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Photo du rédacteurThierry Holweck

La valeur que chacun a pour Christ

Guebwiller, 8 septembre 2024




Il arrive souvent que dans le paysage des religions contemporaines, le protestantisme soit considéré comme ayant une affinité particulière avec le capitalisme. C'est évidemment en lien avec le célèbre ouvrage du sociologue Max Weber, « L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme » que ce dernier a publié en 1905, voilà donc près de 120 ans. Weber met en parallèle ce qu'il appelle l'éthique du protestantisme et le cadre conceptuel général du système économique qu'il étudie. Les protestants selon lui, auraient une vision du monde particulière qui rend le capitalisme possible et même souhaitable comme étant une traduction du Royaume de Dieu.


Lorsque Max Weber met ainsi en valeur les liens entre protestantisme et capitalisme, il le fait dans un contexte très particulier. Il écrit dans cette Allemagne du début du XXe siècle, une Allemagne prussienne donc protestante et dans cette forme particulière du protestantisme qu'est la réforme dite « réformée » par opposition à celle majoritaire dans le reste de l'Empire allemand, la version luthérienne du protestantisme. L'empire de Bismarck et de Guillaume 1er puis Guillaume II s'affirme comme une puissance industrielle et commerciale et elle développe une économie de type capitaliste, fondée sur l'accumulation des moyens de production pour réduire les coûts de production et assurer une massification des produits et donc des revenus. Le capitalisme se définit par le réinvestissement les plus important possible des bénéfices dans l'outil de production.


Et le livre de Max Weber est une sorte de plaidoyer en faveur du capitalisme dans une société protestante qui a besoin de conforter ses choix politiques et économiques. Pour Weber, souligner les liens entre capitalisme et protestantisme, c'est parler à des convaincus. Ses lecteurs sont convaincus que, à la fois le protestantisme d'une part et le capitalisme d'autre part sont une bonne chose.


Alors même qu'un autre allemand, né celui-ci à Trèves en 1818 a, au courant de ce même 19e siècle du capitalisme triomphant écrit un ouvrage bien plus critique, dans lequel il désigne le capital comme étant une véritable spoliation des biens des ouvriers et une accumulation indue des bénéfices de production. Il dénonce également les liens religieux entre le capitalisme qu'il associe au culte de l'argent, autrement dit à une véritable idolâtrie et les justifications religieuses qui légitiment cette spoliation des biens de tous au profit de quelques uns. « L'opium du peuple » qu'est pour cet auteur la religion et particulièrement celle de Luther dont la trahison envers les paysans en 1525 est typique de la préférence pour les droits des puissants sur les humbles, condamne évidemment le protestantisme et le capitalisme en même temps.


Vous aurez reconnu là Karl Marx et son ouvrage fameux, Le Capital. Il me semble que L'Éthique du protestantisme est une réponse au Capital. Un plaidoyer pour le protestantisme et le capitalisme en réponse à l'argumentaire marxiste qui commence en ce début de XXe siècle à mobiliser les ouvriers (1905, c'est la première révolution russe). Ouvriers, paysans et marxistes condamnent le culte de l'argent, le capitalisme et il faut le reconnaître citent régulièrement cette maxime du Christ « Vous ne pouvez servir deux maîtres, Dieu et Mamon (Dieu et l'argent) ».


Et, en effet, il faut s'y résoudre. N'en déplaise à notre ego confessionnel, si être protestant c'est être capitaliste au sens marxiste du terme alors Jésus n'est pas protestant !


On dirait même qu'il en est tout l'inverse et qu'il propose un mode de vie fondé sur le droit à la paresse plutôt que sur les valeurs du travail qui font notre fierté. C'est ce que l'on pourrait penser à lire cette formule si poétique « Regardez les oiseaux du ciel, … considérez les lis des champs… » Ils ne font rien et pourtant ils sont revêtus de la gloire même de Dieu et sont cités en exemple par Jésus devant ses disciples. Et Jésus de filer la métaphore car, après avoir dit à quel point les oiseaux et les lis des champs sont merveilleux il relativise tout de suite cette splendeur car « cette herbe, demain, sera jetée au four. » Elle est si belle et pourtant, éphémère, elle ne vaut que pour un instant.


Évidemment cette relativité de la beauté de l'herbe des champs, le fait qu'elle soit destinée à brûler, lui sert à mettre encore plus en valeur ceux qu'il veut encourager sur la voie de la vertu. En effet, si Dieu prend tant de soin de ce qui ne vaut rien, combien plus encore prendra-t-il soin de vous qui avez tant de valeur à ses yeux. L'effet de contraste est saisissant et il est évidemment voulu par ce merveilleux conteur qu'est Jésus. Il souligne par là le message central : à quel point ses disciples et ses auditeurs ont de la valeur aux yeux de Dieu, voilà le cœur du sujet : « Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux ? »


Même si on peut se demander pourquoi il les rudoie en les traitant de « gens de peu de foi ». Voilà des gens qui sont venus l'écouter sur la colline au bord du lac. Aujourd'hui il n'y a plus que désert et désolation mais à l'époque de Jésus les abords du lac de Tiberiade étaient particulièrement verdoyants. On peut imaginer Jésus et ses auditeurs assis sur une colline couverte de fleurs au milieu des oliviers et, sans doute, les chants des oiseaux ponctuaient ses paroles. Et comme il arrive souvent aux prédicateurs, l'environnement les inspire et peut-être qu'un chant particulièrement mélodieux a inspiré à Jésus cette phrase merveilleuse : « Regardez les oiseaux… ».


Et plus largement, je l'imagine embrasser les alentours dans un geste ample, considérant le véritable jardin d’Éden qui s'étend à ses pieds en leur disant : « regardez comme tout cela est si beau et si harmonieux » et, considérant la foule devant lui, leur disant « pourquoi perdez-vous votre temps pour ce qui n'a pas de valeur ? Pourquoi trouvez-vous ou croyez-vous trouver votre bonheur dans les richesses de ce monde ? Pourquoi cherchez-vous les honneurs ? La considération ? L'importance aux yeux des hommes ? Alors même que toutes ces choses n'ont aucune importance ; elles ne valent pas plus que cette herbe qui, demain, sera brûlée au four pour extraire l'huile des oliviers qui nous entourent ».


Jésus relativise tout ce à quoi nous accordons de l'importance : « tout cela n'est que du vent ».


Remarquez qu'il pondère immédiatement son propos. Il reconnaît qu'il y a des préoccupations légitimes, des besoins essentiels qui sont ceux de la subsistance, de l'abri et de la dignité : le vivre, la vêture et le couvert ; avoir un toit solide, un vêtement digne et une alimentation qui suffise à notre santé ; voilà ce que sont ces besoins fondamentaux, besoins inaliénables à l'homme qui sont autant de conditions pour sa vie et sa liberté.


Un idéal de sobriété qui sera d'ailleurs repris par l'apôtre Pierre qui sait pertinemment que l'abus de biens, de richesses, corrompt immanquablement. Vous aurez d'ailleurs remarqué que Pierre, contrairement à Jésus, ne reprend pas l'image des petits oiseaux et des petites fleurs mais celle, autrement plus terrifiante, du lion rugissant qui, tel un démon, rode autour de celui qui ne cesse de courir après les apparences. Dans une société, celle du 1er siècle où, comme dans la notre, la vérité et la justice se confondent avec la richesse et la prospérité ; où les premiers chrétiens sont grisés par leurs réussites, Pierre les exhorte à faire profil bas ; à rester humbles et sobres dans leurs manières de vivre, de célébrer et d'annoncer l'Évangile.


On pourrait voir dans cette formulation de Pierre, comme d'ailleurs dans celle de Jésus, une anticipation de ce que l'écologiste Pierre Rabbhi appelle la « sobriété heureuse » mais ni Pierre ni Jésus n'ont à l'esprit la catastrophe environnementale qui s'annonce. Les images qu'ils convoquent, oiseaux du ciel, lis des champs et lion rugissant n'ont pas vocation à nous renvoyer à la terre, à la culture de notre jardin, Jésus n'est pas Voltaire envoyant Candide cultiver son jardin et ne plus se préoccuper des affaires du monde.


ENTRE BIENS ET BIEN


Bien sûr que la préoccupation environnementale doit être au cœur des nos préoccupations d'aujourd'hui parce qu'elle est au cœur de la tâche qui fut assignée à l'homme aux premiers jours de la création tels que relatés dans le récit de la Genèse que nous avons entendu.


S'il nous faut cultiver, garder notre jardin, c'est-à-dire le monde tel qu'il nous a été donné et si possible l'améliorer plutôt que de l'exploiter, le piller et le détruire, l'intention de Jésus dans ce « Sermon sur la montagne » n'est pas de faire de nous des adeptes de la permaculture ni des ascètes nous contentant de peu, voire de rien. La sobriété comme idéal de vie n'a rien à voir avec le dénuement mais avec le contentement, la satisfaction de ce que l'on a. L'éthique du protestantisme est de considérer avant toute choses, la valeur de la vie, de toute vie et de la vie humaine en particulier mais en harmonie avec les autres vies et, en conséquence de considérer tout le reste comme étant relatif, comme un moyen plutôt que comme une fin : nous devons utiliser nos biens pour faire le bien plutôt que d'être utilisés par eux.


Revenons à ce moment où Jésus enseigne à ses disciples. À ces hommes et ces femmes réunis au milieu des oliviers, il ne promet ni honneurs ni gloire, ni victoire sur l'occupant romain mais il leur donne une feuille de route, une manière de vivre ayant pour but d'atteindre ce qui compte vraiment. Ils savent qu'ils sont au début d'une aventure extraordinaire et leurs cœurs sont partagés : d'une part l'exaltation extraordinaire, tout l'espoir soulevé par les paroles de Jésus qui enflamment leurs pensées et de l'autre côté les soucis bien légitimes pour ces disciples qui veulent s'engager dans la Voie : que va-t-il nous arriver ? De quoi serons-nous vêtus ? Que mangerons-nous ?


Il s'adresse à ses disciples qu'il va envoyer sur la route. Et Jésus de se comporter comme un chef : les difficultés qui viennent, que vous allez rencontrer, ne sont rien à côté de ce qu'il y a au bout du chemin : au bout de cette route qui va de cette colline au bord du lac jusqu'au Royaume de Dieu que Jésus place à l'horizon de tous ses auditeurs, de ceux qui étaient ce jour-là sur la colline et de ceux qui sont aujourd'hui avec lui sur nos bancs d'église.


Car c'est bien à nous qu'il s'adresse aujourd'hui encore, à nous qui pouvons être préoccupés par bien des choses légitimes. Quel avenir pour nos Églises ? Comment entretenir nos bâtiments ? Comment financer nos activités ? Assurer l'avenir et l'ordinaire ? Ou des préoccupations plus personnelles. À toutes ces préoccupations légitimes, Jésus répond par la justice, non pas celle des hommes mais celle du Royaume de Dieu.


Non pas une justice qui serait déjà faite, punissant les coupables et restaurant les pauvres et les affligés mais au contraire une justice exercée dès aujourd'hui par tous ceux qui en sont capables au nom de cet idéal qui nous dépasse tous, de cet horizon vers lequel nous allons. Une justice qui, dans l'esprit de Jésus, se confond avec la solidarité ou plutôt la fraternité au sein de la communauté : il est juste que celui qui est dans la joie soutienne celui qui est dans la peine, il est juste que le bien-portant prenne soin du malade, il est juste que celui qui est ferme encourage celui qui chancelle. Le réconfort, le soutien et l'encouragement fraternel que nous pouvons nous donner les uns aux autres, c'est la porte d'entrée du Royaume de Dieu.


Cette solidarité, cette fraternité est possible lorsque, à la suite de Jésus, nous cessons de nous préoccuper de nous-mêmes mais nous préoccupons des autres et c'est cela d'ailleurs qui est le cœur de l'éthique protestante .

Mais après ce soutien mutuel entre nous au sein de la communauté fraternelle qu'est l'Église, il n'en reste pas moins qu'il y a encore quelque chose qui dépasse notre compréhension : cette confiance inaliénable en la Vie, en ce Dieu créateur et libérateur aux yeux de qui chacun et chacune d'entre nous, dans sa réalité d'ici et maintenant, a plus de valeur et d'importance que tous les oiseaux du ciel et tous les lis des champs qui, contrairement à nous ? sont destinés à être brûlés au feu.


Oui, c'est le principal enseignement de Jésus ici ; plus encore que le Royaume et sa justice : c'est l'affirmation de la valeur que chacun et chacune d'entre nous a pour lui. Que cela puisse nous donner confiance pour aujourd'hui et pour demain.


Roland Kauffmann

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