Guebwiller 4 septembre 2022 – baptême de Khaleesi Rothfuss
Roland Kauffmann
Au moment de notre rencontre pour préparer le baptême de Khaleesi, vous me disiez, Ludivine, que parmi tous les textes de la Bible, il en est un qui vous inspire et auquel vous pensez régulièrement. Il était donc tout naturel que nous choisissions ensemble ce texte à l'occasion de cet événement unique qu'est le baptême de Khaleesi.
Unique il l'est à plusieurs titres. En effet, c'est une fois pour toutes que l'on est baptisé. Ça n'arrive qu'une fois dans sa vie ! Il y a tant de choses qui sont régulières et reviennent, les saisons qui apportent tout, les joies, les peines, les difficultés et même la rentrée des classes. Il y a aussi ce qui est banal et quotidien, tous ces petits gestes que nous faisons pour nous préparer à rencontrer les autres et que Khaleesi du haut de ses presque trois ans sait déjà faire toute seule, presque comme une grande. À côté de ces choses régulières ou qui arrivent plusieurs fois dans une vie, il y a des choses exceptionnelles qui n'arrivent qu'une fois. Elles sont rares ces choses. Avez-vous déjà pensé à cette évidence ? Avez-vous une idée de ce qui, à part le baptême, ne nous arrive qu'une seule fois dans la vie ?
Pas grand chose en vérité, à part ces deux évènements ô combien essentiels que sont la naissance et la mort. Et oui, on ne naît qu'une seule fois dans sa vie… et on ne meurt aussi qu'une seule fois… Et c'est pour cela, entre autres raisons théologiques, que le baptême parce qu'il arrive une seule fois dans l'existence a été comparé à la fois à la mort et à la naissance.
Symboliquement, le baptême est une mort et en même temps une nouvelle naissance. Tous les gestes que nous avons fait, l'eau sur le front, la bénédiction, la présentation à l'assemblée et les paroles que nous avons dit ont pour fonction de signifier cette séparation rituelle entre la vie d'avant et la vie d'après le baptême. De même que l'enfant qui naît, au premier jour de sa vie, a besoin d'être rassuré, protégé, porté, lavé, soutenu, a un besoin vital de se savoir aimé par ceux qui lui ont donné la vie, car l'enfant n'a rien demandé, il n'a pas demandé à naître mais il a été appelé par le désir qu'en ont eu ses parents. L'enfant qui naît arrive dans un monde qui est déjà là et il a besoin de savoir qu'il est attendu, qu'il est aimé et que certaines personnes, ses parents, vont s'occuper de lui et lui donner tout ce dont il a besoin pour devenir un individu livre et responsable de ses actes.
Ainsi le baptisé, au jour de sa nouvelle naissance, apprend qu'il n'est pas seul dans le monde ni dans l'univers. De même que Khaleesi n'a pas demandé à naître, elle n'a pas non plus demandé à être baptisée. C'est ainsi que nous disons que nous ne choisissons pas d'aimer Dieu mais que nous sommes aimés de Dieu en premier. Autrement dit, que ce qui se joue dans le baptême, ce n'est pas notre engagement, notre volonté, qui compte. Bien sûr qu'elle doit exister, il faut bien que l'enfant veuille naître mais ce n'est pas cela qui est en jeu. Ce qui est en jeu, c'est d'entendre et d'apprendre que l'on est aimé de Dieu, avant même d'en avoir conscience et d'avoir fait la moindre chose pour être digne de cet amour.
Un amour inconditionnel
C'est l'amour inconditionnel de Dieu pour Khaleesi, indépendamment de ce qu'elle fera de sa vie et de sa liberté que nous avons affirmé ce matin.
C'est ici qu'intervient le texte que Delinda nous a lu tout à l'heure. Si l'amour des parents pour l'enfant qui naît se résumait au formulaire administratif de l'hôpital, nous dirions que ce n'est pas un vrai amour. Si Guillaume et Ludivine, vous ne cherchiez pas à donner à Khaleesi le meilleur de ce qui est en votre pouvoir, on ne pourrait pas dire que vous l'aimeriez. Il y a le sentiment et il y a les actes. On parle souvent des devoirs des enfants envers leurs parents mais il y a d'abord les devoirs des parents envers leurs enfants : le devoir de protection, le devoir d'éducation, le devoir de soins, d'alimentation, ce sont toutes ces choses qui sont de notre responsabilité en tant que parents parce que nous aimons nos enfants. Et quand ceux-ci sont devenus des adultes, nous continuons évidemment à nous en préoccuper. Aucun d'entre-nous qui sommes parents ne se désintéresse de ses enfants, au contraire il peut arriver que plus ils soient grands, adultes et autonomes, plus les raisons d'inquiétudes peuvent être grandes.
Et bien c'est pareil avec Dieu. Il se présente à nous comme l'annonce le texte : comme un rocher sur lequel nous pouvons construire notre vie. Pourquoi cette image du rocher et du sable ? Tout simplement parce qu'elle est facile à comprendre. Même un enfant de trois ans comme Khaleesi comprend que si on pose un objet sur un tas de sable, cet objet va s'enfoncer alors que si on le pose sur un caillou, il va rester dessus et qu'on arrivera à l'enfoncer dans la pierre. Oui mais l'enfant comprend aussi qu'il suffit d'un petit coup pour que l'objet tombe de la pierre. Chacun d'entre-nous peut comprendre que s'il l'on veut vraiment bâtir une maison sur le roc plutôt que sur le sable, ce qui paraît bien raisonnable, il ne suffit pas de construire la maison et de la poser sur le roc.
Si vous regardez les châteaux, si nombreux dans notre région et notre vallée, vous verrez qu'ils sont pour la plupart construits justement sur des éperons rocheux et vous aurez remarqué aussi qu'ils s'adaptent tous à la forme du rocher sur lequel ils sont construits. Ils profitent des failles, des trous, des plate-formes, pour se fixer sur le rocher. Et ils ont des fondations qui le plus souvent sont profondes dans la roche. Et ça, ce n'est pas facile. Si l'image de la maison de la maison sur le rocher est facile à comprendre, il est tout aussi facile de comprendre que pour que la maison tienne il faut faire l'effort de construire des fondations.
Il en va de même pour l'amour de Dieu ! Il est là, solide, affirmé, inébranlable, mais pour que nous puissions tenir dessus, il nous faut nous y accrocher. C'est-à-dire qu'il nous faut vouloir nous y tenir, il faut nous y arrimer, nous y enraciner, aussi profondément que possible. Et c'est là toute l'affaire d'une vie, de cette vie qui commence au jour de notre baptême.
Très peu de temps avant notre rencontre, j'étais confronté à une situation difficile avec une autre famille. Un père me parlait de ses deux enfants, deux garçons qui étaient la prunelle de ses yeux. L'un était perdu dans les tourments de la maladie et de la dépression quand l'autre menait sa barque avec détermination et courage. Ce dernier, le fils qui allait bien disait à son père « J'ai bâti ma vie sur le roc » faisant directement référence à ce texte que vous alliez évoquer le même jour. Et je me suis alors rendu compte d'un danger, d'un risque et c'est vous, Ludivine, sans le savoir qui m'avez fait m'en rendre mieux compte.
Car vous disiez, et c'est tout à fait juste, que ce texte vous soutenait. Que vous saviez que dans les moments difficiles, il y a un roc sur lequel on peut s'accrocher. On n'y arrive pas tout le temps mais on sait toujours qu'il est là et qu'il sera toujours là. C'est quasiment ce que vous m'avez dit ce jour-là. Et j'y ai trouvé une grande intelligence de ce qu'est l'évangile. À savoir un soutien, une inspiration alors que la parole du frère pouvait passer pour un jugement : « Moi je réussis parce que j'ai construit ma vie sur le roc quand mon frère sombre parce qu'il l'a construit sur du sable ».
Reconnaissons que c'est une lecture qu'il nous arrive d'avoir de ce texte. Tant pis pour ceux qui ont fait le mauvais choix, de construire sur du sable quand le vent viendra, quand la pluie tombera, tant pis pour eux, ils verront bien et de nous retrancher sur notre bonne conscience, nous qui avons fait le bon choix de construire sur le roc.
Mais est-ce cela les paroles du Christ ? Est-ce cela « entendre de lui (ses) paroles et les mettre en pratique » ? Qu'avons-nous fait avec Khaleesi lors de son baptême ? Nous lui avons dit, vous ses parents et nous la communauté : « Jésus-Christ est le roc sur lequel tu peux bâtir ta vie et nous allons t'y aider parce qu'on n'y arrive pas tout seul ». Avez-vous déjà essayé de creuser un trou dans la pierre ? On a besoin d'aide ! Et c'est cette aide que nous nous sommes engagés à apporter à Khaleesi et que nous devons nous engager à apporter à toutes celles et ceux qui, parce que c'est plus facile se contentent de bâtir sur du sable. C'est notre aide que nous nous engageons à apporter à tous ceux qui n'arrivent pas à s'arrimer, à s'accrocher au rocher.
Si nous voulons être dignes du nom de chrétien, que nous portons depuis notre baptême, il nous faut veiller les uns sur les autres. C'est-à-dire rechercher le bien, ce qui est bon et ce qui est juste non pour nous-mêmes et notre intérêt mais pour les autres et dans leur intérêt. Si notre maison est bâtie sur le roc, cela doit être pour apporter un abri à ceux qui sont sous la pluie et dans le vent et non pas pour leur fermer notre porte.
Le texte de Matthieu peut pour cela nous servir de boussole ou de balance pour savoir ce qu'il convient de faire dans toutes les circonstances de la vie. De quoi avons-nous besoin ? Nous tous, chrétiens ou non, convaincus ou non, et dont nous parle ce texte ? Il nous parle de ce qui nous est nécessaire, c'est-à-dire de stabilité et de confiance. C'est cela que représente le rocher. Nous ne pouvons vivre dans la crainte permanente que les choses s'enfoncent et disparaissent sous nos yeux. Nous ne pouvons vivre en nous demandant à chaque instant si nous pourrons compter les uns sur les autres demain. Un enfant ne peut être dans l'inquiétude permanente, il a besoin de confiance et de stabilité. Il en est de même pour chacun d'entre nous.
Nous avons besoin de pouvoir nous faire confiance les uns aux autres. Pour cela, il nous faut revenir sans relâche à ce qui constitue l'être même de notre paroisse. Nous ne sommes pas une association de boulistes ni un syndicat d'initiatives. Nous prétendons être Église du Christ, Église protestante réformée de Guebwiller. Nous avons donc le devoir, si nous voulons être dignes de notre nom, de nous enraciner dans la Parole de Dieu en recherchant en toutes choses la vérité, la justice et l'amour pour notre prochain.
Nous ne pouvons pas faire autrement. De la même manière que Khaleesi n'a pas demandé à naître ni à être baptisée et qu'elle est maintenant dans un monde où elle aura besoin de l'amour de Dieu, de s'accrocher au rocher ; ainsi nous qui avons été appelés comme elle à mettre en pratique les paroles du Christ et qui, contrairement à elle qui est à l'aube de sa vie avons décidé de confirmer par nos paroles et nos actes que nous avons entendu et pris conscience de l'amour de Dieu, nous sommes engagés et requis à être pour nos frères et sœurs, pour nous-mêmes et tous ceux qui demandent l'abri, qui ont besoin de pouvoir se raccrocher à quelque chose de stable et de ferme, une maison bâtie sur le roc.
« Heureux l'homme qui (…) médite jour et nuit la parole de l'Éternel » nous disait le psaume que nous avons entendu au début de ce culte, « Heureux celui, qui entendant les paroles du Christ, les met en pratique, il sera semblable à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc » nous dit l'évangile.
C'est notre responsabilité d'obéissance à la Parole de Dieu, celle de chacun et chacune d'entre nous, celle de notre communauté en tant que paroisse et merci à Khaleesi de nous l'avoir rappelé aujourd'hui dans ce jour unique de son baptême.
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