœurs, la guerre de tous contre tous semble être notre horizon à court et moyen terme. Faut-il donc se dépêcher de jouir de la vie avant la fin du monde ou au contraire chercher refuge dans la foi et la prière pour ne pas voir le monde courir à sa perte ? Autrement dit, faut-il jouir, profiter du monde ou faut-il se retirer du monde ?
Éternel dilemme auquel Michée répond d'une manière paradoxale : la fin des temps ne sera pas une catastrophe mais au contraire une bénédiction pour les peuples, justement ceux qui sont en guerre les uns contre les autres aujourd'hui. Michée est le prophète de l'utopie du Royaume de Dieu et l'image qu'il emploie fait écho à celle d'Ésaïe : « de leurs épées, ils forgeront des socs et de leurs lances des serpes », métaphore qui répond à celle d'Ésaïe « Le loup et l'agneau paîtront ensemble, Le lion, comme le bœuf, mangera de la paille, (…). Il ne se fera ni tort ni dommage Sur toute ma montagne sainte, Dit l’Éternel (Ésaïe 65, 25).
Jour de bénédiction
N'en déplaise à ceux qui parlent d'effondrement, de remplacement, voire même d'enlèvement des élus, la catastrophe n'est pas notre destin. C'est quand on la croît inéluctable, inévitable, qu'elle arrive parce qu'on ne fait plus rien pour l'éviter. En un mot parce qu'on s'y résigne d'avance alors qu'il faut toujours tout faire pour éviter la catastrophe que l'on voit arriver.
Ce qui arrivera à la fin des temps n'est pas la destruction ni la séparation des bons et des méchants, des justes et des impies. Les catastrophes et autres cataclysmes ne sont pas notre destin, ils ne font pas partie du projet de Dieu pour l'humanité. Bien au contraire nous disent les prophètes d'Israël et Michée en particulier dans le tableau qu'il nous fait de cette « fin des temps ». C'est en réalité un triptyque, une image en trois parties, qu'il nous donne. Il y a d'abord cette « Maison de l'Éternel » qui sera installée au sommet des montagnes de manière à ce que tous les peuples y affluent pour aller vers ce temps de paix universelle où chacun habitera « sous son figuier ». Et entre les deux, entre la Maison de l'Éternel et la Maison où chacun habite dans la paix, autrement dit entre Dieu et chacun d'entre nous, qu'y a-t-il ?
La pensée de Michée se fait en trois mouvements, d'abord la révélation de Dieu, enfin la paix pour l'humanité et entre les deux, la Parole de Dieu, celle qui sort de Sion, c'est-à-dire de Jérusalem. « De Sion sortira la loi et de Jérusalem la parole de l'Éternel » deux paires de synonymes : Sion c'est Jérusalem et la loi c'est la parole de l'Éternel. Ce que Michée annonce, c'est l'établissement du Royaume de Dieu par le surgissement de la Parole de l'Éternel.
Quelle est-elle cette parole ? Sinon celle du Christ qui est venue habiter parmi nous ? Voilà cette « liberté glorieuse des enfants de Dieu » dont nous parle l'apôtre Paul, voilà le « jour du fils de l'homme » dont nous parle Jésus, le moment où surgit dans notre vie, une parole qui nous bouleverse, nous bouscule, nous libère et nous transforme. Ce n'est pas de la fin du monde dont nous parlent Michée, Paul et le Christ mais de la fin de notre ignorance, de notre état d'injustice et d'égoïsme ; de l'irruption de cette parole de Dieu toute entière contenue dans la personne, toute entière incarnée par Jésus le Christ. C'est le début de notre engagement pour le monde au nom du Christ. Notre engagement pour la paix, pour la planète. Pour répondre à la question de savoir s'il faut jouir du monde ou s'en retirer, nous dirons qu'il ne fait ni profiter ni se retrancher mais s'engager !
Si nous appelons l'homme Jésus, le Christ, c'est bien parce que nous discernons en lui l'accomplissement de la loi et des prophètes, voilà ce qu'est la foi : pouvoir dire que Jésus est mon sauveur et mon seigneur, celui qui inspire ma vie et ma pensée, autrement dit qui guide mes choix et à l'image de qui je souhaite essayer de ressembler. Non pas évidemment avec des sandales et des tuniques comme on le voit sur les tableaux anciens mais avec la justice et la miséricorde, c'est cela que signifie « marcher dans ses sentiers » (2) comme nous y invite Michée, c'est ainsi que chacun et chacune d'entre-nous est, pour autant qu'il « marche au nom de l'Éternel », contribue à bâtir malgré toutes les apparences contraires, le Royaume de Dieu est là où nous sommes. La Royaume de Dieu est là où la Parole de Dieu est proclamée, vécue et incarnée dans la vie de chacun et chacune d'entre-nous.
Car il n'est pas là-bas, il n'est pas pour demain, il n'est pas chez les autres. Il est là, comme nous le dit le Christ, au-dedans de nous, au milieu de nous. Le Royaume de Dieu est ici, il est ce que nous en faisons, chacun pour sa part et ensemble en Église.
Roland Kauffmann
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