Actes 2.41-47, Guebwiller 23/07/23, Frédéric Hautval
Frères et sœurs en Christ,
Le texte d’aujourd’hui nous présente la communauté chrétienne naissante, à Jérusalem, telle que nous la décrit Luc. Cette communauté vient tout juste de vivre le don de l’Esprit Saint lors de la Pentecôte, les disciples témoignent dans la langue de chacun, alors dans la foule, trois mille accueillent la parole et sont baptisés. Cette communauté naissante ne reste pas dans un étonnement passager ou dans l’illusion d’un moment, mais elle vit avec assiduité, avec persévérance quatre pratiques fondamentales qui définissent la mission de l’Église.
Première persévérance :
Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres.
Les apôtres sont les témoins privilégiés de la vie et des enseignements de Jésus, de ses souffrances, de sa mort et de sa résurrection. Mais la prédication chrétienne n’est pas qu’une proclamation de paroles : cette prédication s’adresse à la personne tout entière. Lorsque Jésus envoie les apôtres en mission, il les envoie « proclamer le règne de Dieu et guérir les malades » (Luc 9.2). L’épisode qui suit notre péricope concerne justement la guérison d’un infirme de naissance. C’est pourquoi « La crainte s'emparait de chacun, et beaucoup de prodiges et de signes se produisaient par l'entremise des apôtres. » L’évocation de la crainte, qui est un signe de la présence de Dieu, signifie que ceux qui reçoivent l’enseignement des apôtres ne sont pas dans une piété confortable mais, au contraire, font preuve d’une réelle attention à la présence de Dieu dans le monde et dans l’Église.
Deuxième persévérance :
Ils étaient assidus au partage du pain.
Le partage du pain évoque le repas du Seigneur. Lorsque nous avons tendance à négliger les sacrements, il faut se rappeler qu’ils font l’objet d’une persévérance.
Le texte nous indique les deux sacrements célébrés par l’Église naissante : le baptême - Ceux qui accueillirent sa parole reçurent le baptême – et la sainte cène - d'un commun accord, ils rompaient le pain dans les maisons.
Le texte nous dit aussi qu’ils louaient Dieu et c’est ce que nous faisons lors d’un culte, nous sommes ici pour diverses raisons, mais avant tout pour louer Dieu et le déroulé liturgique de cette célébration nous prépare et nous conduit dans cette louange.
Troisième persévérance :
Ils étaient assidus aux prières.
Le baptême, au nom de Jésus Christ, amène le croyant dans la communauté : « En ce jour-là, environ trois mille personnes furent ajoutées. »
C’est cette communauté qui, « Chaque jour, (ils) étaient assidus au temple ». La vie cultuelle de la communauté chrétienne de Jérusalem naissante se partage entre les prières au temple signe de la fidélité au judaïsme et le partage du pain dans les maisons signe de la reconnaissance de Jésus le Christ. Cette vie de la communauté se fait dans la joie et la simplicité : « et ils prenaient leur nourriture avec allégresse et simplicité de cœur ». C’est cette joie et cette simplicité qui fait que les membres de cette communauté « avaient la faveur de tout le peuple. Et le Seigneur ajoutait chaque jour à la communauté ceux qu'il sauvait. »
Quatrième persévérance :
Ils étaient assidus à la communion fraternelle.
Le texte insiste sur la dimension communautaire de la première Église. La vie chrétienne n’est pas qu’une question de foi, c’est aussi une communauté de partage : « Tous les croyants étaient ensemble et avaient tout en commun. Ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous, selon les besoins de chacun. »
Vous avez reconnu ces quatre piliers que nous avons évoqués ici il y a trois semaines:
Martyria, le témoignage par la prédication de l’Évangile de Jésus-Christ ;
Leiturgia, la liturgie par la célébration des sacrements ;
Koinonia, la communauté qui, ensemble, vit et partage ;
Diaconia, le service aux autres, ceux qui sont dans le besoin, membres de l’Église ou non.
L’Église se constitue par « l’assemblée des croyants, au cours de laquelle l’Évangile est prêché fidèlement et les sacrements sont administrés conformément à l’Évangile » c’est ainsi que le dit la Confession d’Augsbourg (art. 7).
C’est donc formidable : en respectant ces quatre piliers, nous avons une Église unifiée, qu’elle soit locale ou universelle, visible ou invisible …
Oui, mais l’Église est composée d’humanité.
Souvenez-vous, il y a cinquante ans, les croyants de la tradition luthérienne et réformés ne pouvaient ni partager la Cène ni vivre dans une communion ecclésiale (faire un échange de pasteurs par exemple).
En effet, les articles de nos confessions de foi initiales sont assortis d’anathèmes contre les autres assemblées de croyants. Prenons par exemple l’article 1 de la Confession d’Augsbourg :
Article 1. - De Dieu
Nos églises enseignent en parfaite unanimité la doctrine proclamée par le Concile de Nicée : à savoir qu'il y a un seul Être divin, qui est appelé et qui est réellement Dieu. Pourtant, il y a en lui trois Personnes, également puissantes et éternelles : Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit ; tous les trois un seul Être divin, éternel, indivisible, infini, tout-puissant, infiniment sage et bon, créateur et conservateur de toutes choses visibles et invisibles. Par le terme de Personne, nous ne désignons pas une partie ni une qualité inhérente à un être, mais ce qui subsiste par lui-même. C'est ainsi que les Pères de l'Église ont entendu ce terme.
Et la deuxième partie de l’article :
Nous rejetons donc toutes les hérésies contraires à cet article : nous condamnons les Manichéens qui ont statué deux dieux, un bon et un mauvais, les Valentiniens, les Ariens, les Eunomiens, les Mahométans et autres. Nous condamnons aussi les Samosaténiens, anciens et modernes, qui n'admettent qu'une seule Personne, et qui, en usant de sophismes impies et subtils, prétendent que le Verbe et le Saint-Esprit ne sont pas des personnes distinctes, mais que le « Verbe » signifie une parole ou une voix, et que le « Saint-Esprit » ne serait autre chose qu'un mouvement produit dans les créatures.
Et ainsi au fil des articles sont rejetés les anabaptistes et les autres.
C’est la Concorde de Leuenberg signée le 16 mars 1973, qui met fin à cette histoire conflictuelle entre luthériens et réformés.
Mais qu’est ce que la communion ecclésiale ?
La communion ecclésiale au sens de la présente Concorde signifie que des Églises de traditions confessionnelles différentes, se fondant sur l’accord auquel elles sont parvenues dans la compréhension de l’Evangile, se déclarent mutuellement en communion quant à la prédication et à l’administration des sacrements et s’efforcent de parvenir à la plus grande unité possible dans le témoignage et le service dans le monde. (Concorde de Leuenberg, art.29)
Depuis leurs origines les Églises ont été amenées à actualiser de façon nouvelle le témoignage biblique. « Aujourd’hui - ainsi disent les signataires de la Concorde de Leuenberg – les condamnations qui ont été prononcées lors de l’époque de la Réforme ne concernent plus l’enseignement actuel du partenaire ».
Pour la Sainte Cène par exemple, il n’est plus important de discuter si le pain « est » ou « signifie » le corps du Christ mais ce qui compte c’est d’affirmer ensemble en tant qu’Églises : « la présence du Seigneur ressuscité parmi nous » (art. 16).
Par contre si une Eucharistie peut être déclarée valablement célébrée si et seulement si elle est célébrée par des ministres ordonnés par des évêques selon le principe de la transmission de l’Esprit par la succession historique, position de l’Église catholique romaine, ce qui n’est pas la position des Églises de la réforme, alors il ne peut y avoir de communion ecclésiale. Parce qu’il n’y a pas accord sur l’administration conforme à l’Évangile des sacrements.
La concorde n’est pas une confession de foi mais un cadre qui permet la mis en place une plateforme d’échange et de discussion entre les différents signataires de manière à proposer des textes et des propositions théologiques communs susceptibles d’être utilisés dans toutes les Églises.
N'oublions pas cependant que la communion ecclésiale ne doit pas signifier uniformité, mais que les « traditions confessionnelles différentes (art. 29) ont toutes leur place. »
Cette disposition de la concorde devrait être présente dans l’esprit de nos représentants aux instances dirigeantes de notre union d’Églises.
Ainsi, il est long le chemin pour bâtir l’Église universelle que nous confessons chaque dimanche.
Pour y parvenir, comme le montre la Concorde de Leuenberg, l’Église doit continuellement se réformer.
« Ecclesia semper reformanda »
Cet adage attribué à Jean Calvin trouve sa source un siècle plus tard aux Pays-Bas, notamment dans les écrits du pasteur Jodocus van Lodenstein (1620-1677). Pour cet auteur, l’Église réformée doit continuellement se réexaminer afin de maintenir la pureté de sa pratique : ce mouvement réformateur correspond à un moment où l’on a besoin de renouveler la vie ecclésiale sur le plan de la foi de la communauté et de la manière de vivre quotidiennement cette foi. L’expression concerne donc plus la vie des personnes croyantes que l’institution en tant que telle.
Le principe Ecclesia semper reformanda n’autorise pas une instabilité institutionnelle érigée en système de gouvernance, car on ne construit rien de solide si l’on s’arrache à ses racines.
Cette disposition devrait être présente dans l’esprit de nos représentants aux instances dirigeantes de notre union d’Églises.
À la Réforme, l’Église a été réformée par la Parole de Dieu : C’est donc en évoluant toujours à nouveau vers ce qui la porte que l’Église traduira la vitalité de l’Evangile.
Les quatre piliers que nous avons évoqués constituent la mission de l’Église.
Le service ou le culte, leitourgia, et le témoignage public ou la prédication, martouria, pouvant aller jusqu’au sacrifice de sa vie, sont les moyens de recevoir la grâce de Dieu qui nous est offerte. Le service et l’entraide, diaconia, est intimement lié au témoignage mais aussi à la communion des croyants, koinonia.
Les lectures de ce matin nous ont présenté trois communautés de croyants : L’assemblée des enfants d’Israël, une foule qui suit Jésus et la première communauté chrétienne.
Les uns ont été délivrés de l’esclavage, les autres attendent des guérisons, les troisièmes veulent fuir cette génération perverse en vivant autrement.
La première communauté a un dialogue avec Dieu le Père, la seconde avec Jésus et la troisième avec l’Esprit Saint.
Ce sont des humains, ils maugréent contre Moïse et Aaron un mois et demi après la sortie d’Egypte parce qu’ils ont faim (ils avaient commencé à maugréer dès le troisième jour parce qu’ils avaient soif), la foule qui suit Jésus doit aussi être rassasiée, mais c’est Jésus qui pose le problème aux disciples (comment allez-vous faire ?). Les membres de la communauté chrétienne naissante mettent en pratique les enseignements de partage.
Voyez-vous, la manne et les cailles, dons de Dieu, viennent rassasier le peuple mais au-delà de phénomènes naturels (la manne, suintement de sève d’un arbuste résineux), le vrai miracle c’est que la communauté apprend à s’adapter à son nouveau mode de vie en acceptant les règles concernant la juste consommation de cette nourriture.
Les cinq pains et les deux poissons du jeune garçon nourrissent la foule grâce à la bénédiction de Jésus, le miracle c’est que cette bénédiction permet aux gens présents d’être attentifs à leur prochain et de partager ce qu’ils avaient vraisemblablement emporté avec eux en prévision de cette rencontre dans la montagne.
L’assiduité des premiers chrétiens leur vaut les faveurs de tout le peuple, certes l’Église vit en communion avec le peuple au sein duquel elle vit mais le miracle c’est que la croissance de l’Église ne repose pas sur la qualité des croyants mais sur la grâce de Dieu : c’est lui qui ajoute des croyants à l’Église.
Ce n’est pas l’Église que les chrétiens attendent, pas même l’Église une, mais le Royaume de Dieu. L’Église constitue donc une réalité provisoire.
Mais tant que le Royaume de Dieu ne sera pas advenu, l’Église a sa raison d’être et sa mission propre. Et elle ne témoignera véritablement du Royaume à venir qu’en manifestant, à sa mesure et par sa manière de vivre, la crédibilité de l’espérance du Royaume.
Si l’Église n’a pas vocation à faire advenir le Royaume, elle a vocation à maintenir possible, en l’incarnant pour ainsi dire, l’espérance du Royaume.
Alors qu’en est-il de notre vocation à incarner l’espérance du Royaume en tant que communauté paroissiale ?
Sommes-nous persévérants dans l’enseignement des apôtres ?
Sommes-nous persévérants dans la célébration du repas du Seigneur ?
Sommes-nous persévérants dans le partage avec le prochain ?
Sommes-nous persévérants dans la prière ?
Comment vivons-nous la mission de l’Église ici et maintenant ?
Comment vivons-nous aujourd’hui la communion ecclésiale de manière concrète dans la paroisse de Guebwiller ? Que faisons-nous concrètement pour faire vivre cette Église qui doit être en questionnement permanent ?
Comment devons-nous nous adapter à notre environnement bouleversé par les enjeux écologiques, les tensions sociétales, la guerre en Europe ?
Sommes-nous suffisamment attentifs à notre prochain d’aujourd’hui ici même ?
Sommes-nous prêts à accepter la grâce offerte par le Seigneur et ainsi accueillir dans notre paroisse ceux que le Seigneur sauve ?
Les réponses, frères et sœurs en Christ, nous les avons. À nous d’agir, avec l’aide de l’Esprit Saint, guidé par Jésus le Christ.
Avec notre part d’humanité, faisons en sorte que l’Église, une et universelle, nous fasse entrevoir le Royaume de Dieu.
Amen
Frédéric Hautval, prédicateur laïc
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