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Roland Kauffmann

Le Christ seulement 16 avril 23

Dernière mise à jour : 18 avr. 2023

Les principes protestants, Solus Christus - Le Christ seulement

Guebwiller 16 avril 2023


Nous continuons aujourd'hui notre exploration des cinq principes protestants, ce que l'on appelle les Soli. C'est la forme plurielle du latin sola, qui signifie « Seul » et que les réformateurs du XVIe siècle ont posé comme étant caractéristiques de la nouvelle conception de la foi. Des principes qui nous définissent et qui sont partagés par quasiment toutes les Églises protestantes, malgré leurs différences de compréhension de ces principes.

Entre Églises protestantes, nous les comprenons différemment mais nous les revendiquons tous parce que comme tout ce qui concerne l'identité, c'est ce qui nous différencie des autres. Et se différencier des autres n'est pas négatif, c'est cultiver sa particularité, cultiver son individualité, autrement dit sa personnalité. Avoir une identité est essentiel pour savoir qui l'on est et pouvoir se poser en vis-à-vis par rapport à un autre, par rapport à celui qui pense et vit différemment de moi.

À notre époque le concept même d'identité a mauvaise presse. Les milieux les plus progressistes revendiquent justement d'avoir des identités variables et alternatives. C'est notamment sur les questions d'identité de genre que se posent ces problèmes. Vous suivez tous ces débats passionnés pour savoir si l'on est une fille ou un garçon, sachant que l'on peut changer d'identité au gré de ses envies. Des préoccupations qui peuvent paraître très étranges à la plupart d'entre nous mais qui parlent sans doute aux plus jeunes d'entre nous. Tant il est vrai que la question de savoir qui on est vraiment est omniprésente dans la littérature et dans l'épopée. Et pas seulement pour savoir de quel genre on est mais pour savoir, plus généralement qui on est, qui on veut être, quels sont les principes qui doivent guider notre vie.


À côté de ces questions de genre, il y a un autre domaine où la notion même d'identité fait polémique, c'est au moment où l'on parle d'identité nationale ou culturelle. L'extrême droite a tellement bien réussi son hold-up culturel que désormais quand on parle « d'identitaires », c'est-à-dire de ceux qui revendiquent d'avoir une identité de Français ou d'Alsaciens, on pense immédiatement à une identité d'exclusion et à ces jeunes fachos aux idées aussi courtes que leurs crânes chauves. Se revendiquer « Français » ou « Alsacien » aujourd'hui, c'est passer pour un réactionnaire, prêt à voter pour l’extrême droite.


Avoir une identité, c'est savoir qui on est !

Or de même qu'il est naturel d'affirmer son identité biologique de fille ou de garçon, il est tout aussi normal d'affirmer son identité historique au sens où l'on fait partie d'une histoire particulière, celle d'un pays qui se distingue des autres. Qu'il ait souvent crû être supérieur aux autres est un accident de l'histoire. Il faut réhabiliter l'affirmation d'avoir une identité naturelle et une identité historique, ce sont les cadres dans lesquels nous naissons et par rapport auxquels nous devons nous positionner.

Avoir une identité, se dire « homme » ou « femme », se dire « Français » ou « Alsacien » ne signifie pas s'affirmer supérieur, meilleur, par rapport aux autres, c'est créer l'espace qui permet le dialogue et la rencontre et bien plus si affinités. Nier les identités est extrêmement dangereux : quand on ne sait plus qui on est, tout devient menace, tout devient danger contre mon identité floue et insécurisée et il faut alors que je défende mon identité même si je ne sais pas très bien ce qu'elle est et signifie.

Il faut réhabiliter le besoin identitaire, retrouver la capacité de se définir par rapport aux autres, être capable de dire ce que l'on est et à contrario ce que l'on n'est pas. L'affirmation de soi ne passe pas par la négation de l'autre, au contraire, elle en est la condition. Si l'on veut entrer en vrai dialogue, instaurer un vrai échange avec l'autre, il faut savoir qui on est et ce que l'on veut.

Vous vous demandez sans doute ce que vient faire cette longue introduction sur la notion d'identité dans une présentation des soli protestants ! C'est précisément que les soli sont notre carte d'identité et plus particulièrement celui d'aujourd'hui, à savoir Solus Christus, le Christ seul.


Je vous rappelle rapidement les cinq soli : Sola Scriptura - l'Écriture seule

Sola Gratia - La grâce seule ; Sola Fide - La foi seule ; Solus Christus - Le Christ seulement ; Soli Deo Gloria - À Dieu seul la gloire que nous verrons le mois prochain et Ecclesia Semper Reformanda - l'Église toujours à réformer. Ceux d'entre vous qui savent compter ont sans doute remarqué qu'il y six concepts dans ma liste. C'est que le sixième, Ecclesia Semper Reformanda - l'Église toujours à réformer est l'adaptation de tous les autres à l'époque.


« Christ seul », c'était le titre du mensuel des Églises mennonites que nos recevions chaque mois dans ma famille car vous savez que je suis d'origine mennonite. Nous reviendrons une autre fois sur ce que sont les Église mennonites et en quoi nous sommes différents. En tout cas, ces Églises revendiquent leur identité par ce slogan « Christ seul ». Mais comme toutes les identités, cela ne doit pas vouloir dire que ceux qui ne croient pas au Christ n'auraient pas droit de vivre et d'exister bien évidemment.


Affirmer le solus Christus, c'est d'abord et avant tout affirmer qu'il n'y a pas d'autre médiateur entre Dieu et l'homme que Jésus le Christ, pas d'autre intermédiaire, pas d'autre chemin pour rencontrer Dieu que celui qui nous est montré par le Christ lui-même dans cette formule aussi belle que lapidaire « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi » que nous avons entendu dans l'évangile de Jean. Quels pourraient être les autres chemins qui prétendraient conduite à Dieu et que Jésus récuse ?


Le premier chemin qui est disqualifié pour apprendre à connaître Dieu, c'est celui dont nous parle Paul dans son épître aux Galates : il s'agit de la Loi. Quand on dit « la Loi », ça ne veut pas dire la loi, celle qui règle nos rapports en société, cela signifie la Loi de Moïse avec ses prescriptions rituelles, ses sacrifices et son clergé. Et c'est cela qui n'est en réalité pas le chemin qu'il faut suivre pour découvrir la vérité et vivre dans la justice. Paul oppose à ce chemin de la loi, celui de la foi et surtout celui de Jésus-Christ. C'est la première signification du Christ seul, c'est dire que la Loi ne nous conduit pas à Dieu mais seulement la communion, profonde et intime avec le Christ, dans la compréhension de sa volonté.


La seconde signification de l'affirmation du Christ comme seul intermédiaire entre Dieu et nous a été portée par les Réformateurs. En effet, l'Église prétendait alors être médiatrice ! C'est par elle que l'on avait accès au trésor de la grâce. L'Église de Rome était la dispensatrice de la grâce, celle qui disait qui est pardonné et qui ne l'est pas, qui est sauvé et qui ne l'est pas. L'individu est alors totalement assujetti à l'autorité de l'Église et surtout de celui qui la représente localement, à savoir le prêtre.


Affirmer que le Christ est seul médiateur, seul intermédiaire, entre Dieu et nous, c'est dire a contrario que l'Église ne l'est pas. Ni celle de Rome ni, raison de plus, la nôtre. C'est-à-dire que je ne suis pas votre prêtre, je ne suis pas celui qui doit intercéder auprès de Dieu pour que vous soyez sauvés. Je ne vous représente pas devant Dieu et je ne représente pas Dieu auprès de vous. Je ne suis pas, et l'Église pas non plus, médiateur entre l'Éternel Dieu et vous, comme le prétendaient les prêtres de l'Église romaine et les prêtres du peuple d'Israël.


Dire Solus Christus, c'est dire que c'est le Christ lui-même qui vient à notre rencontre et que Dieu n'a pas besoin d'autre intermédiaire pour que nous ayons accès à lui. C'est rien moins que ce qu'on appelle le sacerdoce universel, une notion essentielle qui caractérise de manière fondamentale nos Églises protestantes. Dans la mesure où nous n'avons pas de prêtres particuliers et que nous sommes tous, croyants, en relation avec le Christ, nous sommes tous prêtres pour nous-mêmes et nous sommes tous légitimes, parce que vivant « en Christ » à être prêtres avec les autres.

Le sacerdoce universel est une des grandes distinctions entre nos Églises protestantes dans leur diversité et les Églises catholiques romaines et orthodoxes.


C'est ce sacerdoce universel que souligne Paul lorsqu'il affirme « vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Christ-Jésus : vous tous qui avez été baptisés, vous avez revêtu Christ » et c'est ainsi qu'on arrive à la troisième signification du solus Christus après l'affirmation que la Loi est une enseignante (un précepteur) mais seulement un enseignant, qu'elle ne doit pas être confondue avec la vérité. Après la seconde signification qui est celle du sacerdoce universel, chacun et chacune d'entre nous a à rendre compte pour lui-même et nul ne peut croire à ma place. Enfin la troisième, et dernière pour aujourd'hui, signification se trouve dans cette formule sans doute la plus belle et la plus féconde de Paul qui en est pourtant extrêmement riche.


Mon identité est en Christ !


« Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, ni homme ni femme, ni riche ni pauvre, ni circoncis ni incirconcis, ni barbare ni Scythes (selon le complément en Colossiens 3, 11) » mais Christ qui est tout pour tous ceux qui croient en lui et se revendiquent de son nom, revendiquent le nom de « chrétiens ». C'est dire que nos identités, qui existent et qui sont importantes, nous sommes ou Juif ou Grec, esclave ou libre, homme ou femme, riche ou pauvre, circoncis (autrement dit « religieux ») ou « incirconcis » (autrement dit « laïc « au sens républicain du terme), ou étrangers par la biologie ou par la culture, nous avons une identité qui les dépasse toutes, qui leur donne leur sens et leur saveur, à savoir qu'avant toute chose nous portons le nom de « chrétiens » depuis notre baptême et depuis que nous avons reçu le don de la foi.

L'affirmation de la primauté de la foi sur la Loi, le sacerdoce universel et enfin, l'affirmation que notre identité est en Christ, voilà les trois significations du solus Christus qui en font un des fondements essentiels de notre manière d'être chrétiens, à savoir être protestants. Je terminerai en insistant sur une idée simple, si notre identité est en Christ, elle ne peut être remise en question, mise en doute, soumise au jugement des autres. Car c'est dans notre dialogue intérieur avec l'Éternel notre Dieu qui se joue le chemin, la vérité et la vie. Autrement dit, c'est en étant vrai avec nous-mêmes et avec nos frères, dans cette forme de véracité ou de sincérité que Albert Schweitzer appelait Wahrheitlichkeit.


Rien ni personne ne peut nous enlever cette identité parce qu'elle se construit au cœur de notre être, de notre cœur et de notre chair, au cœur de notre personnalité, de notre individualité. Cela peut être difficile, voire même violent, comme ce le fut pour Jacob qui, dans ce texte extraordinaire sur lequel nous devrons revenir, reçoit une nouvelle identité. Il ne choisit pas de s’appeler désormais Israël, au lieu de Jacob. C'est l'ange avec lequel il lutte, au sens propre et charnel qui lui donne son nom, son identité.


À nous de lutter avec nos anges, c'est-à-dire avec nos doutes, nos hésitations, nos angoisses, nos détresses, nos violences, nos craintes, nos lâchetés pour, comme Jacob, les vaincre et recevoir, comme lui, notre identité en Christ-Jésus.


Roland Kauffmann, 16 avril 2023



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