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Celui en qui je crois

  • Photo du rédacteur: Thierry Holweck
    Thierry Holweck
  • il y a 4 jours
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 14 minutes

Guebwiller, Pâques, 20 avril 2025



Peter Paul Rubens et Jean Brueghel le Jeune. Noli me tangere, 1626. Bremen Kunsthalle


Revoilà donc Marie de Magdala, dite Marie-Madeleine. Vous vous en  souvenez, pour ceux qui étaient là lors du culte de Vendredi saint, je vous disais que nous allions la retrouver. Elle était là, c'était l'une des trois femmes au pied de la croix, l'une des trois Marie. En effet, elles ont toutes les trois le même nom au point que l'on pourrait les confondre. C'est pourquoi selon l'usage de l'époque, on ajoute le nom du mari, des enfants ou du village d'origine de la personne. C'est une coutume qui n'a rien de dérangeant, nous continuons à le faire aujourd'hui pour distinguer deux personnes qui portent le même prénom (cf. Christiane...)

 

Il y avait donc au pied de la croix, selon Jean, qui a la particularité d'être le seul des disciples, le seul des évangélistes à revendiquer sa présence au moment crucial, trois femmes avec lui. Marie, la mère de Jésus, Marie la femme de Cléophas et donc Marie venue du village de Magdala. Encore une fois, l'évangile de Jean se distingue des autres évangiles par l'importance qu'il donne à Marie-Madeleine.

 

D'abord, elle est seule. Alors que dans les autres évangiles, elles sont plusieurs à se rendre au tombeau pour embaumer le corps. Ensuite, il ne se passe rien, pas de tremblement de terre et d'ange pour rouler la pierre comme dans l'évangile de Matthieu pas de jeune homme assis dans le tombeau comme chez Marc, ni d'anges leur apparaissant comme chez Luc mais une somptueuse simplicité : quand elle arrive, seule, la pierre est roulée, le tombeau est vide et elle fait ce que nous aurions tous fait à sa place, elle court chercher du monde. Pierre et Jean se précipitent, courent et ne peuvent que constater que ce que Jésus leur avait annoncé, c'est réalisé. Il n'est plus là, le tombeau est vide et n'y restent que quelques bandelettes roulées. Jean nous raconte que c'est à ce moment là qu'il vit et qu'il crut.


Une confession extraordinaire qu'il nous livre là. Lui qui a été le confident de Jésus, qui l'a suivi depuis la première heure, depuis ce jour où Jésus l'avait appelé avec son frère, lui qui trempait son pain dans la même écuelle, lui qui était le préféré de Jésus nous confesse, que jusque-là il n'avait encore rien compris. Il avait cru comme les autres que quand Jésus parlait de résurrection, il devait parler de la résurrection au dernier jour, celle qui concerne tous les humains devant passer devant le tribunal de Dieu à la fin du monde.

 

Il leur avait pourtant bien dit qu'il devait vaincre la mort pour libérer les hommes de l'oppression qu'elle fait peser sur eux mais leur intelligence comprenait autrement. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui un « biais cognitif ». C'est quand on est tellement habitué à une chose que notre compréhension se fait sans réfléchir. C'est une forme de conditionnement et pour les disciples, nourris depuis leur tendre enfance de l'annonce de la fin du monde et de la résurrection de tous les hommes à la fin des temps, les propos de Jésus trouvaient leur signification dans ce grand récit apocalyptique. Ils imaginaient bien qu'il allait mourir et que bien plus tard, dans très très longtemps il ressusciterait d'entre les morts, comme nous tous.

 

Une foi qui n'a pas besoin de voir

 

Jean n'a pas besoin de voir Jésus ressuscité. Ou plutôt, « il vit et il crut », il voit l'absence, il voit le tombeau vide et toutes les paroles de Jésus prennent alors sens pour lui, il comprend qu'il s'était trompé et il prend la mesure des choses qui se produisent. Il nous le dit simplement, c'est à ce moment-là qu'il comprend que le jugement de Dieu vient d'avoir lieu et que le salut est définitivement entré dans le monde. Il nous raconte en une phrase courte finalement sa conversion. Celle qui vient au terme d'un long cheminement avec Jésus. Jusqu'à présent, il l'a suivi, lui a obéi et pensait croire en lui. Mais c'est dans le tombeau vide qu'il comprend réellement ce qu'est la foi.

 

Nous aussi, parfois nous avons du mal à croire. Nous avons bien lu et bien entendu depuis bien longtemps ce qu'il fallait croire. Pourtant, ce n'est que dans le secret de nos propres tombeaux vides que nous comprenons réellement les choses. Ce que peut signifier la mort et la résurrection pour chacun et chacune d'entre-nous ne devient réalité que dans le secret de notre conscience, de notre âme et de notre intelligence. Aucun discours, aucune démonstration, aucun prêche et aucun sermon ne pourra jamais remplacer ce dialogue intérieur où nous sommes comme Jean, où enfin nous voyons et nous croyons.

 

Et Jean ne nous dit rien de l'autre disciple qui était avec lui. Non que cela ne le concernerait pas, qu'il serait indifférent à ce que peut ressentir Pierre. Simplement, il ne peut dire ce qu'il en est de lui ; il se refuse à sonder les cœurs. Ce qui arrive à Pierre, comment il comprend ou non ce qui se passe à ce moment précis, ne peut être exprimé par un témoin extérieur. Il laisse Pierre à sa décision et ils retournent tous les deux à la ville. On peut alors imaginer la discussion qu'ils devaient avoir ou plutôt le silence qui devait les accompagner, chacun étant sans doute sidéré par l'événement.

 

Au point qu'ils ne la voient pas et ne s'intéressent pas à elle. Marie-Madeleine est revenue, seule et elle est effondrée Elle n'entre pas. Elle pleure, toute à sa détresse. Et il y a dans ces pleurs quelque chose de bouleversant. Qui peuvent nous ramener à ce moment où Jésus lui aussi pleura, c'était aussi devant un tombeau, celui de son ami Lazare. On pleure souvent dans les évangiles comme dans la Bible en général. La mort et la misère, la famine et la maladie sont des raisons suffisantes de pleurer mais les pleurs de Marie-Madeleine sont particulièrement poignants. Il faut l'imaginer dans toute sa détresse.

 

Pourtant elle aussi avait entendu les propos de Jésus sur sa mort et sa résurrection. Il les avait pourtant prévenus qu'il devait mourir mais qu'au troisième jour, il ressusciterait ! De plus, elle a bien du entendre Jean et Pierre dire que le tombeau était vide, elle aurait du se réjouir que la chose annoncée se soit réalisée. Et pourtant, non, elle pleure et toute la détresse du monde est là, la détresse de tous les écrasés, de tous les opprimés. Dans les pleurs d'une seule femme se trouvent les pleurs de toutes les femmes du monde victimes de la violence, de la guerre, de la misère ou de la maladie. Elle pleure en notre nom à tous, sur le monde qui pourrait être si merveilleux si seulement l'Évangile était compris pour ce qu'il est, un message de libération et de respect, de préservation de tout ce qui existe et de volonté d'être le prochain.

 

Elle pleure sur son propre chagrin et elle n'est pas plus étonnée que cela lorsqu'en pleurant elle regarde dans le tombeau et qu'elle voit à son tour deux anges. S'engage alors un dialogue des plus étranges où elle discute avec eux où elle révèle à son tour les secrets de son cœur. Comme Jean nous avait dit que jusque-là il n'avait rien compris, elle aussi le dit à sa manière « je pleure parce qu'on a enlevé mon Seigneur, celui à qui j'obéissais, et que je ne sais pas où on l'a mis ».

 

Elle ne savait pas ce que c'était que croire

 

Et c'est en disant cela aux anges qu'elle se retourne et le voit enfin, lui. Elle ne le reconnaît pourtant pas, elle le voit mais sans le voir, elle y croit mais sans y croire, elle l'a aimé mais sans le comprendre, elle l'a suivi sans savoir où elle allait. Et le voilà devant elle. Pourtant cela ne suffit pas ! Chose extraordinaire que cette rencontre impossible. Nous qui imaginons parfois Jésus comme auréolé de lumière et de gloire ne pouvons comprendre comment il se fait qu'elle ne le reconnaisse pas. Si nous avions été à sa place, évidemment que nous l'aurions reconnu.

 

Certainement pas et c'est peut là que se trouve le message, l'un des messages de cette rencontre improbable. C'est que le Christ vient nous rejoindre là où nous ne l'attendons pas et que nous ne le reconnaissons pas forcément au premier abord. Alors même que nous l'attendons, l'espérons et sommes sûrs de le reconnaître, nous sommes en réalité comme Marie, aveugles et sourds et nous nous demandons où est le Christ aujourd'hui dans nos vies, dans nos sociétés, dans notre monde. Nous ne savons pas où on l'a mis.


Il suffit pourtant d'un mot, un simple mot prononcé pour qu'enfin elle le reconnaisse et qu'elle puisse lui répondre, non plus en l’appelant « Seigneur », c'est à dire celui « à qui j'obéis » mais « rabbouni » c'est-à-dire « celui en qui je crois ». C'est le récit de la conversion de Marie-Madeleine comme de la conversion de Jean. L'un et l'autre ont quitté le chemin de l'obéissance simple, celle qui était la leur depuis que Jésus les avait appelé dans le cas de Jean et guérie dans le cas de Marie-Madeleine.

 

Leur chemin jusque là avait été celui de la reconnaissance pour le bien que Jésus leur avait procuré, de l'espérance de voir s'établir le royaume de Dieu et d'y avoir peut-être de bonnes places. Au sein de la communauté des disciples, Jean et Marie-Madeleine avaient une place privilégiée, ils étaient l'un et l'autre, les confidents du maître, ceux à qui il disait ce qu'il pensait des uns et des autres. Ils faisaient partie de la garde rapprochée.

 

Et dans ce récit de la résurrection, ils comprennent que leur rôle a maintenant radicalement changé. Ils ne sont plus les disciples obéissants qu'ils étaient jusqu'à présent. Ils n'attendent plus de récompense au dernier jour ni de confidences mais ils comprennent l'un et l'autre qu'ils sont devenus à leur tour les témoins de la Parole de Dieu telle que Jésus leur a donné à comprendre et qu'il leur appartient maintenant d'agir à sa place.

 

C'est le sens de cette parole énigmatique de Jésus à Marie-Madeleine. Il ne lui dit pas qu'il est ressuscité comme il l'avait annoncé. Il ne la console pas ni ne lui donne de consignes précises. Il lui dit simplement d'aller prévenir les autres qu'il monte vers le Père « vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » En prononçant ces mots que Marie va répéter à Jean pour qu'il nous les répète à son tour, Jésus ressuscité nous donne à notre tour notre place et notre mission.

 

Dieu au centre de notre vie

 

Nous qui lui sommes fidèles, qui croyons en lui, ou en tout cas nous revendiquons de son Évangile, c'est à notre tour d'agir et d’œuvrer à son royaume. En annonçant à Marie qu'il monte vers le Père, il nous délègue son action. Il fait de nous ses témoins et ses disciples. C'est ce qui est repris dans la Confession de foi de l'Église universelle : « il siège à la droite de Dieu le père ». De cette conviction, nos pères dans la foi helvétique ont eu une lecture radicale et littérale, contrairement aux protestants allemands, ils ont considéré que cela signifiait la primauté de l'action des chrétiens dans le monde.

 

Puisqu'il est à la droite de Dieu, Jésus n'est plus là, il n'est pas dans le monde, il n'est plus présent dans la matière du monde, il n'est pas présent physiquement dans le pain ni dans le vin de nos cènes. Il n'est plus dans aucune forme de matérialité, il n'est plus présent dans le monde que dans le cœur et l'esprit de ceux qui se réclament de lui.

 

Il n'a d'autre présence que celle que nous lui donnons parce qu'il est spirituellement présent au plus profond de notre être. Dans cette étrange condition où le Dieu qui est au-delà des cieux, plus vaste que l'univers, plus grand que toute création, est pourtant présent en esprit au point le plus intime de notre être, là où nous sommes en communion avec l'éternité.

 

C'est par ces mots de Jésus à Marie-Madeleine que s'ouvre une nouvelle ère, celle où « Dieu est au centre de notre vie tout en étant au-delà »[1] de tout ce qui existe, au cœur du monde tout en étant au-delà de notre monde, au centre de notre vie tout en étant au-delà de notre propre vie, présent dans notre présent tout en étant au-delà du temps et au centre de notre existence tout en étant au-delà de l'espace et qu'ainsi il donne sens à notre vie et à notre monde.


Roland Kauffmann


[1]    Dietrich Bonhoeffer, Lettre du 30 avril 1944, Résistance et soumission, Labor et Fides, 2024, p.191 [1963, p. 123]

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