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Culte Jean-Louis Decker

Photo du rédacteur: Thierry HolweckThierry Holweck

Dernière mise à jour : 4 mars

« Il faut qu'il croisse et que je diminue »

En l'honneur de Jean-Louis Decker, Guebwiller, 2 mars 2025



Le retable d’Issenheim, Matthias Grünewald, 1512-1516, Musée Unterlinden Colmar.


« C'est un beau pays que tu aimes, La Cévenne des Camisards Qui résistèrent et qui sèment Du courage dans nos brouillards »[1]. Au « Dernier tournant de la route C'est toi qui nous attendras Quand nos pas, coûte que coûte, Monteront vers cette croix Tout là-bas vers la croix haute Au carrefour des chemins Au pardon de toute faute Quand tu nous tendras tes mains »[2] ; C'est à ce moment-là que « Nous tisserons les brins Du manteau de la justice et de l'amour pour notre monde, Partageant le repas, le courage et le combat Des pauvres, des « laissés pour compte » »[3] Car ce sera le jour où « [Matthieu] se lève à la voix De celui qui lui a dit : « Suis-moi »[4].

 

Dans ces quelques strophes glanées au fil des chansons de Jean-Louis Decker, c'est une espérance sans bornes et sans limites qui se dégage. Une foi, certes « ancienne que Dieu renouvelle Depuis Abraham »[5] mais qui devient si vivante dans les mots et les gestes du troubadour que fut Jean-Louis. Une espérance sans bornes parce qu'elle ne concerne pas que ceux qui la méritent ou pensent la mériter mais au contraire s'étend au-delà des rivages des appartenances. Une espérance sans limites parce qu'elle ne s'arrête pas au seuil du possible mais au contraire chante l'amour fou de ceux qui n'ont plus d'autre horizon que d'attendre Dieu.

 

Il fallait avoir une telle espérance pour, au début des années 60, se lancer à corps perdu dans une double mission : être à la fois pasteur de paroisse avec son lot de joies et de peines au service d'une communauté, et évangéliste par le chant et la musique, prêt à aller sur les routes, à la rencontre d'autres communautés, d'autres horizons et d'autres joies comme d'autres peines. Et pourtant Jean-Louis osera affronter tous ceux qui lui diront qu'il y a bien mieux à faire plutôt que « Dès le matin, combattre l'injustice Et jusqu'au soir résister aux vautours. Faire du bien à ceux qui nous haïssent, À l'ennemi donner preuve d'amour. »[1]

 

S'il est un mot que l'on retrouve souvent dans les chansons de Jean-Louis, outre les mots d'amour et d'espérance, de joie et de lutte, c'est le mot « courage ». Il faudrait compter mais je ne l'ai pas fait parce que cet mot est en filigrane partout, tout le temps. Courage de l'homme, Jean-Louis, décidé à porter l'Évangile au monde, en toutes circonstances et en tous lieux ; courage du pasteur dont certains moquaient la naïveté ; courage du chanteur parfois dans des conditions difficiles, seul ou presque ou alors devant des foules. Mais le courage aussi dans le mot « en-courager » car c'est l'une des forces et certainement l'une des intentions de Jean-Louis Decker que de vouloir encourager ses auditeurs à vivre dans la lumière de cet Évangile, en tenant la main de ceux qui souffrent, en osant affronter les puissants de l'heure et en se confiant simplement en Celui qui appelle à le suivre.

 

Jeune étudiant en théologie, Jean-Louis Decker avait rencontré Schweitzer, en octobre 1959, quelques semaines avant que ce dernier ne retourne définitivement à Lambaréné en décembre de la même année. Et dans l'entretien privé qu'ils eurent, Jean-Louis confiait à Schweitzer qu'il voulait faire une thèse de philosophie consacrée aux rapports avec autrui, c'est-à-dire à l'amour pour les autres. Et Albert Schweitzer de lui déclarer que l'amour ne devait pas être réservé aux humains mais à toutes les formes de vie et qu'il devait être question de la responsabilité de l'homme en « cherchant à l'emmener vers les sommets »[2] Jean-Louis n'a pas fait la grande thèse de philosophie morale qu'il annonçait à Schweitzer mais il a fait mieux : il a chanté les humbles, qu'ils soient humains ou non comme ce « Petit âne, Dieu te fait confiance, Portant ton fardeau ». Il a chanté les mots de l'homme de Nazareth, chanté les doutes du jeune homme riche[1], chanté les souffrances de Rosa Parks[2] comme celles de l'apôtre Paul[3].

 

C'est avec « Les mains de Madeleine »[4] et surtout avec Madeleine elle-même que Jean-Louis Decker inlassablement parcourra les routes. S'appuyant sur la solidarité et la fraternité de nombreux amis, la famille vivra la vérité de la providence de la manière la plus concrète qui soit, par  l'expérience d'une vie où tout est donné, où tout est le fruit de la grâce, une grâce qui ne va pas sans opiniâtreté et sans effort mais où tout est dépassé par la reconnaissance même de la grâce qui soutient et oblige.

 

Un des paradoxes que rencontre tout artiste, notamment les auteurs-compositeurs interprètes, c'est d'être par la force des choses sur le devant de la scène. Qu'on le veuille ou non, un chanteur n'est pas que musique et texte, il est un corps, il est une voix, il est une image, il incarne les mots et les combats qu'il porte. Il lui faut donc paraître et courir toujours le risque qu'on ne voit plus que lui et qu'on oublie celui dont il est question dans les chansons. Qu'on oublie de qui elles parlent pour ne plus voir que celui qui les porte comme on porte une lumière, un flambeau.

 

Vous vous souvenez de ce doigt de Jean-Baptiste dans le Retable d'Issenheim ?! Doigt démesurément long qui désigne celui qui est sur la croix, celui que Jean le Baptiste a annoncé. Le peintre, Mathias Grünewald a cette chance de disparaître entièrement derrière son œuvre, on ne voit plus qu'elle. Alors que les chansons ont une voix, un rythme et un visage.


Tout sa vie, Jean-Louis sur la scène, que ce soit dans de petites salles obscures ou sur les grandes scènes des rassemblements protestants aura eu pour seule attente, celle de disparaître derrière ses mots. De même que les disciples de Jean le baptiste viennent l'interroger sur ce Jésus qui commence à baptiser à son tour, Jean a ces mots magnifiques, si à rebours de tout ce que l'on aurait pu attendre d'un prophète tel que lui : « il faut qu'il croisse et que je diminue ».

 

On connaît le destin tragique du Baptiste mais il aura assumé son rôle et rempli sa mission que d'ouvrir les cœurs et les consciences pour entendre et accueillir celui qui devait venir. Jean-Louis, de même aura assumé son rôle et utilisé ses talents pour servir et répondre à l'appel de celui qui un jour lui a dit, comme il l'a dit à nous et à tant d'autres, « toi suis-moi ». Il fallait que Jean-Louis s'efface pour laisser l'Esprit prendre son envol et c'est dans sa faiblesse et ses difficultés que ce sont forgées les plus belles chansons, les plus belles chansons qui nous redonnent aujourd’hui encore force et courage pour reprendre le flambeau.

 

Merci à vous, Irène, Georges et Nampoina, de garder cette mission et de redonner corps avec vos voix à ces chansons alors que le souvenir de la personne de Jean-Louis s'efface en-dehors de nous qui avons eu la chance de le connaître. N'importe, c'est la joie, c'est la foi qui nous portent et qui nous emportent pour redire avec Jean-Louis « Et tout ce temps qui reste à vivre, Tu l'as donné : Tu nous rends libres, vraiment libres de t'aimer »[1].

 

Libres d'aimer nos proches et nos lointains, libres d'aimer les vivants, libres d'aimer la vie en aimant l'Éternel notre Dieu qui nous réunit et libres de chanter sur un air connu : « Aux armes, compagnons, Aux armes, forgerons, Marchons, marchons : Nous sèmerons L'amour dans nos sillons »[2].


Roland Kauffmann


[1]    Les Aygladines, st.5

[2]    Vraiment libres, st.4

[3]    Nous forgerons des socs, st.3

[4]    Venez à ma suite st.3

[5]    Il est une foi, st.1

[6]    Jusqu'au bout, st.4

[7]    Lettre de Jean-Louis Decker à ses parents du 4 novembre 1959. Courtoisie Madeleine Decker et Jean-Paul Sorg pour la mise en situation.

[8]    Un chef vient voir le maître

[9]    Rosa Parks

[10]    Dis-moi Paul

[11]    Titre de son premier 33 tours en 1972.

[12]    Vraiment libres, fin.

[13]    La Strasbourgeoise, refrain st.3, sur l'air de la Marseillaise.


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