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La sublime consolation

Dernière mise à jour : 10 févr. 2023

Guebwiller 18 septembre 2022 – La sublime consolation

Roland Kauffmann


Vous aurez certainement remarqué que tous les textes qui ont accompagné notre prière jusque-là avaient une forte connotation d'Ode à la Nature, à la magnificence du Dieu créateur, qui vient nous rejoindre depuis son immensité jusqu'à notre intimité : de l'au-delà de l'univers jusqu'au plus secret de notre cœur, c'est l'essentiel de la foi que de se savoir, moi, simple goutte, simple poussière dans l'éternité et l'infini, être l'attention de l'Éternel Dieu qui est justement éternité et infini. Nous qui sommes coincés dans notre temps et dans notre espace, qui avons du mal à voir ce qui est au-delà de notre horizon et qui ne pouvons envisager le temps bien au-delà de notre petite vie, nous sommes pourtant au centre de l'attention de l'Éternel Dieu, créateur de l'univers.


Cette compréhension de l'homme, de l'individu comme centre de l'univers est caractéristique de la pensée judéo-chrétienne et se concrétise suivant deux manières.


La première, celle qui est la plus commune, c'est de considérer que l'univers entier a été créé pour l'homme. La lune, les étoiles, les planètes, les océans et les mers, les végétaux, la faune, tout existe pour servir l'humanité, but ultime de la volonté de Dieu. Et à ce titre-là, l'humanité a le droit, voire même le devoir, d'assujettir la terre et tout ce qu'elle contient. C'est normal et légitime puisque tout a été créé pour son bien, dans son intérêt. C'est la doctrine de la création qui a inspiré la théologie de l'Église depuis son origine.



La seconde manière de considérer l'homme comme centre de l'univers est celle que l'on trouve dans les théologies plus contemporaines où l'homme est compris comme faisant partie de la nature, non plus forcément au centre mais comme un élément parmi d'autres, avec une responsabilité particulière due précisément au fait qu'il est le seul être vivant ayant conscience de lui-même et des autres êtres vivants. Nous savons par exemple qu'il existe des baleines même si nous n'en avons jamais vu alors que les baleines ne connaissent que ce qu'elles ont rencontré. Cette théologie de l'humanité comme partie intégrante de la nature est ainsi au fondement de ce qu'on appelle aujourd'hui « Église verte » par exemple avec aussi toujours le risque d'un retour aux mythologies de la nature en idéalisant la nature au détriment de la culture.

En effet, ces deux formes de théologies ont des risques spécifiques. La première celle de l'homme sommet de la création porte en elle le germe de la surexploitation des ressources et de la destruction des écosystèmes. Puisque la création s'est faite dans l'intérêt seul de l'humanité, il est légitime que l'homme l'exploite sans tenir compte des besoins et des intérêts des autres vivants. La pente d'une telle pensée n'est rien de moins que la destruction du monde.

L'autre théologie comporte le risque d'une naturalisation outrancière de l'humanité et de son rapport au monde. En recherchant la présence de Dieu dans la nature, et en réinsérant l'humain dans cette même nature, on ne fait finalement pas autre chose que revenir aux anciennes religions du monde, qui voyaient dans chaque source une présence divine, manifestée par des nymphes, dans chaque animal, une étincelle de Dieu que l'on peut retrouver par la communion avec la nature.


Entre domination du monde par l'homme et inclusion de l'humain dans la nature, la voie est étroite et pourtant elle nous est indiquée par le texte d'aujourd'hui, par ce psaume magnifique du prophète Ésaïe. Il utilise lui-aussi la métaphore naturelle lorsqu'il parle des « sources du salut », et des « choses magnifiques » que l'Éternel a faites. Il utilise un terme extraordinaire : le mot de « sublime ». Et ce mot a trouvé sa meilleure expression dans la bouche des Pères Pèlerins de la Nouvelle Angleterre lorsqu'ils ont découvert les beautés du Nouveau Monde. Découvrant cette nouvelle terre, et par contraste avec l'Ancien Monde et ses persécutions religieuses, ses misères et ses disettes, les Pères Pèlerins ont crû découvrir en Amérique la Nouvelle Terre et les Nouveaux Cieux promis, une terre de salut et toute la théologie américaine s'est construite à partir de là, sur l'admiration du « sublime ». Ce sont notamment les grands théologiens du XIXe siècle ce que l'on appelle les Transcendantalistes, dont Ralph Waldo Emerson est le chef de file, qui vont populariser le concept de « sublime œuvre de Dieu » en s'inspirant précisément de ce passage d'Ésaïe. Il s'agissait d'inscrire leur destin de peuple nouvellement élu dans la longue durée du dessein de Dieu.


Il est en effet tentant pour nous aujourd'hui de faire comme eux. Bien souvent, nous avons tendance à magnifier les œuvres de Dieu en désignant les splendeurs de la nature. Nous avons tous connu ces émotions lorsque nous voyons la beauté d'un coucher de soleil ou la splendeur des ballons des Vosges. Les « choses magnifiques » que l'Éternel a faites nous réjouissent et confortent notre foi. Cette nature si belle a forcément un créateur et nous voilà rassurés.


Pourtant de quoi parle Ésaïe ? Qu'est ce qui est « sublime » pour lui ? Le monde, le ciel, la nature ? Écoutons-le « Je te célèbre, car tu as été irrité contre moi, ta colère s'est détournée et tu m'as consolé » Voilà la chose magnifique que l'Éternel a faite et que Ésaïe va célébrer, c'est que la juste colère de Dieu s'est détournée et qu'au contraire de la punition, l'Éternel a apporté la consolation. De quels « haut-faits » est-il ici question ? Souvenons-nous toujours que les dieux des nations sont des dieux de puissance, qu'ils donnent la victoire et apportent les moissons, brûlent les villes et les récoltes quand on leur déplaît, la sanction est immédiate quand l'homme ne respecte pas le dieu du pays, le dieu de la nature, il en paye le prix.

Évidemment que Ésaïe, parce qu'il parle dans des temps reculés, a été compris comme célébrant la puissance de l'Éternel, Dieu fort au bras plus fort que les autres dieux. Bien sûr que nous pourrions l'entendre de la même manière, comme l'ont d'ailleurs entendu les Pères Pèlerins et nous pourrions nous glorifier des choses magnifiques que l'Éternel a faites, dans une surenchère avec les autres religions ou les autres confessions chrétiennes.


« Tout le malheur de l'homme vient d'une fausse conception de la puissance »

« Tout le malheur de l'homme vient d'une fausse conception de la puissance » disait la philosophe Simone Weil dont vous m'entendrez souvent parler tant elle m'inspire et me nourrit. Elle voulait dire par là que l'homme a toujours besoin que son Dieu soit le plus fort, le plus grand, le meilleur en définitive. Et le cœur de l'homme est ainsi fait qu'il tire sa propre gloire de la puissance de son dieu et nous avons là en germe les racines de l'intolérance et de la guerre religieuse car « mon dieu est toujours plus fort que le tien » depuis la nuit des temps et qu'existent les religions du monde.


Certes nous devons suivre Ésaïe et faire connaître au monde ces choses magnifiques « Qu'elles soient connues par toute la terre » nous dit-il ! Mais ce qui est magnifique, ce qui est sublime, ce n'est pas qu'il ait créé le monde, les étoiles et tout ce qui nous entoure. Ce qui est magnifique, ce qui est sublime, ce n'est pas qu'il soit le Dieu fort à bras étendu qui domine la terre comme nous prétendons la dominer. Ce qui est magnifique dans les mots d'Ésaïe, c'est la consolation qu'il nous apporte.


C'est cela la nouveauté qu'apporte Ésaïe et qui n'aura pas été comprise par ses contemporains qui ont entendu seulement « Il est grand au milieu de toi, le Saint d'Israël » sous-entendu, « il est plus grand que les autres ». Or ce n'est pas ainsi que nous pouvons « puiser avec allégresse aux sources du salut », c'est au contraire en ayant une profonde reconnaissance pour ce que l'Éternel a fait pour nous, dans le secret de nos vies et de nos âmes. Les sujets d'inquiétudes, d'anxiété, de troubles, ne manquent évidemment pas et il ne s'agit pas de faire comme s'ils n'existaient pas. Mais ce à quoi Ésaïe nous invite aujourd'hui, c'est à regarder au plus près de notre expérience. Qu'y-a-t-il de plus beau, de plus magnifique que le moment où nous avons éprouvé une paix intérieure, un accord avec soi-même et la paix de l'âme ? Quand un moment de colère, contre notre conjoint, nos enfants, nos collègues, nos amis, s'est dissipé comme une brume du matin non par renoncement ou lâcheté mais par un « simple » apaisement du cœur. Quand on fait preuve de courage, de bonté, de charité. Quand on éprouve la vérité de l'amour de ceux qui vivent avec nous ou tout simplement encore quand on fait le bien pour un autre que nous-mêmes.

Chacun d'entre-nous a fait l'expérience, je l'espère en tout cas, de ces moments de profonde reconnaissance envers la vie, de ces instants parfois fugaces où nous nous sentons en profonde communion avec l'univers, avec tout ce qui nous entoure et nous ressentons une grande paix intérieure. Peut-être tout simplement parce que nous nous trouvons à ce moment-là en accord profond avec nous-mêmes, en cohérence dans ce dialogue intérieur avec la Parole de Dieu qui doit modeler nos existences, quand par la prière nous avons exercé notre volonté pour vouloir aimer plutôt que haïr, à ces moments-là n'avons-nous pas le sentiment que oui « il est grand le Saint d'Israël » mais non pas dans les choses extérieures mais au plus profond de notre être ?


Le sublime est dans l'ordinaire de la foi

C'est là qu'est le sublime et c'est cela qu'il nous faut faire connaître au monde. Lorsque nous disons avec Ésaïe « l'Éternel est ma force et mon chant », il nous faut dire qu'au plus profond de nous-mêmes, il est une paix intérieure qui ne peut nous être enlevée parce qu'elle vient de la consolation que l'Éternel nous a apportée et de cette conviction, traduite par l'apôtre Paul dans le texte de l'épître aux Romains que nous avons entendu tout à l'heure que nous avons été « adoptés » par l'Éternel. Une notion fondamentale que cette notion d'adoption sur laquelle nous reviendrons souvent dans les mois qui viennent. Tout comme cette notion de plénitude que nous avons entendu dans la confession de foi de Paul car elle souligne ce qu'est justement le vrai sublime, autrement dit la plénitude de la confiance que nous pouvons avoir envers l'Éternel notre Dieu.

C'est de reconnaissance, d'une profonde gratitude, qu'il est ici question lorsque parmi les dix lépreux de l'évangile, un seul revient pour remercier Jésus et pas n'importe lequel, un samaritain, un de ces réprouvés aux yeux de la Loi. Jésus s'est d'ailleurs beaucoup servi des Samaritains pour montrer à ses contemporains qu'il fallait comprendre autre chose que ce qu'ils croyaient.


Ce mouvement du lépreux samaritain peut être le nôtre aujourd'hui lorsque nous prenons conscience que malgré notre petitesse, grain de poussière dans la poussière de l'univers, nous comptons aux yeux du Dieu infini et éternel et que cette attention se manifeste dans les moindres gestes d'amour et de bonté que nous pouvons avoir les uns pour les autres car ce qui est sublime pour reprendre les termes d'Ésaïe, ces choses magnifiques que l'Éternel a faites, ce sont tous ces gestes de bonté, de patience, de magnanimité, que nous pouvons avoir les uns pour les autres, chacun à notre mesure.


Le sublime est dans l'ordinaire de la foi, chaque fois que nous faisons le choix de l'amour et de l'attention à l'autre, à tous les autres qui nous sont confiés, dans toutes les circonstances de la vie. C'est ainsi que « nous puiserons à notre tour aux sources du salut car il est grand au milieu de nous le Saint d'Israël ».

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