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Photo du rédacteurThierry Holweck

Car là dans la vérité et la sincérité est le Seigneur

« … mais c’est en lui que vous avez été instruits pour vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement... » (1)

Guebwiller, 3 novembre 2024


A partir du sermon d'Albert Schweitzer du dimanche matin, 23 juillet 1905, en l’église Saint-Nicolas de Strasbourg, traduction inédite, Jean-Paul Sorg.



Photographie topchrétien


Nous revoilà de retour dans notre temple de Guebwiller après ce mois d'octobre particulièrement riche en nouvelles expériences. Permettez-moi de les évoquer rapidement. Le 6 octobre, nous étions à Soultz pour notre fête des récoltes, occasion de dire à Dieu notre reconnaissance pour ce qu'il nous donne à accomplir en ce monde ; le 13, nous étions certes ici mais nous avons vécu ce très beau moment, particulièrement émouvant pour moi de mon « envoi en mission », autrement dit mon installation en tant que pasteur titulaire dans votre paroisse, après justement deux années de « mission ». Le 20 octobre, nous étions tous à l'église Saint-Maurice de Soultz pour un événement unique, cette cérémonie, première borne d'une nouvelle histoire partagée avec la communauté catholique de Soultz, laquelle viendra enrichir notre histoire avec la communauté de paroisse saint André Bauer ici à Guebwiller. Enfin dimanche dernier le 27 octobre, nous étions à Mulhouse pour le culte de la Réformation.


Si j'évoque avec vous ces quatre moments, ces quatre cultes, c'est parce que chacun à leur manière sont révélateurs de ce que nous dit l'apôtre Paul dans ce texte de sa lettre aux Éphésiens. Ils sont l'un et l'autre, ces cultes d'octobre, des manifestations d'un changement, le surgissement d'une nouvelle perspective, des ouvertures vers un avenir nouveau ; nouveau parce que nous voyons les choses différemment.


Si j'évoque avec vous ces quatre moments, ces quatre cultes, c'est parce que chacun à leur manière sont révélateurs de ce que nous dit l'apôtre Paul dans ce texte de sa lettre aux Éphésiens. Ils sont l'un et l'autre, ces cultes d'octobre, des manifestations d'un changement, le surgissement d'une nouvelle perspective, des ouvertures vers un avenir nouveau ; nouveau parce que nous voyons les choses différemment.


Dimanche dernier en effet, c'était l'installation du Conseil consistorial et l'impulsion d'une nouvelle orientation donnée à cette institution qui représente l'ensemble de nos paroisses au niveau départemental. Et le président de notre Église, le pasteur Pierre Magne de la Croix l'a souligné en rappelant les diverses nouvelles naissances vécues par Nicodème et relatées dans l'évangile de Jean. C'était la première manifestation en Église de ce nouveau Conseil consistorial qui prend la mesure de sa tâche et fait déjà souffler un esprit nouveau basé sur un projet élaboré en commun.


Après la cérémonie œcuménique de Soultz, nous pouvons espérer de nouveaux projets, une présence plus visible de notre paroisse dans la vie de la cité, une nouvelle manière de rayonner au-delà de notre petit temple. Avec mon installation, nous changeons également de perspective parce qu'il n'y a plus cette dimension temporaire qui existait précédemment et nous pouvons désormais travailler réellement sur le long terme, à l'horizon de 2030, presque un septennat... Enfin, le culte des récoltes avait inauguré cette séquence de la plus belle manière qui soit, à savoir par la reconnaissance.


De petits événements qui sont significatifs cependant d'une volonté de renouveau et dont nous pouvons vraiment nous réjouir et si je vous les signale, c'est en miroir avec le sermon d'Albert Schweitzer que nous avons étudié lors de notre rencontre de Bible en mains, sermon prononcé par Schweitzer le 23 juillet 1905 en l'église Saint-Nicolas à Strasbourg sur la base de ce verset de l’épître de Paul aux Éphésiens : « renouvelez-vous » ! Telle est l'exhortation que lance Schweitzer à ses paroissiens. Il utilise l'image de son église, Saint-Nicolas qui cet été-là va être restaurée. Et il s'en sert comme d'une image de la vie chrétienne. Il commence par remarquer que personne ne s'était aperçu que l'église avait besoin d'une rénovation, l'usure du temps s'était faite lentement et surtout chacun s'était habitué à la situation, au lent délabrement de l'édifice, aux petites choses qui ne marchent plus et chacun s'était fait une raison en se disant par devers soi que « rien ne va plus » mais sans pour autant réagir pour corriger la situation.


Et Schweitzer de faire le parallèle avec notre vie chrétienne en général où de petits renoncements en petits renoncements, de petites compromissions en petites lâchetés, de petites hésitations en petites rancunes, de petits oublis en petites lassitudes, chacun et chacune d'entre nous finit par être emporté, sans même s'en rendre compte, dans le flot des préoccupations de la vie quotidienne et à en oublier la beauté de sa mission de chrétien dans le monde.


Les images qu'utilise Schweitzer ont, à raison, surpris plusieurs participants de Bible en mains. Parce qu'il n'hésite pas à dramatiser la situation et à parler rien de moins que de « catastrophe » en décrivant la réalité de notre vie chrétienne telle qu'elle suit son cours. En effet, de même que l'usure du temps menace l'édifice d'effondrement au sens propre, ainsi l'aveuglement spirituel menace notre vie d'effondrement au sens spirituel. Les mots de Schweitzer sont durs, ils sont forts parce qu'ils sont lucides. Il décrit le monde comme un fleuve qui emporte tout sur son passage pour peu que l'on y prête pas attention.


De la vie ancienne à la vie nouvelle


Pour cela, il s'appuie sur Paul et la différence que fait celui-ci entre la vie ancienne et la vie nouvelle. La « vie ancienne » c'est celle où nous ne connaissions pas le Christ, la « vie nouvelle » c'est celle qui vient après l’événement intime et personnel de la compréhension de l’œuvre du Christ en nous. Il y a pour Paul, et pour Schweitzer, clairement un « avant » et un « après » le Christ et il n'est plus possible de vivre en chrétien comme on vivait en païen. Tout simplement, nous dit Paul, parce que l'intelligence des païens est dans les ténèbres : ils ne peuvent rien comprendre parce qu'ils ont « la pensée obscurcie et sont étrangers à la vie de Dieu » (4, 18). Il y a une grande radicalité dans la pensée paulinienne et dans la pensée schweitzerienne que nous avons parfois tendance à oublier.


Paul introduit une différence fondamentale : entre d'une part, ceux qui sont à l'école de la pensée obscurcie, des maîtres à penser de la philosophie grecque d'une part et ceux qui « ont appris à connaître le Christ » (4, 20) d'autre part. Les uns cherchent les honneurs, la sagesse, la puissance, la richesse, les plaisirs et la satisfaction de leurs désirs tandis que les autres, les chrétiens, apprennent le dépouillement à la suite du Christ et de Paul, le renoncement à tout ce qui avait de la valeur dans la vie ancienne, ce que l'on appelait en ce temps le « cursus honorum » qui donnait une place à chacun dans la société gréco-romaine des premiers siècles.


Dans la radicalité de la prédication d'Albert Schweitzer en cette année 1905, il faut entendre son propre cheminement intérieur. Il vient d'avoir trente ans, le 14 janvier de cette année et il s'était promis de consacrer les trente premières années de sa vie à l'étude des choses de l'esprit, étude de la Bible, de la théologie et de la musique pour ensuite à l'âge de trente ans se consacrer aux choses nécessaires pour l'humanité, pour s'engager au service concret des hommes et des femmes de son temps. L'échéance est arrivée, il ne sait pas encore très bien ce qu'il veut ou doit faire. Il est en pleine hésitation parce qu'il vient d'envoyer sa lettre de candidature pour partir en mission et la réponse se fait attendre.


Ses propres hésitations se retrouvent dans sa prédication. Il vit dans sa chair le renoncement. Renoncement à sa carrière universitaire qui s'annonce brillante, renoncement à la recherche sur la vie de Jésus, renoncement aux concerts lucratifs et à la notoriété qui les accompagne, renoncement aussi au mariage avec celle qu'il appelle « mon meilleur camarade », Hélène Bresslau qu'il ne peut imaginer entraîner avec lui dans les champs de mission. Albert Schweitzer vit en cette année 1905 ce dépouillement dont parle Paul aux Éphésiens. Et il partage avec ses paroissiens ses propres tourments intérieurs avec son illumination, celle qui est toute entière contenue dans cette phrase « c’est en lui que vous avez été instruits pour vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement (2) » (4,23).


Aller contre soi-même


Ce qui est ici en jeu, dans la prédication de Schweitzer comme dans sa vie personnelle et qui est au cœur de la pensée de Paul, c'est le discernement. Ce qui est nouveau, ce sur quoi insiste Paul, c'est que par la méditation et la prière, par l'ouverture du cœur à la lumière de l'Esprit, par la lecture et la rumination du texte biblique, par l'échange au sein de la communauté, il devient possible de discerner quelle est la volonté de Dieu, pour moi, pour toi, pour nous, pour la société.


Ce renouvellement qui s'effectue par une transformation spirituelle de notre jugement, c'est cette révélation progressive qui se fait jour dans notre cœur et dans notre vie, au fur et à mesure où nous nous laissons transformer par l'Esprit. Aussi longtemps que nous nous refusons à cela, les choses restent dans l'état, à savoir une lente exaspération et une lente évaporation de tout ce qui fait la joie et l'espérance de la foi. On ne voit alors plus que les raisons de désespérer comme cette réponse qui n'arrive pas pour Schweitzer. À l'inverse et c'est le cœur de son sermon, dès que l'on consent à se dépouiller de soi-même, comme il est à ce moment là de sa vie en train de le faire, l'Esprit vient donner une nouvelle compréhension des choses qui permet de rechercher la justice et de discerner la vérité de la vie en Christ, une vie qui devient faite de compassion, de bienveillance, de service et de témoignage, une vie qui devient comme l'espère Schweitzer au service de la Vie.


Schweitzer termine son sermon avec une idée géniale tant elle est lumineuse et limpide. Il a bien conscience évidemment que nous avons du mal à faire la différence entre « l'ancienne nature » et la « nouvelle nature ». Nous ne savons pas bien, nous qui sommes tellement habitués à lire notre Bible, qui vivons depuis des décennies dans l'Église et dans la foi, à telle enseigne que nous pensons n'avoir plus rien à apprendre parce que nous sommes chrétiens depuis si longtemps. De la même manière que Schweitzer décrit l'usure lente et monotone qui se termine en catastrophe, il décrit la lente et patiente manifestation de la volonté de chacun qui décide « de régler l'homme extérieur sur la vérité de l'homme intérieur » qui se résout, non plus en catastrophe mais en « un sentiment que personne ne peut décrire, (…) le sentiment d'un renouvellement de votre être ».


Ce sentiment passe par l'effort de se « surmonter » soi-même, d'aller contre ses pentes naturelles, de lutter contre ses aspirations au bonheur et à la satisfaction égoïste de ses besoins pour à l'inverse apprendre à se consacrer véritablement aux autres et à vivre en conformité avec la volonté de Dieu pour nous. Cette idée de se « surmonter » est absolument fondamentale dans la pensée schweitzerienne parce qu'elle exprime avec force l'idée paulienne de « se laisser transformer par l'Esprit ». La foi chrétienne n'est jamais l'acceptation de ce qui est, l'acceptation de soi ou plutôt la résignation à soi. Elle est toujours la transformation de soi en vue de l'accomplissement de la volonté de Dieu. Chacun des événements que je signalais tout à l'heure ont été à leur manière le fruit d'un tel effort pour surmonter une situation compliquée précédemment. Chacun de ses événements aurait pu ne jamais avoir lieu si les uns ou les autres n'avaient pas cherché à surmonter des différends et n'avaient pas accepté de sortir de leurs positions plus ou moins tranchées. C'est en cela qu'elles sont aussi l'image de cette transformation de soi qu'est la vie chrétienne.


Cette mise en cohérence, cet alignement de l'homme intérieur et de l'homme extérieur est la grande innovation de Schweitzer qui réconcilie ainsi la pensée paulinienne d'une grâce inconditionnelle, entièrement à l'initiative de Dieu et la pensée d'une philosophie de la volonté qui veut que l'individu soit partie prenante de sa vie et de sa foi, c'est ce qu'il appellera plus tard, la « foi conséquente », la foi qui a des conséquences dans la vie quotidienne, qui s'incarne et se réalise dans les fruits de l'Esprit.


À notre tour d'écouter la voix de l'Esprit qui s'adresse à nous pour que nous ne remettions pas à demain notre effort mais que nous apprenions à voir dans les petites choses, les commencements des grandes choses que le Seigneur attend de nous. Chaque jour, il nous faut surmonter nos fatigues, surmonter nos faiblesses, surmonter nos hypocrisies et nos lâchetés pour vivre dans la sincérité et la vérité, dans la conjonction entre notre « intérieur » et notre « extérieur » : à chacun et chacune d'entre-nous de discerner ce qu'il nous faut changer dans notre vie pour cela.


Roland Kauffmann



(1) Albert Schweitzer, Sermon du dimanche matin, 23 juillet 1905, en l’église Saint-Nicolas de Strasbourg, traduction inédite, Jean-Paul Sorg.

(2) Traduction de Jean-Paul Sorg, la version traditionnelle est « vous avez été instruits (pour) 23 être renouvelés par l'Esprit dans votre intelligence,. Jean-Paul Sorg fait le choix de traduire le terme grec de noos non par « intelligence » mais par « jugement » en référence à la définition kantienne de l'intelligence comme étant la « capacité de juger ».


Lire la prédication de Albert Schweitzer




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