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Photo du rédacteurThierry Holweck

La Loi : la toute première parole

Exode 20, 1-17, Soultz le 29 juin 2024





Lors de nos derniers cultes ici à Soultz, nous avons commencé notre réflexion sur la Loi, autrement encore appelée la Torah. Cette loi donnée à Moïse sur le mont Horeb, au début du périple qui devait emmener le peuple Hébreu depuis l'Égypte jusqu'à la terre promise, cette Palestine tant convoitée. Nous avons vu que, comme souvent dans la Bible, il y a deux récits complémentaires mais différents qui parlent de la même chose. De même qu'il y a deux récits de la création de l'homme et de la femme, il y a deux moments où la loi est donnée au peuple par l’intermédiaire du même Moïse.


Nous avions vu donc que la première fois, la loi avait été donnée depuis le sommet de la montagne de l'Horeb, dans le feu et dans le tonnerre qui effrayaient le peuple. La seconde fois, c'était au bord du Jourdain avant que le peuple ne traverse le fleuve et n'entre réellement en possession de son futur territoire. Entre les deux, nous avions relevé peu de différences formelles entre les commandements, c'est surtout l'histoire du peuple qui est différente.


La première fois, les israélites venaient de quitter l'Égypte, la libération était toute fraîche et pourtant ils n'ont pas fait confiance. Tout de suite après le don de la loi, ils étaient pourtant arrivés une première fois en Palestine et ils avaient envoyé des explorateurs espionner le pays et ses habitants. Ces explorateurs étaient revenus en disant qu'il n'y avait aucune chance de l'emporter car les habitants de Palestine étaient bien trop puissants. Parmi eux, seul Josué, serviteur de Moïse, pensait la victoire possible. Mais rien n'y a fait, ni la persuasion de Moïse ni les encouragements de Josué, l'assemblée souveraine du peuple d'Israël a décidé de renoncer à la conquête et de retourner dans le désert. Vous lirez cette histoire aux chapitres 13 et 14 du livre des Nombres.

Irrité par leur manque de confiance en lui, l'Éternel Dieu décida de les perdre dans le désert. Ils errèrent dans le désert durant quarante ans, le temps que disparaisse entièrement la génération qui était sortie d'Égypte et que naisse une nouvelle génération.


Cette nouvelle génération ne connaissait rien de la servitude vécue par ses pères. Elle ne la connaissait que par les récits qu'en faisaient leurs parents, le soir à la veillée. Un peu comme les jeunes d'aujourd'hui qui ne savent plus rien des décennies passées et ne peuvent imaginer ce qu'était la vie à l'époque où nous n'avions pas encore Internet ni les réseaux sociaux et que les téléphones étaient encore attachés à un fil, posés sur un meuble et qu'on était obligés de rester à côté de l'appareil. Imaginez cette époque où l'on n'avait pas d'écouteurs pour écouter de la musique en permanence, cette époque où l'on ne pouvait pas communiquer à tout bout de champ avec ses copains, échanger sur les réseaux.


C'est en fait le même saut générationnel qui, toute proportion gardée, existe entre la génération sortie d'Égypte et celle qui va entrer en Palestine. C'est la raison pour laquelle, avant de mourir, car lui non plus ne pourra entrer en Terre Promise, Moïse répète la Loi.


Nous avions vu que la fonction de la loi était d'abord de servir de fondement à la vie en société, de socle sur lequel bâtir une vie en commun, un peu comme aujourd'hui la Constitution qui définit le cadre de notre République. Rappelons en rapidement l'article premier : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »

Hors la Loi de Moïse, pas de peuple d'Israël ; hors la Constitution pas de République française : sans laïcité, sans démocratie, sans politique sociale, sans égalité de tous indépendamment de l'origine, de la race ou de la religion, devant la loi, il n'y a plus de République. Voilà les critères qu'il nous faut examiner en conscience au moment où nous sommes appelés à exprimer notre appartenance au peuple français par l'exercice de notre devoir civique.


Nous disions encore que la Loi de Moïse était un guide qui devait permettre de construire un avenir. Elle pose, non seulement des fondements mais aussi des bornes qui permettent de délimiter un chemin afin d'éviter de s'enliser ou de se perdre dans le désert. Elle n'est pas seulement un rempart, une liste d'interdit, elle est aussi chemin de vie. Elle est promesse d'avenir et nous disions, à la suite du célèbre théologien Antoine Nouis que ces dix paroles étaient autant de promesses pour un avenir de liberté, de paix et de justice.


À la fois point de départ et repères pour l'avenir ; à la fois constitution d'un peuple et éthique individuelle ; à la fois identité et mouvement, dans ce que l'on pourrait justement appeler une « identité en mouvement » les dix commandements sont toujours d'actualité pour nous qui nous réclamons d'un Christ libérateur et annonciateur de la bonne nouvelle du Royaume de Dieu. Celui-ci, le Christ n'est en aucune manière venu enlever ne serait qu'une poussière de la loi, il est au contraire venu pour lui donner son sens plein et entier. Alors que Moïse donne au peuple d'Israël la loi juste avant de prendre possession de la Terre promise, de même le Christ nous donne sa loi de grâce en nous faisant entrer, non plus en Terre promise mais dans son Royaume de paix, de justice, de liberté, de bonté, de vérité et d'amour.


Or que vient-elle nous dire aujourd'hui si nous entrons désormais dans la structure même du texte ? Les dix commandements sont organisés en deux parties, voire trois si l'on compte l'introduction. Traditionnellement on distingue en effet, la partie qui parle de Dieu ou plus exactement de la relation de l'homme avec Dieu et la partie qui parlent des relations des humains entre eux. Les quatre premiers commandements, depuis « Tu n'auras pas d'autre Dieu devant ma face » jusqu'à « Respecte le jour du repos » parlent effectivement de la relation transcendante que nous pouvons avoir avec le divin quand les six autres, depuis « respecte ton père et ta mère » jusqu'à « tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain » désignent la relation horizontale des humains entre eux.


Voilà qui est facile à retenir : quatre qui parlent de Dieu et six qui parlent de nous. Mais il ne faut pas oublier l'introduction car c'est elle qui va donner sa tonalité à l'ensemble des commandements/promesses. Cette introduction, c'est la phrase « Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ait fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude ». Cette libéra tion effectuée par l'Éternel est la clé d'interprétation de l'ensemble et de chacune de ses parties. Cette libération est l'événement fondateur qui est à la fois l'origine et la destination du peuple : libéré, il doit rester libre et en aucune manière il ne doit se soumettre à d'autres puissances qu'à celle du Dieu qui l'a libéré.


Cette ordonnance de la liberté, le fait que l'Éternel ne dise pas seulement « je suis ton Dieu, point terminé et tu n'as pas le choix que de m'obéir parce que je suis bien plus puissant que toi » est essentielle. Car c'est ainsi que le Dieu d'Israël se distingue de tous les autres dieux. Ceux-ci ont créé les hommes pour les servir : ainsi dans le mythe mésopotamien de création du monde les dieux ont créé l'humanité pour les remplacer dans les multiples travaux indispensables à la bonne marche du monde1. Les dieux sont dieux parce qu'ils sont plus forts que les hommes, ils sont immortels et ont de supers pouvoirs, voilà qui suffit à fonder leur autorité sur les hommes.


Il n'en va pas de même pour le Dieu des Hébreux. Celui-ci ne prétend pas les dominer, ni les exploiter, ni se faire servir simplement parce qu'il serait leur créateur. La légitimité de l'Éternel ne dépend pas de son caractère surnaturel mais elle est fondée sur la libération qu'il a opéré.


De même qu'aujourd'hui, « Aimer Dieu et notre prochain » est un impératif catégorique mais non parce qu'il nous procurerait une récompense dans les cieux ou nous éviterait une punition éternelle mais bel et bien comme un acte de reconnaissance. De même que les Hébreux, au moment de la première et de la seconde lecture de la Loi sont appelés à la reconnaissance envers le Dieu qui les a libérés de la servitude, de même nous sommes appelés à mettre notre confiance en celui qui nous a, à notre tour, libérés des toutes les formes de servitude dans lesquelles nous pouvons nous trouver ou nous être trouvés.


Aujourd'hui, ces servitudes ont des noms divers et variés. Il ne s'agit plus du fouet des égyptiens mais ce sont ces multiples formes de soumission idéologique ou aux modes du temps. Ce sont toutes ces conditions qui nous déterminent. Spinoza déclarait que les hommes se croient libres, uniquement parce qu'ils ignorent les conditions qui les déterminent.

 C'est-à-dire que nous sommes tous, que nous le voulions ou non, conditionnés par notre situation personnelle, notre histoire, notre biologie, le fait d'être un homme ou une femme, notre origine sociale, notre situation économique. Tout cela oriente nos choix et nos actes dans les moindres détails de la vie quotidienne.


C'est de ces conditions que nous sommes libérés.


Nous sommes libérés de notre nature humaine, de celle qui nous incline au mal, à la recherche de nos propres intérêts et de notre égoïsme Nous ne sommes plus contraints d'obéir à nos penchants ou à nos caprices, nous ne nous laissons plus asservir par rien au nom de la liberté qui nous est donné par le Christ libérateur. C'est cette conviction nouvelle qui a conduit le peuple d'Israël, c'est cette conviction qui a fait des protestants au cours des siècles passés, les défenseurs acharnés de la liberté de conscience, de la liberté de la presse, des libertés individuelles et collectives, sociales et politiques. Rien de ce qui menace ces libertés ne mérite notre adhésion ou notre soumission ni a fortiori notre vote.


Libérés du péché et de la mort qu'il entraîne, nous avons à être en toutes circonstances les défenseurs de cet idéal de liberté, pour nous-mêmes et pour tous les hommes nos frères. Ce que le Christ déclare à sa manière dans ce dernier message que nous avons lu tout à l'heure dans l'évangile de Matthieu : à la mesure de ce que nous aurons fait, ou pas, aux plus petits d'entre nos frères, c'est ainsi que nous serons considérés, ou pas.


Appelés à la liberté, libérés par le Christ, il nous faut donner à tous les hommes, qu'ils connaissent ou pas le Christ, les conditions pour cette liberté en Christ. Disciples d'un Dieu libérateur, soyons à notre tour, libérateurs pour notre prochain comme pour notre lointain.


Roland Kauffmann



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