Célébration œcuménique, église Saint-Maurice, Soultz dans le cadre de la Journée de l'orgue Silbermann, 20 octobre 2024
« Instruisez-vous réciproquement ; que la Parole du Christ habite en vous avec toute sa richesse, chantez à Dieu de tout votre cœur ». À entendre les mots de l'apôtre Paul, on croirait presque qu'il est parmi nous ce matin et que plutôt que nous faire la leçon, il constate : « vous vous instruisez réciproquement, la Parole du Christ habite en vous avec toute sa richesse et vous chantez de tout votre cœur avec des psaumes, des hymnes et des mélodies. »
Église du Christ, quand tu es rassemblée en prière, quand tu lis, quand tu étudies la Bible, quand tu chantes, tu es le corps du Christ et il grandit en toi. Lorsque tu es rassemblée par delà les frontières de nos diverses confessions, lorsque tu viens des quatre coins de l'Alsace et du pays des orgues Silbermann, quand tu viens de Marmoutier, de Strasbourg, que ce soit de la cathédrale ou de Saint-Pierre le Jeune, de Balbronn ou de Saint-Quirin, du Mont Saint-Odile, de Mulhouse Saint-Jean ou d'ici, de Saint-Maurice de Soultz, que tu sois catholique ou protestant, ou même que ta foi soit toute entière dans les claviers et les harmonies, tu manifestes sa grâce et la beauté du monde qu'il nous donne et ce faisant tu lui rends grâce à ton tour, exactement comme l'apôtre nous le recommandait.
Imaginez un seul instant si Paul avait connu les orgues. À n'en pas douter il se serait extasié sur leur profondeur, la variété de leur registration, la légèreté de leur toucher et la force de leur tonalité. Le texte d'aujourd'hui est l'un des seuls du Nouveau testament qui nous atteste que dès l'origine, les Églises chantaient, ces fameux cantiques spirituels dont il nous parle. Nul doute que si Paul avait connu les orgues, il en aurait fait une métaphore de la foi, de la vie chrétienne et de l'Église. Car qu'est-ce donc qu'un orgue, qu'il soit de Silbermann ou d'une autre facture ? Sinon, plus qu'un instrument de musique, un véritable univers ? Il est là imposant, dans toute la puissance de son buffet mais il peut aussi être bien plus humble, ordonnancement bien agencé de tuyaux, de soufflets, de mécaniques ou de souffleries, parfois des kilomètres de fils électriques, petits et grands tuyaux, de bois, de métal mais que serait tout cela sans le génie de son créateur ?
Vous le savez mieux que personne, si tous les orgues se ressemblent, aucun n'est identique à un autre parce qu'il a été pensé chaque fois de manière unique, en tenant compte de l'expérience acquise, du lieu où il devait jouer, du répertoire. Ce qui aux yeux du néophyte paraît être parfois si indifférent, ces questions d'esthétiques propre à chaque instrument qui font les délices des débats entres organistes, est pourtant fondamental. De même qu'on ne se baigne jamais dans le même fleuve, parce qu'il est toujours différent et que nous changeons aussi à mesure que nous nous baignons, un facteur d'orgue ne fait jamais le même orgue. Chaque création a son identité propre, son génie particulier. Que serait un orgue sans l'intention de son créateur ? Une coquille vide sans aucun doute !
Mais que serait un orgue sans celui ou celle qui lui donne vie chaque jour ? Il aurait beau être le plus bel instrument de la terre, il sera toujours ce qu'en feront les doigts, le travail et la sueur de l'organiste. Sueur oui car nous qui en sommes les auditeurs, n’imaginons pas les innombrables efforts, les heures et les jours de travail pour parvenir à donner le meilleur de ces instruments, qu'ils soient légendaires ou ordinaires : un orgue n'est jamais qu'une coquille vide sans le génie et le labeur de son organiste. Nous, simples mélomanes ou fidèles de nos Églises, qui sommes au bénéfice de ce labeur, dimanche après dimanche, célébrations après célébrations, obsèques ou mariages, nous ne remercierons jamais assez celles et ceux qui font vivre nos orgues. Soyez-en toutes et tous, vous qui êtes organistes, remerciés.
Vous aurez compris la métaphore que l'apôtre aurait pu tirer s'il avait connu les orgues. Il aurait pu dire que l'orgue représente la création, le monde qui nous est donné, le facteur d'orgues serait alors la métaphore du créateur et l'organiste, celle de chacun et chacune d'entre nous à qui un merveilleux instrument est confié et dont il nous appartient de tirer le meilleur possible, par l'effort et la persévérance, par le travail et l'intelligence. Il aurait pu ainsi dire à chaque chrétien qu'il doit être comme un organiste, capable de renoncer à tant d'autres choses pour se consacrer entièrement à son art.
Il aurait aussi pu dire que la vie chrétienne est comme un orgue. Il lui faut un entretien constant pour durer, elle est, comme l'orgue, soumise aux aléas du temps, du climat social, politique, économique. Il aurait pu dire qu'il faut parfois de grandes quantités d'eau répandues sur le sol pour compenser les effets de la sécheresse, autrement dit de grandes bénédictions pour compenser les grandes difficultés. Parfois un relevage de la vie chrétienne est nécessaire, parfois une profonde rénovation, quitte à ce qu'elle devienne une transformation, voire une reconstruction, à la condition bien sûr que cela ne devienne pas une destruction de la vie chrétienne comme cela peut parfois l'être pour l'instrument.
Quelle mine pour le prédicateur qu'était Paul auraient été les orgues s'il les avait connus. Il avait en tout cas déjà parfaitement compris, et sa lettre aux Colossiens l'atteste, que la musique, le chant et d'une manière générale, la beauté des voix et des instruments étaient essentiels pour la vie d'une communauté croyante. Parce que la Parole, celle de l'étude biblique, des sermons, des partages, s'adresse à la raison, à l'intelligence, à l'esprit, il faut une voix qui s'adresse au cœur, aux sentiments et aux émotions. Et parce que nous sommes une unité, que nous ne pouvons négliger une part de notre être sans abîmer l'autre, nous ne pouvons seulement être dans l'esprit, il nous faut aussi être dans la chair, au sens le plus noble du terme. Pour le dire encore autrement, il nous faut être pleinement vivant pour être pleinement spirituels. Encore faut-il évidemment que ces choses aillent ensemble, que la voie vers l'émotion, la musique et les chants, accompagnent, soutiennent, confortent et encouragent la voie vers l'esprit et l'intelligence. Qu'il y ait une cohérence entre ce qui se joue ou se chante et ce qui se dit, s'explique et est prié. Autrement dit, on ne loue pas le Seigneur de la même manière selon le type d'instruments qui est utilisé. L'esthétique sonore de nos cultes est fondamental parce qu'on ne prie de la même manière selon que l'on utilise des instruments électroniques ou un orgue.
Tout simplement parce que la richesse de l'orgue est incommensurable. Il est capable d'exprimer une large palette des sentiments humains, des plus exaltés et joyeux aux plus sombres et aux plus tourmentés. Il suffit de voir, ou plutôt d'entendre, la diversité des registres. Pour une même pièce, pour une même œuvre écrite, en fonction du choix fait par l'organiste d'utiliser telle palette plutôt que telle autre, les trompettes plutôt que les flûtes, donnera une tonalité différente. Et de la même manière, notre vie chrétienne aura une toute autre tonalité selon les registres que nous choisissons
Si l'organiste dispose de hautbois, de flûtes, de trompettes, de violons et bien d'autre registres, le chrétien que nous sommes dispose également d'une riche palette de registres : ceux de l'ardente compassion, de la bonté, de la douceur ou de l'humilité ou encore de la patience. Selon le mode que nous choisissons, notre musique de vie en sera radicalement différente. Si nous faisons le choix de vivre notre foi chrétienne selon le registre de l'humilité ou de l'affirmation arrogante ; selon le registre de la bonté plutôt que de l'intransigeance ; selon le registre de la douceur plutôt que de la contrainte ; selon le registre de la patience plutôt que de la désespérance. Vous aurez compris que les vertus dont parle ici Paul ne sont pas une liste exhaustive mais une palette aussi riche que celle d'un orgue Silbermann dont il nous appartient à chacun, comme de bons organistes de notre propre vie, de chercher à tirer ce qui est le meilleur pour la plus grande grâce de Dieu.
Là aussi vous aurez remarqué que je ne dis pas la « plus grande gloire » de Dieu, tout simplement parce que nous avons tendance à confondre « gloire » et « grandeur » , force et puissance plutôt qu'humilité, douceur et bonté. Lorsque l'apôtre nous dit que tout, sermons, vie chrétienne, prière, chants et musiques, tout, absolument tout, « en paroles ou en actes » doit être « fait au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâce par lui à Dieu le père », il signifie que de la même manière que l'organiste veut à la fois respecter le compositeur, l’œuvre telle qu'elle écrite mais aussi la plus grande joie de son auditeur, il nous faut vivre en cohérence avec notre foi.
Imagineriez-vous un instant un organiste qui voudrait massacrer une pièce juste pour son plaisir ? Évidemment non c'est inimaginable et ça n'existe évidemment pas. Alors pourquoi y-t-il tant de chrétiens qui massacrent la partition qui leur est donnée et font un mauvais usage de l'instrument, leur vie, leur existence ?
Peut-être parce qu'ils ont oublié le goût de l'effort, de l'apprentissage et de la beauté du jeu, qu'ils ont oublié qu'il y a un public qui est là pour l'entendre... et ce public, ce n'est autre que le monde, la société, celle qui est là dehors, qui nous attend en tant que chrétiens pour plus de fraternité, plus de justice, plus de liberté, plus de joie et il nous appartient à chacun de jouer notre partition dans ce monde avec autant de cœur et d'ardeur que nos organistes mettent dans nos célébrations.
Peut-être, pour terminer, aurez-vous été surpris par une affirmation de l'apôtre. N'est-ce pas contradictoire de parler de cette harmonie des orgues, de cette richesse dans la diversité de leur registration ou de l'interprétation et d'entendre cette parole indifférenciée par excellence : « Il n'y a plus ni Grecs ni Juifs, ni circoncis ni incirconcis, ni barbare ni étranger, ni libre ni esclave » et Paul d'ajouter ailleurs « ni homme ni femmes, ni riche ni pauvre » comme s'il effaçait toutes nos différences, un peu comme s'il fermait tous les registres de l'orgue pour le transformer, que les pianistes me pardonnent, en un simple piano, voire même en un piano électronique...
Pourtant nous savons bien qu'il y a toujours des Grecs et des Juifs, des hommes et des femmes, des riches et des pauvres, des libres et des esclaves, Paul aurait-il imaginé une utopie irréalisable ? Là aussi l'orgue nous explique la métaphore. Pour l'organiste, il y a une « montre » un « hautbois », une « gambe » ou un « plein jeu » mais pour l'auditeur, ces choses ne disparaissent pas mais il découvre une réalité nouvelle. Ce n'est plus le « prestant » qui importe, ni le « nazard ». Il n'y a plus de « doublettes » ni de « cymbales » ni de « fournitures » mais une harmonie renouvelée qui ne se limite à aucune de ses composantes mais s'enrichit de leurs apports respectifs.
« Revêtez-vous donc de la nature nouvelle qui est à l'image de Jésus-Christ ». De même que chaque registre, que chaque tuyau contribue à l’œuvre commune, donne tout ce qu'il peut pour la beauté de l’œuvre, ainsi chacun et chacune d'entre nous enrichit l’œuvre commune qu'est l'Église, au moment adéquat, selon ses capacités. Il n'y a plus ici d'hommes ou de femmes, de riches ou de pauvres, de libres ou d'esclaves, de catholiques ni de protestants ni d'organiste de Marmoutier, de Strasbourg, de Balbronn ou de Saint-Quirin, du Mont Saint-Odile, de Mulhouse Saint-Jean ou d'ici, de Saint-Maurice de Soultz. Ce que nous sommes et ce que nous restons est une richesse que nous apportons les uns et les autres, dans nos différences et nos variétés à l’œuvre commune.
Ainsi, à l'instar de la cromorne ou de la tierce, que nous soyons du positif ou du pédalier, du grand orgue ou de l'écho, nous rendrons grâce à Dieu en toutes choses, que ce soit en paroles ou en actes, et c'est ainsi qu'à l'exemple de l'orgue et de sa voix, nos actes et nos paroles seront autant de gestes d'éternité inscrits dans nos rues et nos villages.
Roland Kauffmann
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