Vous savez que la vie d'un pasteur est faite de plaisirs. Voilà une affirmation qui peut paraître surprenante tant on pourrait avoir l'idée qu'un pasteur devrait d'abord et avant tout être au contact de la détresse humaine, des difficultés des uns et des autres, qu'elles soient matérielles, morales, sociales ou spirituelles. C'est vrai ! Malgré tout, les plaisirs de la rencontre et du vivre ensemble, du service et de la réflexion partagée sont plus forts que les difficultés.
Et parmi ces plaisirs, les catéchumènes, sans s'en rendre compte, m'en ont offert un hier matin. Alors que je vous demandais de résumer les grands principes du protestantisme, ce que l'on appelle les « Solis », la réponse a fusé : « Soli deo gloria ». Et vous ne pouvez imaginer le plaisir que vous m'avez fait à ce moment-là car en effet si vous ne deviez retenir qu'une chose de votre catéchisme, que cela soit effectivement cette affirmation qu'à Dieu seul soit la gloire ! Autrement dit que dans tout ce que nous fassions, vivions et pensions, dans toutes nos actions et dans toutes nos intentions, la volonté de servir et de rendre gloire à Dieu soit la priorité. Voilà la base et le point de départ de toute l'éthique chrétienne, de ce que l'on peut appeler l'éthique du Royaume de Dieu.
Si vous ne vous souvenez dans toute votre vie que de cela, ce sera déjà une très belle réussite : être protestant, c'est en toute chose reconnaître que nous ne sommes jamais que des serviteurs ! Et que c'est avant tout l'esprit de Dieu qui agit, un esprit de liberté, de courage et de fidélité, un esprit de service tout entier orienté vers l'autre, vers ses besoins, ses attentes et son bonheur. Soli deo gloria, À Dieu seul la gloire – notre slogan, celui que vous porterez fièrement, nous l'espérons.
Il est vrai cependant que lorsqu'il a été question de retrouver les autres principes, la chose a été plus difficile. Rassurez-vous, pour les adultes aussi, il est toujours nécessaire de se rappeler que le protestantisme n'est pas une affaire de doctrines et d'affirmation de croyances mais une affaire d'attitude et de comportement. Autrement dit, que le protestantisme n'est justement pas dans une succession de réponses mais avant tout dans une succession de questions.
C'est en effet cela qui nous détermine, l'insistance sur les questions plutôt que sur les réponses. Là où d'autres confessions chrétiennes ou d'autres religions ont des réponses qui s'imposent, nous avons des questions. Et l'avantage des questions sur les réponses, c'est que les questions demeurent quand les réponses changent en fonction des époques.
Les grands principes du protestantisme, à savoir les grandes affirmations – La Bible seule, la grâce seule, la foi seule, le Christ seul – nous obligent à toujours nous demander comment aujourd'hui puis-je comprendre la Bible de manière à ce qu'elle inspire ma vie, compte-tenu de tout ce que nous savons ? Aujourd'hui que les représentations du monde sont devenues tellement éloignées de ce qu'elles étaient à l'époque de la rédaction des livres bibliques, comment pouvons-nous encore nous y retrouver ? Nous y reconnaître et accepter que l'Évangile soit le guide de notre vie ? Voilà une question fondamentale.
Et il en va de même pour chacun des six Solis : comment accepter la grâce de Dieu ? Comment vivre de la foi seulement ? Comment être en relation avec le Christ ? Comment rendre gloire à Dieu ? Et enfin dernière question qui renvoit au dernier Soli, celui que l'on a tendance à oublier : comment réformer l'Église ?
C'est en effet le dernier des six grands principes protestants que d'affirmer que nous sommes Ecclesia reformata semper reformanda. Une formulation latine qui signifie que nous sommes « Église réformée toujours à réformer ».
Il ne s'agit pas seulement de notre dénomination. Nous sommes effectivement « Église réformée d'Alsace et de Lorraine », signifiant par là que nous sommes une Église d'inspiration calviniste, nous distinguant ainsi des Églises fidèles à l'esprit de Martin Luther ou des Églises ayant une vision du monde plus radicale ou plus charismatique. En nous appelant « Église réformée » nous nous situons dans un paysage religieux, par rapport à d'autres Églises mais toutes les Églises protestantes, quelle que soit leur dénomination, ont à répondre à la question que nous pose le principe : comment êtes-vous fidèles à l'esprit de l'Évangile qui vous oblige à vous réformer sans cesse ?
Que nous soyons calvinistes, luthériens, méthodistes, évangéliques, charismatiques, pentecôtistes ou quelque autre dénomination protestante, nous sommes tous, toujours, appelés à être Ecclesia reformata semper reformanda. Une Église, pour pouvoir prétendre à l’appellation « protestante » doit toujours réfléchir sur son fonctionnement et toujours se réformer pour rester fidèles à ses principes.
C'est là qu'est le problème ! Certains, parce qu'ils considèrent, très justement, que l'Église doit rester en contact avec la société pensent qu'elle doit s'adapter à la société et puisque la société change en permanence, l'Église doit changer pour coller au plus près de la réalité du monde et de nos contemporains. D'une prémisse qui est juste, l'Église doit être au contact de la société, ils tirent une conclusion qui est fausse, l'Église doit être « autrement ». Il faudrait changer la forme de nos cultes, au point qu'ils ne ressembleraient plus à des cultes sous prétexte que ce serait ringard que de se retrouver tous ensemble autour d'une parole, qui plus est d'une parole qui a une prétention de vouloir diriger, inspirer nos existence. Aujourd'hui l'esprit du monde veut que chacun dise lui-même qui il est et ce qu'il veut être dans une forme d'affirmation de soi qui exige que l'on accepte chacun tel qu'il est et tel qu'il prétend être. « Je suis ceci ou je suis cela, c'est ma vérité et je dénie à quiconque le droit de dire le contraire et j'attends que l'on respecte ce que je suis, ce que je dis et ce que je veux, que l'on m'accepte tel que je suis car je ne changerai pas ».
Une autre caractéristique de notre époque, c'est sa prétention à l'absolu. Sa prétention à tout savoir, à tout vouloir maîtriser, comprendre, dominer, théoriser. À tout vouloir et pouvoir connaître. Si on y regarde de plus près, ces deux prétentions se rejoignent : l'affirmation de soi comme étant un absolu et la volonté de toute puissance sur le monde sont les deux facettes d'une même réalité, la prétention de l'homme à être le centre du monde.
Parce que l'homme est toujours le même
Et cette prétention existe depuis que l'homme est homme ! N'en déplaise à ceux qui voudraient une Église autrement, l'âme humaine est la même aujourd'hui qu'elle était à l'époque du Christ, ou à l'époque des prophètes. Nous avons beau avoir l'internet, nos plus belles machines, maîtriser l’atome et décoder les secrets de la physique ou de la chimie, nous n'en continuons pas moins à nous faire la guerre, à chercher à dominer les plus faibles et à détruire le monde qui nous est donné. Si les apparences ont changé, si les formes d'organisation sociales ont changé, l'être humain est toujours resté le même et l'interpellation de l'Évangile n'a rien perdu de son actualité, de sa pertinence par sa différence.
Et c'est exactement ce que nous disent les trois textes que nous avons entendu ce matin. Le premier qui nous raconte ce moment extraordinaire où Dieu se révèle à Moïse. Moïse est comme nous, il veut voir la gloire de Dieu, avoir le secret de l'univers, savoir tout ce qu'il faut savoir. Et Dieu accepte de se révéler mais seulement par derrière. Au moment de passer devant Moïse, Dieu met la main sur le rocher pour préserver Moïse du savoir universel et absolu. Une Église toujours en train de se réformer est une Église qui sait qu'elle ne n'aura jamais la totalité de la vérité dans sa main, qu'il y aura toujours une part d'incertitude, de doute et que c'est là justement que se trouve la clé qui nous oblige à la liberté de croire, de penser et de dire. Dans une Église toujours en train de se réformer, nul ne peut prétendre posséder Dieu, il y a toujours un espace pour l'autre, pour la foi et la sincérité de l'autre.
Dans le récit de l'Évangile, nous voyons Jésus changer l'eau en vin. Une Église toujours en train de se réformer n'est pas une Église qui se change mais une Église qui change le monde. Elle n'est pas là pour se résigner à ce qu'il n'y ait plus que de l'eau comme l'aurait voulu l'intendant de la noce : il n'y a plus de vin, buvez de l'eau – il n'y a plus d'espérance, résignez-vous, adaptez-vous à la réalité. Non, l'Église n'est pas là pour s'adapter au monde tel qu'il est mais pour le critiquer, le juger et le changer partout où c'est nécessaire pour aller dans le sens de plus de justice, de vérité, de bonté et d'amour du prochain.
Enfin, dans le texte de l’épître aux Hébreux, il est fait appel à un principe fondamental : la sanctification. Une Église toujours en train de se réformer est une Église où chacun est certes reconnu dans sa dignité et sa particularité, dans sa personnalité, mais où chacun est aussi appelé à changer, à se réformer lui-même, son mode de vie et de pensée. Certes Dieu m'aime tel que je suis malgré mes défauts et mes faiblesses mais il veut que je lutte contre eux, que je ne me résigne pas à ce que je suis.
C'est justement en affirmant que nous ne sommes pas justes par nature, que nous sommes foncièrement égoïstes et attirés par les faux-semblants et toutes les formes d'hypocrisies, en fait que nous ne sommes pas bons mais que nous avons besoin d'une parole extérieure à nous-mêmes qui nous relève, nous donne un nouvel horizon, autrement dit nous appelle au changement de notre cœur et à nous laisser inspirer par le Christ, c'est ainsi que nous sommes « Église réformée toujours à réformer ».
En comprenant que la réforme de l'Église n'est pas une mise en conformité avec les idées et les modes du temps présent mais au contraire une interpellation toujours critique du monde tel qu'il est, tel qu'il va avec ses haines, ses prétentions et ses rivalités. Il ne s'agit pas de s'adapter au monde mais, au contraire de le transformer et cette réforme permanente de l'Église ne commence pas dans ses structures, dans ses formes ou ses manières. Il ne suffit pas de changer nos cantiques pour réformer l'Église. Toute réforme de l'Église, toute transformation collective, commence toujours au plus près, c'est-à-dire en soi-même. Si nous voulons changer le monde, qu'il soit meilleur, plus beau, plus juste, plus vrai, il faut que l'Église se réforme, qu'elle retrouve la force et la vigueur, la pertinence de l'Évangile pour aujourd'hui. Mais pour que l'Église se réforme, il faut d'abord que chacun d'entre nous soit dans ce même processus de réforme permanente, autrement dit d'actualisation constante de notre fidélité par la méditation de l'évangile.
Cette sanctification personnelle, propre à chacun, vécue dans la vérité et la sincérité de cette communauté qu'est l'Église où nous sommes tous, quelques soient nos convictions, dans la même posture que l'était Moïse : dans un creux du rocher, avec une compréhension partielle de la vérité.
Voilà une description presque parfaite du protestant : nous savons que nous sommes au contact de l'absolu, proches du divin mais toujours à une infime distance, justement celle qui nous permet de vivre, celle d'une main qui se pose sur nous. Une Église toujours à réformer est une Église qui a conscience qu'elle ne verra jamais Dieu que partiellement et qui s'en réjouit malgré tout.
Roland Kauffmann
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