Guebwiller, 3 décembre 2023, 1er dimanche de l'Avent
Roland Kauffmann
Version Maillot-Lelièvre (1)
1) De David. Psaume.
Au SEIGNEUR la terre et son contenu,
le monde et ses habitants.
2) Il l'a fondée sur les mers,
et rendu stable sur les flots.
3) Qui gravira le mont du SEIGNEUR ?
Qui se tiendra là où est son Temple ?
4) L'homme aux mains propres et au cœur pur ;
qui ne sert pas de Moi pour nuire ;
qui ne jure pas pour tromper.
5) Il obtient du SEIGNEUR une bénédiction,
un bienfait de Dieu son sauveur.
6) Voici la race de ceux qui le suivent,
de ceux qui cherchent ta face : c'est Jacob !
7) Portes, relevez vos linteaux :
élevez-vous, portails antiques,
et qu'il entre le roi de gloire !
8) Qui est ce roi de gloire ?
Le SEIGNEUR fort et brave,
Le SEIGNEUR brave à la guerre.
9) Portes, relevez vos linteaux,
relevez-les portails antiques,
et qu'il entre le roi de gloire !
10) Qui est-il ce roi de gloire ?
Le SEIGNEUR-Légions !
c'est lui le roi de gloire
Il peut être surprenant, au moment d'entrer dans l'Avent, d'avoir entendu le récit de l'entrée de Jésus à Jérusalem que nous raconte Matthieu. Jésus est accueilli par une foule en liesse, il est monté sur un ânon, le petit d'une ânesse et il s'avance sur une couverture de rameaux et sous les clameurs de la foule. Ne nous serions-nous pas trompés dans le calendrier liturgique, en faisant un raccourci qui nous amènerait déjà aux Rameaux, c'est-à-dire une semaine avant Pâques ? Décidément tout va si vite…
Bien sûr que non, nous sommes bien le 3 décembre, 1er dimanche de l'Avent et nous entrons, non pas à Jérusalem mais dans cette période de l'attente de notre roi, de celui qui vient à nous, non pas monté sur une âne mais dans l'humble forme humaine d'un enfant qui naîtra dans une étable. Les récits de l'enfance de Jésus nous racontent cette naissance, entourée d'un âne et d'un bœuf, « là dans l'humble étable, froide et misérable » selon les paroles du cantique que nous aimons tant Ô peuple fidèle. Vous voyez bien que l'âne est très présent au moment de la nativité. Mais paradoxalement, pas exactement comme il était attendu et annoncé.
C'est là qu'en étude biblique, lors de notre dernière séance de Bible en mains, il nous a fallu dire notre gène. Car ce n'est pas seulement de surprise qu'il est question avec les textes d'aujourd'hui. Il y a certes cette mise en rapport de la prophétie de Zacharie qui se réalise au moment des Rameaux mais là on est encore dans quelque chose d'habituel pour le temps de l'Avent et de Noël. On parle de paix, on parle de fraternité universelle, toutes choses avec lesquelles nous pouvons facilement être en accord. Qui pourrait être contre la paix ? Ou contre l'humilité de ce roi qui vient « humble et monté sur un âne » ? Mais la gène survient quand on écoute attentivement la prophétie et qu'on la rapporte à l'actualité. « Sa domination s'étendra d'une mer à l'autre. Depuis le fleuve Jusqu'aux extrémités de la terre ». Aujourd'hui, ce sont les extrémistes des deux bords, les terroristes palestiniens comme les obscurantistes juifs qui se dressent les uns contre les autres et en appellent à la domination du « fleuve jusqu'à la mer ». Dans la bouche des uns et des autres, cela veut dire l'éradication, l'élimination pure et simple de l'autre, qui ne peut plus exister sur la même terre.
Il ne faut pas se tromper. La volonté de destruction pure et simple d'Israël et la disparition, non seulement du peuple juif en tant que tel mais de chaque individu juif est bien présente, non seulement pour le Hamas mais aussi pour toutes les formes d'islam radical. Ce n'est pas seulement un peuple qui est visé mais des individus qui sont visés dans leur chair, niés dans leur existence. Le massacre des innocents est malheureusement une douloureuse réalité qui se répète dans l'histoire.
Mais de l'autre côté, en Israël, sévissent également des fous furieux qui ne demandent que l'instauration d'un grand Israël dont toute forme d'impureté, sous-entendu dans leur esprit, toute présence non-juive et surtout musulmane, doit être éliminée de la terre promise par l'Éternel. Et c'est en invoquant la promesse de Dieu que les intégristes juifs prétendent purifier la terre. Il n'y a pas de meilleure manière de justifier la haine, la violence ou même la cruauté barbare que de lui donner un vernis, un semblant de justification religieuse et le couvert de la foi pour tuer, torturer et meurtrir l'incrédule, l'infidèle, le mécréant, le mal-croyant. Et ceux-là n'écoutent pas la promesse d'un roi de paix mais cette promesse du psaume 24 d'un roi de gloire qui entre dans sa capitale auréolé de la victoire que lui a donné le SEIGNEUR-Légion tel que nous le raconte le psaume.
C'est bien là que se trouve le malaise que nous pouvons éprouver à la lecture de ce psaume comme de bien d'autres textes bibliques où nous sommes bien loin de l'idée d'un Dieu de paix et de concorde universelle. La domination évoquée est bien à sens unique, celle du peuple élu, de ceux qui suivent Dieu et le roi, la génération de Jacob, autrement dit les descendants, la race de Jacob ! Et oui, encore un mot choquant que nos versions modernes édulcorent en remplaçant le mot « race » par « génération », « peuple » ou plus généralement par « ceux qui te suivent ».
Mais quels sont-ils justement « ceux qui suivent le SEIGNEUR » ? C'est la question centrale de ce psaume qui est beaucoup plus riche que la première sensation de gène ne pourrait le laisser penser. Il nous faut faire un effort de pensée justement pour ne pas nous laisser arrêter par les formules qui associent la victoire militaire du roi David rentrant dans sa capitale après une expédition et se faisant accompagner par l'arche de Dieu pour asseoir sa puissance sur la puissance divine. Tous les rois de tous les peuples ont toujours fait ça, les dieux des peuples ont toujours servi les intérêts des puissants et chaque peuple s'est fait un dieu conforme à l'image qu'il se faisait de la puissance.
Mais le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu que vénère David et en l'honneur de qui il écrit ce psaume est justement différent des dieux des peuples et ce sont ces différences qu'il nous faut relever pour comprendre en quoi nous aussi nous avons à comprendre et à penser notre Dieu, le Dieu qui se manifeste en Jésus-Christ est différent des idoles des nations et des représentations que se font les peuples de leurs dieux.
D'abord, contrairement aux dieux des peuples à l'époque antique, le Dieu d'Israël n'est pas à éclipses. Il n'a pas besoin d'être réalimenté par le feu ou pas des sacrifices, il ne meurt pas pour renaître, il ne s'éteint pas à bout de force pour se relever, régénéré par la louange de son peuple ou la vigueur des rois. C'est la première chose que nous dit le psaume : l'Éternel ne dépend pas du monde, il n'est pas issu de la terre, il ne s'en nourrit pas, il n'y est pas attaché. Il ne peut être identifié à une terre quelle qu'elle soit, fut-elle « promise » et on ne peut le limiter à un territoire entre le Jourdain et la mer. Il n'y a pas de terre sainte au sens où elle devrait être pure, préservée de tout ce qui n'est pas casher, hallal ou sacré. La présence de Dieu ne peut être « enclose » disait Jean Calvin, que ce soit dans un territoire, dans un espace, mais aussi dans un peuple, dans une culture, dans une ethnie ou dans une époque. « À l'Éternel, la terre et ce qui la remplit », c'est la première leçon du psaume : c'est l'Éternel qui fonde la terre, la civilisation, en assure la stabilité et non pas l'inverse. Pour le dire encore autrement, c'est à nous de chercher à être à son image plutôt que de chercher à faire de lui l'image de nos haines et de nos peurs.
Une gratitude à la mesure de l'univers
Alors bien sûr que le psaume termine avec cette évocation si fastueuse de ces portes à qui l'on s'adresse pour qu'elles s'ouvrent toutes grandes alors même qu'elles ne le seront jamais assez pour laisser entrer le Dieu de l'univers. Et l'intention du psaume est bien de nous associer à cette liesse. C'est chacun et chacune d'entre nous qui doit ouvrir plus largement les portes de son cœur, de son esprit et de son âme pour accueillir celui que nous attendons, celui que nous voyons venir, autrement que ne viennent les dieux des nations, loin du bruit et de la fureur de la victoire des puissants, des cruels sur les barbares, loin de la vengeance et de la haine religieuse, dans l'humilité et la douceur d'un naissance à l'abri d'une étable.
La troisième leçon du psaume, c'est de nous associer à cette gratitude fondamentale envers ce Dieu qui vient vers nous pour nous sauver de nous-mêmes et de tout ce qui nous opprime car la victoire dont il est ici question c'est bien évidemment la victoire sur tout ce qui nous empêche de suivre notre Seigneur en agissant dans la justice et dans l'amour.
Troisième leçon que de nous réjouir de ce Dieu qui vient vers nous pour nous élever et nous faire regarder au-delà de nous-mêmes ? Certes mais si c'est la troisième, quelle était la seconde ? En effet, la première était cette universalité du règne de Dieu, valable pour tous les hommes de tous les temps et toutes les époques, aurais-je oublié la seconde ?
La seconde leçon est justement celle qui articule ces deux dimensions. Cette grandeur de Dieu, créateur et soutien de l'ordre du monde et cette grandeur de l'homme qui s'attache à lui et qui fait grandir son cœur à la dimension de l'Éternel, qui fait déborder sa vie de manière à être à la mesure de ce qui n'a justement pas d'autre mesure que la beauté et la joie de la Vie avec une majuscule. Comment passer de l'un à l'autre ? Et nous revenons à la question du portier de notre psaume « Qui montera à la montagne de l'Éternel ? ».
Il donne lui-même la réponse et c'est à ce point que le psaume 24 devient un sommet de l'art poétique de David car il concilie le sublime, l'extraordinaire, l'ordre du monde avec toutes ses lois, biologique, physiques, mathématiques, tout ce qui est l'ordre de la nature et de la création, car c'est cela les « armées de l'Éternel » : ce ne sont pas des nuées d'anges ou de chérubins mais tout ce qui tient ensemble le monde, toute l'architecture des lois de l'univers, des lois naturelles qui font que le monde tient et qu'une pierre tombe toujours à la même vitesse quel que soit l'endroit du monde où elle tombe ou que l'eau bout toujours à 100° quand la somme des angles d'un triangle fait toujours et partout 180°. Voilà les armées de l'Éternel, toutes les lois de la nature !
Le psaume concilie donc le sublime, les lois de la nature, avec l'ordinaire de la vie de chacun et chacune d'entre nous. En parlant du royaume, il nous parle d'abord d'éthique, ou plus exactement de l'éthique du royaume, sur la manière dont nous devons déjà vivre en tant que citoyens de ce royaume alors même que nous attendons toujours sa venue. Et le portier de nous donner quatre règles qui sont autant de manière de suivre notre roi, ce Christ que nous célébrons : celui qui entrera dans la joie de son maître c'est « L'homme aux mains propres et au cœur pur ; qui ne sert pas de Moi pour nuire ; qui ne jure pas pour tromper. » Autrement dit, l'innocence des actes, la pureté des intentions, le refus d'invoquer le nom de l'Éternel pour justifier ses actes ou la vérité de nos engagements.
Quatre règles de la foi
Le psaume 24 devient ainsi une condamnation de tous ceux qui à l'inverse de ce qu'il exige, utilisent le nom de Dieu pour légitimer la violence et la haine, qui « se servent de moi, dit le Seigneur, pour nuire » : la foi en quelque Dieu que ce soit ne peut jamais servir à justifier des actes qui nuisent à autrui et cette règle du psaume 24 doit nous préserver de toutes les inquisitions et de tous les intégrismes religieux.
Ne pas jurer pour tromper, c'est être loyal et ferme dans nos engagements, savoir ce que nous voulons et être prêts à payer le prix s'il le faut de notre fidélité à la parole de l'Éternel en recherchant en toute chose la vérité et la justice.
Avoir le cœur pur, c'est déjà annoncer, dès ce psaume, que ce n'est pas ce qui entre dans la bouche de l'homme qui le rend impur mais ce qui ressort de ses actes et de ses intentions, que c'est en paroles et en actes que nous manifestons notre fidélité à notre Seigneur, le Christ !
Enfin, j'aimerais conclure avec ces « mains propres ». Parce qu'elles font écho à un personnage important pour notre paroisse. Vous savez, ou vous l’apprenez peut-être, que le prix Nobel de physique 1966, Alfred Kastler est né ici dans ce qui est aujourd'hui notre Foyer protestant et était en 1902, l'école protestante. Alfred Kastler, comme l'autre prix Nobel alsacien, Albert Schweitzer, utilisera la notoriété offerte par le prix Nobel pour alerter le monde contre les risques de guerre atomique et plus largement de déshumanisation de l'humanité par la démesure de l'industrialisation. Ses nombreux combats pour la défense de la liberté politique et sociale, de l'émancipation des femmes, contre l'exploitation et la pauvreté de ce que l'on appelait alors le « tiers-monde » et d'une manière générale ses luttes au profit des générations futures, en somme tout ce qui a fait de lui, qui était un spécialiste de la physique, c'est-à-dire, de ce que j’appelais tout à l'heure les « armées de l'Éternel », les lois naturelles, un défenseur de l'humain en l'homme. Tout cela a pour cœur la question lancinante qu'il pose dans l'avant-propos de son recueil de poèmes Europe ma patrie et dont Jean-Paul Sorg a édité la première partie de 32 poèmes, Heimat (2).
Dans le désarroi profond provoqué chez lui par la défaite de la France en 1940, il s'interrogeait pour savoir « Durant ces semaines, où toutes les valeurs vacillèrent, qui aurait pu dire : moi, je suis propre, aucune faute ne pèse sur moi ? » (3).
Il voulait évoquer le sentiment de culpabilité qu'il ressentait comme d'autres intellectuels de son temps d'avoir préféré la tranquillité des laboratoires aux luttes pour éviter la guerre. Plus encore il évoquait son propre sentiment de trouble à l'idée que les chances de la vie lui aient fait quitter son Alsace natale, contrairement à son frère Henri qui mourra en tant que Malgré-nous sur le front de l'Est. C'est dans cette intention poétique que se trouve certainement le cœur des engagements d'Alfred Kastler, dans cette conscience d'une innocence jamais atteinte autrement que par le Christ et donc le sentiment de responsabilité qui doit en découler. C'est cela avoir les « mains propres », avoir conscience de nos fautes et du hasard de nos existences et tout faire, pour autant que faire se peut, pour y apporter un remède et contribuer ainsi à restaurer l'ordre du monde, en tout cas en veillant à ne pas ajouter à son désordre.
Telle est notre espérance pour ce temps de l'avent.
Roland Kauffmann
1 Alphonse Maillot et André Lelièvre, Les Psaumes, tome 1, Labor et Fides, Genève 2007 [1962]
2 Europe ma patrie, Nouvelle édition, bilingue, du premier chapitre (32 poèmes), avec introduction, notes et chronologie de la vie d’Alfred Kastler, 136 pages, chez Aubin éditeur, 2004 [1971, Martin Flinker]
3 Ibid, p. 41.
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