Guebwiller 23 avril 2023
Roland Kauffmann
23.1 Psalmodie de David
Yhwh
mon berger
Je ne manque de rien
2. Grâce à toi
couché dans l'herbe des prés verte
Guidé vers les eaux calmes
3. Tu me redonnes des forces
tu m'indiques le sentier le plus juste
Oh à cause de ton nom
4. Engagé
sans malheur dans vallée obscure
Tu es avec moi
ton bâton et ta canne me protègent
5. Pour moi seul tu dresses une table face aux ennemis
Huile sur ma tête
et les coupes débordantes
6. C'est la bonté qui me poursuit
Oui c'est l'amour
toute ma vie
J'habite la maison de Yhwh
pour le temps des temps
Psaume 23, in La Bible des écrivains, trad. Philippe Jaccottet
Je vous annonçais il y a quelque semaines de cela des prédications mensuelles sur les psaumes. Les nombreux événements de ce mois d'avril, entre le culte des Rameaux, Vendredi saint, Pâques, le repas de printemps, sans oublier les veillées pascales avec l'Entente des Églises chrétiennes de Guebwiller nous ont largement mobilisés.
Aujourd'hui, qu'il n'y a pas d’événement, que nous vivons ce qu'on peut appeler un culte « ordinaire » avec tout le respect que l'on doit à ce qui est ordinaire, c'est-à-dire normal, régulier, habituel, autrement dit sans événement extra-ordinaire même si chaque culte est en soi un événement, nous pouvons nous attacher à ce qui fait l'ordinaire de la piété, à savoir les psaumes.
Les psaumes ont en effet cette capacité à être à la fois ordinaires et extra-ordinaires. Je veux dire par là qu'ils font partie de la piété quotidienne, réciter ou au moins lire un psaume par jour est une excellente pratique pour nourrir et inspirer notre prière. Mais ils font aussi partie de la liturgie des grands évènements, ils donnent une solennité particulière aux évènements de la vie. Ils font d'une certaine manière entrer dans notre quotidien toute l'histoire et la foi du peuple d'Israël depuis sa libération d'Égypte jusqu'à notre propre histoire avec nos propres libérations. Ils disent nos tourments, nos espérances, nos joies et nos peines et traduisent à leur manière ce qui fait le fond de nos âmes.
Nous en connaissons certains par cœur, chacun selon notre sensibilité ou notre histoire personnelle mais il en est un que nous connaissons tous ou au moins devrions connaître. Il s'est évidemment imposé à moi aujourd'hui d'autant plus que le thème liturgique de ce deuxième dimanche après Pâques c'est le Bon Berger. En plus nous sommes aujourd'hui le 23 avril, il était donc naturel de réfléchir ensemble à ce que peut signifier pour nous ce fameux psaume 23 qui nous dit justement «L'Éternel est mon berger, je ne manquerai de rien ».
Il y a quelque chose de surprenant à voir que ce psaume avec sa lecture allégorique de l'existence humaine comme étant celle sous la houlette d'un berger, continue à nous parler alors même que nos sociétés ne sont plus pastorales depuis bien longtemps. Nous qui ne voyons plus de moutons, ni de brebis, ni à fortiori d'agneaux dans nos rues et encore moins de bergers, nous continuons pourtant à nous reconnaître dans cette image d'un berger qui prend soin de nous, nous guide et veille sur notre destinées.
Dans les années 50 ou 60, de nombreux théologiens et exégètes se sont mobilisés pour dire que nous devrions rafraîchir le langage de l'Église. Moderniser la Bible sous peine de la déconnecter entièrement des populations contemporaines en la transformant en une espèce de conservatoire aussi désuet que peu intelligible par la plupart de nos concitoyens. Notamment, certains s'étonnaient que le psaume 23 précisément continue d'être lu et utilisé dans la vie liturgique tant il leur paraissait décalé avec les conditions actuelles de la sociétés.
Ce qui est étonnant avec ces volontés modernistes, c'est qu'elles passent et que les textes anciens restent et à chaque époque, il y a de nouvelles tentatives qui finalement n'accrochent pas. Et la version que je vous ai lue tout à l'heure, pourtant d'un poète extraordinaire, Philippe Jaccottet, traducteur entre autre de Goethe et de L'Odyssée ne déroge pas à la règle. Elle est certes très belle : « engagé sans malheur dans vallée obscure » ou « huile sur ma tête et les coupes débordantes c'est la bonté qui me poursuit. Oui c'est l'amour toute ma vie. J'habite la maison de Yhwh pour le temps des temps ». Autant de vers splendides et dont le sens est tout à faite juste. Ainsi quand le poète remplace « le bonheur et la grâce m'accompagneront » par « la bonté me poursuit et l'amour toute ma vie » il dit bien qu'il ne peut y avoir de bonheur sans bonté et que l'amour est la manifestation ultime de la grâce, que la grâce de Dieu est la manifestation la plus tangible de son amour à notre égard.
L'une des raisons me semble-t-il de l'échec de ces transcriptions modernes, c'est qu'elles sont faites à la marge. À la marge de nos Églises mais aussi à la marge de nos sociétés. Il est ainsi caractéristique que la traduction des psaumes ne figure pas dans la liste des œuvres de Philippe Jaccottet comme si le fait d'avoir traduit ce monument de la littérature mondiale n'était pas déjà en soi une œuvre monumentale, indépendamment de la foi de Philippe Jaccottet lui-même.
Bien que protestant, Jaccottet n'a jamais revendiqué son appartenance, au contraire il se désignait comme agnostique même si toute son œuvre est profondément marquée par l'esprit du protestantisme et truffée de références bibliques. Sans doute aurait-il pu insuffler un souffle nouveau à nos Églises si celles-ci avaient su faire une place à un esprit aussi inspirant. Dans l’interstice entre l'Église et le monde, le poète a toujours du mal à trouver sa place. D'autres heureusement ont parfois réussi à faire évoluer notre langage en trouvant des mots qui gardent leur force et leur pertinence parce qu'ils sont trempés dans ce qui fait la pérennité de l'âme, comme a réussi à le faire Jean-Louis Decker dont bien des chants sont entrés dans le patrimoine commun de nos cantiques.
C'est sans doute là que réside le secret qui fait du psaume 23 une poésie qui continue à nous parler malgré le décalage évident entre la société pastorale de l'ancien Israël et nos sociétés hyper connectées. C'est que nos âmes, malgré tout, continuent à avoir besoin d'être restaurées. Que dans le tumulte permanent de nos vies, nous avons besoin d'eaux paisibles. Toutes ces images du psaume continuent de correspondre à des aspirations partagées par le plus grand nombre. Le problème est certes que beaucoup ne savent plus ce qu'est une « houlette » et que remplacer ce mot par « bâton » ou par « canne » fait plus penser à une punition qu'à une protection. Il en va de même pour l'huile sur la tête. On ne saisit plus aujourd'hui le geste protecteur que cela pouvait signifier.
J'en ai pris conscience un jour où j'étais au Népal, dans ce voyage extraordinaire dont je vous ai déjà parlé à maintes reprises. Nous étions dans une auberge un matin pour le petit-déjeuner et c'était l'heure de partir à l'école. L'enfant s'est approché de sa mère qui a répandu sur sa tête de l'huile et a frotté méthodiquement ses cheveux. Une manière à la fois de leur donner du brillant et de les protéger des poux et autres insectes.
Quant à la « table dressée en face de mes adversaires », on peut en effet légitimement s'étonner de ces adversaires, que viennent-ils faire là au beau milieu de ce tableau idyllique d'un troupeau prospère et en bonne santé ? Ne pourrait-il s'agir simplement de tout ce qui nous empêche de vivre en cohérence avec notre foi ?
Avez-vous remarqué la césure ? Ou plus exactement la double rupture de rythme ? Dans les trois premiers versets, le psalmiste parle de l'Éternel à la troisième personne : « il ». « L'Éternel est mon berger, il me fait reposer, il me dirige, il restaure ». Autant d'actions dont je suis l'objet de la part d'un autre et dont je parle à d'autres. Et au verset 4 changement de ton « tu es avec moi, ta houlette, ton bâton, tu dresse une table, tu couvres d'huile ». Après avoir parlé de Dieu comme d'un sujet indéfini finalement, c'est le temps de la relation. De toi à moi et de moi à toi, je ne suis plus seulement un sujet sous le regard d'un autre, cet autre s'est approché de moi pour entrer en relation avec moi, au point que je ne dois plus me contenter de parler de Dieu en général « il… » mais de Dieu pour moi, en relation avec moi « tu… ».
Ce passage du général au particulier est en réalité un passage de l'impersonnel au personnel et est le prélude au second changement de ton, celui qui intervient en conclusion. Ce n'est plus une brebis qui parle ni de son berger, « il… », ni à son berger, « tu… », mais un individu qui s'adresse à d'autres individus. Nous sortons de la relation d'une personne avec son Dieu pour entrer dans la relation avec les autres, avec sa communauté et avec la société qui nous entoure avec cette proclamation que fait le psalmiste à ceux qui l'environnent : «quant à moi, je vis de l'amour de mon berger et je trouve mon bonheur à faire sa volonté ».
Ce double mouvement à l'intérieur du psaume est ce qui lui donne sa force et sa pertinence parce qu'il nous qualifie dans notre compréhension de nous-mêmes selon les trois rapports qui nous déterminent : dans notre rapport à Dieu, dans notre rapport à nous-mêmes et dans notre rapport avec la société. Sa structure entre en résonance avec ce qui nous définit en tant qu'humain. Et surtout il a l'intelligence de relier la foi individuelle et collective. En effet, l'image d'une mouton ou d'une brebis est indissociable d'un troupeau. On ne peut imaginer un mouton tout seul pour un seul berger. Pourtant c'est « mon » berger qui « me » fait reposer. À l'écoute, on a l'impression d'être seul au monde, seul objet de l'attention de Dieu à l'exclusion de tout autre. Ce qui correspond, là encore à un de nos besoins essentiels, que d'être considéré dans notre individualité, dans notre valeur unique. Chacun et chacune d'entre nous est unique, extraordinaire parce que ne ressemblant à aucun autre et c'est à ce besoin que répond le psaume, il me parle de moi mais le troupeau, l'assemblée, le collectif est toujours là en toile de fond puisque par définition le berger est toujours berger d'un troupeau.
Deux ruptures de rythmes dans le fil du psaume pour couvrir l'étendue des besoins de l'âme ; une mise en valeur de l'unicité de l'individu sans pour autant supprimer le collectif qui est toujours là de fait. C'est cette richesse structurelle qui a fait le succès de ce psaume mais c'est surtout le fait que cette structure sait disparaître pour laisser couler les vers à travers notre âme comme de l'eau nourrissante car paisible ou de l'herbe nourrissante car verte.
Jésus lui-même ne s'y est pas trompé. S'il reprend le thème et se présente lui-même comme le Bon berger, c'est en référence explicite avec ce psaume qui était lu, chanté et répété au temple lors des grandes liturgies de pèlerinage. « L'Éternel est mon berger » voilà une confession reprise en Israël comme en Église depuis le fond des âges et qui continuera à l'être pour « la durée de nos jours ».
Il n'en reste pas moins et je vous le disais lors du culte de Vendredi saint qu'il n'y a pas de tâche plus essentielle aujourd'hui que de parvenir à faire comprendre le message biblique à des esprits modernes. Cela ne passe pas forcément par dire les choses « autrement » mais par l'explication et éventuellement la transposition. Lors des obsèques de Marguerite Riehl, professeure au Conservatoire de Strasbourg, je me suis essayé à traduire le psaume 23 dans le contexte d'un Chœur. Le Berger devenant le « chef de chœur », la « houlette et le bâton » devenant « la baguette et la main » avec lesquels le chef guide son chœur ou son orchestre. Les « verts pâturages » devenant les « belles compositions ».
De telles transpositions sont cependant possibles à la condition de garder ce qui fait la richesse de la formulation originelle et d'en percevoir toute la correspondance avec les besoins de nos âmes. C'est là que se trouve la force des psaumes : décrire par des mots et des images, la réalité de notre vie : une vie confiante dans la main de Dieu.
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