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Photo du rédacteurThierry Holweck

Former un seul corps

Guebwiller 10 novembre 2024 – culte catéchumènes





Ceux d'entre vous qui ont participé à la célébration œcuménique à Soultz le 20 octobre dernier auront reconnu le texte sur lequel nous avons médité ensemble à cette occasion. Et vous vous dites peut-être que je fais du recyclage et que je vais vous répéter ce que j'ai déjà dit sur ce texte.


C'est en effet un texte central parce qu'il exprime beaucoup de choses de la pensée paulinienne. Au premier chef, cette magnifique formule « il n'y là ni Grec ni Juif, ni circoncis, ni incirconcis ni barbare ni étranger ni esclave ni libre » à quoi on peut rajouter comme Paul le fait lui-même dans sa lettre aux Galates, « ni riche, ni pauvres, ni homme, ni femmes ». C'est l'affirmation d'un principe essentiel au protestantisme et plus largement à la pensée de l'apôtre Paul : l'absolue égalité de dignité entre tous les fidèles. Aucune des caractéristiques sociales, historiques, biologiques, culturelle ou politique ne peut, ni ne doit justifier une inégalité quelconque dans l'Église.


Si donc je reprends ce texte de l'épître aux Colossiens, ce n'est pas pour vous redire tout ce que j'ai déjà dit à Soultz mais parce que c'est aujourd'hui un culte avec les catéchumènes. Et nous demandons aux catéchumènes de participer activement aux cultes, au moins une fois par mois pour au moins deux raisons.


La première, c'est de vous permettre d'y prendre votre place et de vous habituer à ce qu'est un culte, il s'agit d'apprendre ce que c'est qu'un culte et ce texte de Paul parce qu'il contient l'une des meilleures définitions de ce qu'est, ou en tout cas devrait être, un culte digne de ce nom.

La seconde raison qui me fait reprendre ce passage, c'est parce que ces cultes du KT sont l'occasion de revenir avec vous sur les grands principes du protestantisme. Ce qui fait, que dans la grande diversité de ce qu'on pourrait appeler le « marché des religions » aujourd'hui, le protestantisme est particulier, à la condition expresse qu'il garde sa saveur, ses spécificités et ses caractéristiques. Il y a différentes formes de christianisme comme de protestantisme et il peut être difficile de s'y retrouver.


Il y a pourtant des caractéristiques majeures qui signalent une Église qui essaie de vivre conformément à l'Esprit du Christ tel qu'il se révèle dans la Bible et inversement des signes qui révèlent que derrière les mots et les apparences, en réalité on est loin de l'Évangile. L'enjeu aujourd'hui plus que jamais est de décrypter ces signes caractéristiques qui disent ce que l'on est ou ce que l'on n'est pas.


Il est important de distinguer entre ces ingrédients qui distinguent entre une Église véritablement chrétienne et une réunion de gens qui prétendent vivre et agir au nom du Christ. Le texte contient deux axes, ce qu'il nous apprend du culte et plus largement ce qu'il nous apprend sur la définition même de l'Église.


Un lieu pour s'instruire


Le premier axe, celui du culte, est concentré à la fin du passage, dans les versets 16 et 17. Le culte, protestant en tout cas, est centré sur la parole de Dieu. Nous l'avons vu dans l'organisation de notre espace, ce qui est est au cœur de notre temple, ce n'est pas la chaire ni l'orgue ni même les bancs : ce qui concentre l'attention, c'est cette parole symbolisée par cette Bible ouverte. C'est sur elle que la prédication, les chants et les prières doivent être fondées. Si ce n'est pas le cas, alors ce n'est pas une Église protestante. C'est fondamental parce qu'il est fort probable que dans les années qui viennent, le culte et la Bible soient les derniers espaces d'une pensée et d'une parole libre. N'oublions jamais que l'ignorance est la première arme des dictateurs.


C'est ce que nous dit l'apôtre « instruisez-vous et avertissez-vous réciproquement ». « Instruisez-vous ! » voilà le cœur de l'affaire car il ne suffit pas de lire, ni de chanter ni de prier, même avec toute la sincérité possible. Il est si facile de se tromper ou d'être trompé, d'être manipulé ou d'être utilisé si on ne sait pas de quoi on parle. Le culte est le lieu où l'on vient apprendre, non pas ce que pense le pasteur, mais où l'on vient apprendre les uns des autres, de la foi des autres, de leur expérience de vie, de leur lecture de la Bible. C'est pour cela que le culte dépasse largement le temps du culte.


Voilà qui peut paraître étrange mais en réalité, le culte du dimanche n'est jamais que la pointe émergée de la vie spirituelle que nous avons ou pas. C'est bien avant qu'il commence : dans notre lecture de la Bible à la maison mais aussi dans toutes les situations de choix moral ou éthique que nous avons à faire pour être en ligne, ou pas, avec son message. C'est bien après qu'il se continue, et pas seulement à l'apéritif comme aujourd'hui. C'est en emportant avec soi ce qui a été dit, ce qui a été entendu pour en faire son miel, comme une abeille récupère du nectar sur une fleur et ensuite en fait du miel. De même, chacun d'entre nous entend quelque chose, pas forcément de la prédication mais peut-être d'un chant, d'une prière ou d'une parole dite par une autre personne. Et on s'en retourne chez soi dans la vie de tous les jours, conforté, soutenu, encouragé, parfois dérangé parce qu'on a entendu une parole qui nous déplaît.


« Ce que nous avons à faire, c'est semer la semence évangélique, le Christ lui accordera de croître » (1)


Le culte n'est pas le lieu d'un endoctrinement ni d'une manipulation superstitieuse. Il ne s'y passe rien de magique, rien de mystérieux, rien de caché, de surnaturel et pourtant il s'y passe quelque chose de mystérieux, de caché, de surnaturel, de magique : la rencontre de soi avec soi-même, la rencontre de soi avec les autres, et la rencontre de soi avec Dieu. Et cela ne dépend pas de nous mais de l'action de l'Esprit en nous et au sein de notre communauté.


Le culte est ce lieu particulier où nous venons confronter notre lecture de la parole avec celle des autres, la mettre en phase, la corriger ou au contraire la distinguer, la caractériser, autrement dit dans tout les cas la « personnaliser ». Nul ne peut croire, nul ne peut penser, nul ne peut prier à la place d'un autre. Par contre, en affirmant notre foi ensemble, en pensant ensemble, en priant et en chantant ensemble, nous construisons non seulement la communauté mais aussi notre personnalité. Chacun s'enrichit par la présence de l'autre. Et c'est particulièrement important pour vous catéchumènes, plus encore que pour nous car vous aurez à faire à un monde, vous serez plongés dans une société, où la liberté de l'esprit, la liberté de conscience et la liberté de croire seront des enjeux majeurs.


Pour ne pas être manipulés, même au nom du Christ ou de la Bible, il vous faut vous instruire, apprendre pour comprendre et le culte est ce lieu où se manifeste cette réalité. Car le culte n'est jamais que l'image de la vie chrétienne et c'est le deuxième axe de ce texte.


Ce qui caractérise la vie chrétienne et donc l'Église suivant le texte, c'est la rupture avec le mode de pensée du monde pour chercher à être à l'image du Christ, c'est-à-dire à vivre comme lui. Dans les versets 9 à 11, c'est cette nouveauté de vie, celle qui est réalisée par le Christ en nous qui est mise en avant. Et dans les versets 12 à 15, c'est la description de cette nouvelle manière de vivre. Cette manière de vivre selon le Christ est décrite de plusieurs manières : par ces vertus, si étrangères à l'esprit du monde que sont la compassion, la bonté, l'humilité, la douceur, la patience. Des forces, car oui, la bonté est une force, l'humilité est une puissance, la douceur est une qualité plus puissante que la compétition, la confrontation ou l'arrogance.


Mais ces vertus sont fondées sur un principe : la réciprocité de la grâce. Nous vivons, que nous le sachions ou non, à l'image de notre Dieu. Si nous croyons à un Dieu vengeur, puissant, à main forte et à bras étendu, un Dieu qui devrait rendre sa grandeur à l'Amérique pour ne prendre qu'un exemple, nous montrons que nous croyons en un Dieu qui est loin de celui du Christ. Nous vivons toujours conformément à notre image de Dieu et lorsque des chrétiens ont des discours d'exclusion, de haine et de mépris, ils montrent simplement que leur dieu leur ressemble et qu'ils ne sont pas dignes de porter ce nom de chrétiens. Lorsque nous ne sommes pas capables de vivre le pardon entre nous, nous montrons simplement que nous rejetons la grâce de Dieu. Ce qui est au cœur de la pensée chrétienne, c'est cette affirmation centrale et cardinale : « revêtez-vous de l'amour qui est le lien de la perfection ». Le culte est la pointe émergé de l'iceberg. Il est le reflet de notre vie spirituelle qui s'exerce dans toutes les circonstances de la vie quotidienne pour témoigner de l'amour de Dieu pour le monde.


Un amour qui n'est pas abstrait mais très concret au contraire : l'insulte, la malédiction, la condamnation de l'autre, son abaissement à l'état de déchet ou de chose, voilà qui est le contraire de l'amour.


Voilà comment reconnaître un chrétien : ce n'est pas seulement ce qu'il dit ou ce qu'il fait qui compte. Pour nous caractériser, il ne suffit pas de porter une croix huguenote mais d'être à l'écoute de cette parole du Christ telle qu'elle nous est relatée dans l'évangile de Jean à la fin de sa vie : « À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples si vous avez de l'amour les uns pour les autres ». Il ne suffit pas de dire « Jésus est mon seigneur », il ne suffit pas de faire le bien autour de soi. Encore faut-il que cela soit en cohérence avec cette parole du Christ et que cela se manifeste dans notre attitude au quotidien : bonté, humilité, douceur et patience, première étape. La connaissance de soi et la connaissance de l'autre par la réciprocité du pardon, comme nous avons été pardonnés par Dieu, il nous faut pratiquer le pardon, deuxième étape et enfin, troisième et ultime étape de cette volonté d'être à l'image de notre Seigneur : En toutes choses, en paroles ou en actes, rendre grâce à Dieu et nous placer dans sa main plutôt que dans celles de tous les pouvoirs humains ; c'est vouloir être l'image du Christ.


Roland Kauffmann


(1) Érasme, Adages, « La guerre paraît douce à ceux qui n'en ont pas l'expérience », n°3001.

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